Double Take, Johan Grimonprez, 2010Belgique/Allemagne/Pays-Bas, 80 min, 35 mm, Noir&blanc et couleurs
Réalisation Johan Grimonprez / Scénario Johan Grimonprez, Tom McCarthy d’après le récit 25 Août 1983 de Jorge Luis Borges / Sosie d’Hitchcock Ron Burrage / Voix d’Hitchcock Mark Perry / Musique Christian Halten / Montage Dieter Diependaele, Tyler Hubby / Production Zapomatik, Emmy Oost, Johan GrimonprezMercredi prochain,
Double Take de Johan Grimonprez pointera le bout de son nez sur les toiles. Ce projet hybride, entre le documentaire et la fiction politique, est particulièrement jouissif par les images qu’il convoque : celles rattachées à une époque pas si révolue que ça en fin de compte (le début des années 60 en pleine guerre froide) et celles savoureuses d’un Alfred Hitchcock jovial, juke-box débitant des aphorismes dont lui seul a le secret et draguant les ménagères pour leur vendre un café lyophilisé infect.
Derrière cette facette clownesque et l’humour pince-sans-rire, Grimonprez va subordonner tout son petit système à une crise identitaire qu’il étend à l’échelle planétaire, en partant d’une rencontre fictionnelle : lors du tournage des Oiseaux, au moment où il va tourner son fameux caméo, Hitchcock est informé d’un étrange appel téléphonique qui le mène à un face-à-face avec son double de 20 ans son aîné. Cet affrontement va servir de caisse de résonance de la paranoïa collective de l’époque, entretenue massivement par les médias et acheminée directement vers les foyers par le prisme d’une nouvelle technologie : le poste de télévision, débinant des publicités débilisantes et assurant en contrepartie le confort domestique, mais qui s’avèrera une arme de destruction insidieuse finalement plus redoutable que les explosions atomiques.
Le meurtre de l'un conditionne la survie de l'autreDouble Take, c’est une gigantesque mise en abîme façon poupées russes, où chaque système est répliqué et finit par s’imbriquer dans un autre. Tout est affaire de dédoublement, d’inversion de polarité, et de mimétisme : Hitchcock versus son alter ego fictif, Hitchcock cinéaste versus Hitchcock présentateur TV, Kennedy versus Khrouchtchev, la grande toile versus la petite lucarne, la réalité versus la fiction, le futur (1980) versus le passé (1962), etc…La narration épouse le principe de répétition, avec un montage alternant des images d’archives télévisuelles (débats d’hommes politiques, réclames publicitaires, émission Alfred Hitchcock présente), extraits de films du cinéaste, et prises de vues contemporaines. Le MacGuffin, popularisé par Alfred Hitchcock, s'applique à l'intégralité du film, où chaque élément sert de prétexte à un autre : c'est Hitchcock qui convoque les images des
Oiseaux, volatiles évoquant étrangement la conquête spatiale, objet d'une bataille technologique que se livrent le bloc Ouest et le bloc Est et servant à alimenter la course à l'armement nucléaire. Ce sont
Les Enchaînés, qui véhiculent l'idée d'un empoisonnement au café, reprise par les fameux spots publicitaires pour le café en poudre, inoculant ainsi le meurtre dans les foyers, et servant de métaphore de la mort lente du cinéma face à l'expansion de la télévision.
I'm Alfred Hitchcock and I can prove it !Double Take invite le spectateur à reconsidérer les images véhiculées par le petit écran, à appréhender la façon dont le cinéma récupère les préoccupations d’une époque et s’en sert comme source d’inspiration. Et en faisant revivre la figure d’un cinéaste inscrit dans la conscience collective et en lui redonnant les rênes du récit, il distille un vrai plaisir cinéphile et esthétique, et interroge notre rapport aux images et la toute puissance évocatrice du cinéma.
Double Take, bande-annonce