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 Sujet du message: Nomadland (Chloé Zhao, 2020)
MessagePosté: 05 Avr 2021, 08:51 
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J'avais eu l'impression d'une réception du film plutôt mitigée parmi la critique US et je m'en étais fait une fausse idée. Je pensais de loin que Zhao avait initié un virage assez net vers un cinéma plus consensuel et classique avec sa "star" en premier rôle et son sujet presque trop évident (les déclassés de la crise 2008). Et bien en fait pas du tout, on reste dans la chronique brute, à l'os, sans concessions aux canons de la narration hollywoodienne traditionnelle, au contraire même, on sent que Zhao fait tout pour éviter de tomber dans un excès de fiction, comme le personnage elle s'en enfuit dès qu'elle en a l'occasion.

C'est fascinant parce qu'en trois films on voit déjà un motif de cinéma assez unique chez Zhao. Elle s'intéresse à des micro-communautés qui tentent de vivre hors de la contemporanéité américaine (par choix ou par contrainte d'ailleurs). Une façon de vivre qui s'affranchit du présent et qui semble exister en parallèle de la réalité américaine. Pas forcément en contradiction contre elle, pas forcément dans un mouvement protestataire ou politique, juste une autre façon d'exister avec ses codes et ses pratiques. C'est encore le cas ici où de manière assez surprenant le film est quasiment vidé de tout discours politique et social. Le personnage principal va travailler dans un entrepôt Amazon pour les fêtes de noël et il n'y a aucun regard de mépris ou d'aliénation sur cet emploi précaire. Au contraire même, le film regarde ce moment comme une façon de se renflouer et de pouvoir continuer à vivre libre dans son van le reste de l'année. Le film n'idéalise rien mais adopte simplement le point de vue de son personnage.

C'est là où le film est vraiment réussi et précieux. Dans son portrait intime de son personnage principal. Un personnage qui reste assez obscur, de prime abord assez antipathique et qui peu à peu devient très émouvant. Des choix de vie qui l'ont mené où elle est aujourd'hui dans un paradoxe qu'elle même ne parvient pas à embrasser. D'un côté elle est jetée sur les routes à enchaîner les petits boulots pour survivre en vivant dans un van minuscule mais de l'autre elle jouit d'une liberté qu'elle n'avais jusqu'alors jamais connue.

Et le film de développer le programme de son titre. D'explorer littéralement le territoire américain et ce nomadisme contemporain. Comme le dit l'un des personnages ces nouveaux nomades sont les nouveaux pionniers américains. Vraiment je trouve que c'est précieux comme cinéma, sans fioriture, sans esbroufe, à la lisière du documentaire. La majorité des personnages joue leur propre rôle et forcément il y a là quelque chose de profondément authentique dans le film et dans cette façon de filmer cette vie "alternative" avec un soin particulier apporté encore une fois au territoire, à l'inscription du personnage dans des décors. Je pourrai comprendre que finalement on trouve ce regard presque naïf, presque idéaliste car détaché d'une certaine réalité politique et sociale (c'est un peu l'anti Ken Loach) mais en même temps c'est profondément singulier. La parenté la plus évidente de Chloé Zhao est sans doute Kelly Reichardt qui elle aussi parle d'une Amérique contemporaine que l'on ne voit pas beaucoup (j'ai pas mal pensé paradoxalement à Wendy & Lucy qui était un film justement sur l'empêchement du voyage). Je préfère Reichardt mais les deux me semblent de la même famille.

La seule faute de goût du film c'est la musique, Zhao a utilsé des morceaux préexistants de Ludovic Einaudi, le Max Richter italien du pauvre et ça a tendance à souligner un peu trop la mélancolie du personnage où la tristesse qui plane. C'est dommage, c'est la seule concession d'un film qui n'en fait aucune autre. C'est d'autant plus étonnant de voir Zhao réaliser un Marvel tant le film est sec et brut. Il y a d'ailleurs une belle ironie quand le perso de McDormand marche dans une espèce de ville fantôme et que sur la devanture d'un cinéma il y a écrit "The Avengers". Comme les oripeaux d'un autre monde.

5/6

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MessagePosté: 05 Avr 2021, 09:39 
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Moi j’attends sa sortie salle! Je veux le voir en salle.

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MessagePosté: 05 Avr 2021, 10:47 
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Pas très emballé, moins que par ses deux précédents films. La description d'Arnotte me semble assez juste, mais c'est justement pour ces raisons que le film m'a finalement laissé froid. Au bout du compte c'est plutôt creux et bancal pour un film de fiction, et des documentaires qui embrassent ce genre de thématique (les communautés de déshérités du rêve américain) avec ce type d'esthétique dans le documentaire ne manquent pas. Donc je me demande un peu ce qu'apporte le film de Chloé Zhao avec ce regard finalement très objectif, voire consensuel si on est moins cool. Que de longs plans sur les paysages sauvages mythiques, et au point de vue humain jamais aucune friction, tout le monde est plutôt sympa, partout, et je vois jamais vraiment de rencontres avec de l'altérité... y'a aussi qq passages une peu misérabilistes comme celui à l'hôtel où McDorman doit mendier sa chambre dont Zhao aurait à mon avis pu se passer...

Il me semble qu'il y a plus d'enjeux (politiques) chez Reichardt, même dans ses films les plus dépouillées comme Old Joy, même si ça n'est pas non plus du discours martelé (il y a une place entre Ken Loach et Zhao quoi, celle qui généralement retient mon attention d'ailleurs soit dit en passant). Je me demande s'il y a une référence pieds-de-nez à la cinéaste dans le passage avec le chien que McDormand refuse de prendre avec elle.

Chloé Zhao qui signe pour un Marvel ça ne peut que rappeler le "Hulk" d'Ang Lee...

Anecdote : le film est sorti en Chine continentale avec écrit en gros sur l'affiche que la réalisatrice était chinoise. Cela a provoqué un certain nombre de sarcasmes sur les réseaux sociaux, puis des extraits d'interviews anciennes de la réalisatrice qui tapait sur les mensonges du régime (en particulier à Beijing) et affirmait que les USA étaient devenus sont pays d'élection ont refait surface, et le film a été illico retiré des salles, crac. lol


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MessagePosté: 14 Avr 2021, 22:12 
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Le prochain lauréat des Oscars est un beau film social, qui raconte à la fois la vie des nouveaux exclus du système américain qui vont de petits boulots en petits boulots à travers les Etats-Unis et l'impossible deuil d'une femme qui cherche sur la route une réponse à sa douleur muette. L'approche documentaire de la première partie laisse peu à peu place à quelque chose de plus métaphorique - par moment, Nomadland ressemble à A la Merveille de Terrence Malick et c'est un compliment pour l'auteur de ses lignes...

Bien sûr, le film parle beaucoup de l'Amérique des pionniers et des déclassés mais ce n'est pas l'aspect que j'ai préféré. Non c'est vraiment le parcours de l'héroïne qui m'a touché, surtout que Frances McDormand est une incroyable actrice et que Chloé Zhao la filme avec une grande douceur, en évitant la trajectoire doloriste que je redoutais. Après, il m'a longtemps manqué quelque chose, peut-être de la vraie bonne zik (qui n'arrive qu'au générique final) - j'ai eu Find the River de REM dans la tête ou du Bruce Springsteen - mais le film préfère l'illustration de la mélancolie du personnage.

4-5/6


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MessagePosté: 15 Avr 2021, 09:33 
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si j'ai un reproche au film, c'est quand même son symbolisme appuyé... la ville s'appelle Empire, les dinosaures, les pierres, la dinde de Thanksgiving...


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MessagePosté: 15 Avr 2021, 10:29 
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C'est visible quelque part ?


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MessagePosté: 15 Avr 2021, 10:29 
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Jerónimo a écrit:
C'est visible quelque part ?

Si tout va bien dans un mois au cinéma.


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MessagePosté: 15 Avr 2021, 10:33 
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Ok merci, j'avais l'impression qu'une plateforme l'avait acheté...


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MessagePosté: 15 Avr 2021, 10:44 
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Aux States, c'est sur Disney.

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MessagePosté: 15 Avr 2021, 10:48 
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Oui c'est sur Disney+, mais il sort en salles dans certains territoires (dont France et Benelux).

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MessagePosté: 15 Avr 2021, 12:00 
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Oui, je l'ai vu en projo presse mais le film devrait sortir. Par contre le disney sera sur disney plus


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MessagePosté: 15 Avr 2021, 17:35 
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Ah ben tiens, vu qu’ici les salles ne rouvriront pas avant juin, Disney vient d’annoncer qu’il sortira Nomadland finalement sur Disney+ en Belgique, dans la foulée des Oscars...

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MessagePosté: 08 Mai 2021, 23:44 
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Il faudra un jour faire le point sur tous les films inspirés de Malick... C'est un joli film, que j'ai l'impression d'avoir déjà vu. Zut, j'ai déjà écrit ça pour un autre Zhao. Nomadland reste de loin son meilleur film, même si l'influence malickienne se fait encore sentir par moments et que j'aimerais qu'elle s'en éloigne un peu. C'est néanmoins précieux, comme film, inégal mais précieux, comme peuvent l'être certaines scènes, certaines envolées (c'est le cas de le dire, à propos d'une en particulier). Et j'aime à penser qu'un film pareil aurait eu l'oscar une année "normale".
5/6

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Que lire cet hiver ?
Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander)
La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)


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MessagePosté: 11 Juin 2021, 15:52 
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Robot in Disguise
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Encore un de ces films américains qui méprise le peuple et ne voit le centre des U.S. que comme "flyover country"...

Au début j'ai eu un mal fou à accrocher à cette chronique informe où chaque scène/plan semblait faire la même durée. Le coeur du film m'a davantage pris: la description comme dit Art Core de ce nomadisme que Zhao dépeint en effet avec très peu de misérabilisme et un commentaire social jamais surligné est assez fascinante et donne un mouvement au film. L'approche documentaire fournit quelques "beaux moments de vérité" (© Abyssin). Mais là encore les passages à la Malick (abus de tournage au crépuscule d'ailleurs, ils devaient avoir 20 minutes par jour pour filmer...) rabaissent le film davantage qu'ils ne l'élèvent. Ça donne l'impression faussée d'un film par moment mignonnet et plus facile que ce que Zhao essaie de faire.

Au final je retiens ce portrait assez âpre et en creux, avec pas mal de mystère et très peu de "jolis moments Sundance", mais je trouve que le ratio investissement de l'équipe/émotion sur le spectateur n'est pas bon.

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MessagePosté: 13 Juin 2021, 12:25 
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Pas aimé du tout.

Comme dit Karloff, c'est avant tout un film de deuil: c'était déjà le sujet de "The rider", un film bien plus fort que celui-ci. Les personnages sont tous passés par la mort, et en sont revenus : veuve, malade en sursis, suicidaire repentie, orphelin… le film est peuplé de fantômes à la recherche de leurs disparus – les morts peuvent réapparaître sur la route, dit le film, comme réapparaît, ici, la lumière d’une étoile qui a brillé là-bas, à 30 années-lumière de distance.

Mais "deuil" n'est pas vraiment le mot qui convient: ici, c’est plutôt un film de "résilience", avec tout ce que ce "concept" a d'exaspérant dans la doxa du moment. La perte, dans ce film, est toujours déjà surmontée, elle appartient au passé des personnages, dont l’existence n’est rien d’autre que le processus par lequel il s’adapte à cet état de choses, contre lequel ils ne peuvent rien. Le film, par certains aspects, a des allures de fiction post-apocalyptique, les personnages errent dans un lieu qui se situe après toutes les catastrophes possibles: cosmique, géologique, sociale, économique, écologique, personnelle... Les dinosaures ont disparu, le monde ouvrier aussi, les familles ont explosé quand les proches sont "partis", et le désert est la trace anticipée du désastre écologique à venir, qui semble déjà acté.
C’est vraiment un film dans lequel l’Histoire n’existe pas: les hommes n’ont leur mot à dire sur rien, les désastres économiques et le ciel leur tombent sur la tête. L’avenir a disparu, comme tout le reste, et le temps se confond désormais avec le cycle répétitif des saisons, comme le suggère la structure circulaire du récit. Tout ce qu’il reste à faire, c’est d’attacher sa ceinture et faire contre mauvaise fortune bon cœur – en cherchant par exemple dans la contemplation des hirondelles un plaisir esthétique qui suffit au bonheur des hommes, une créature aux goûts simples finalement.

Cette poétique mélancolique n’est pas sans beauté, c’est vrai, mais politiquement, ça donne des montages douteux. La pauvreté, l'errance d'un lieu à l'autre en fonction des boulots saisonniers, les nuits passées dans un van sur des parkings glacials, tout ça apparaît comme un combat personnel, une série d’épreuves providentielles, grâce à quoi les personnages se dépassent. La crise économique et sociale est mise sur le même plan que la chute d’un météore, et les personnages expulsés de leurs maisons et jetés sur les routes apparaissent comme de vaillants petits pionniers, dont l’existence est un perpétuel lundi au soleil. Il y a de quoi rire. La précarité de l’emploi et de l'existence est présentée comme un style de vie authentiquement américain – qui plus est, comme un style de vie mieux adapté à la catastrophe des temps présents. Payer les salariés au lance-pierres, c’est bon pour la planète: ça leur apprend la valeur des choses et à recoller les assiettes cassées au lieu de les jeter.
Le film n’est jamais franc dans la description de ce nomadland: comme dit Art Core, on ne sait jamais trop si ce mode de vie est libre ou contraint. Ca fait quand même une différence et c’est un problème que le film les confonde. Il faut un drôle de renversement des choses pour présenter comme un modèle d’existence libre, le fait de vivre dans un van à 70 ans parce qu’on a une retraite de merde.

Mais bon, tout ça n’est pas tellement le souci de Zhao, dont le cœur bat uniquement à l’échelle cosmique, celle des déserts, des étoiles et de la musique de Ludovico Einaudi. Pas étonnant qu’au prochain film elle passe encore un niveau et se retrouve chez les Eternels.


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