Jeanne aime Jean, mais celui-ci ne pense qu'à partir. Un jour, il s'enfuit sur les routes puis meurt. Jeanne ne le saura jamais. Dans l'absence de cet homme aimé, elle se souvient de lui...Et c'est donc effectivement un beau cinéma, pour lequel le qualificatif "poétique" n'est pour une fois pas usurpé. Peut-être est-ce la forme du souvenir qui permet dans ce film-ci une telle liberté : la caméra de Guy Gilles est toujours imprévisible et lunaire, ses choix sont souvent mystérieux, et le récit n'est composé que de digressions modestes, minimales, qui nous empêchent de retracer les fils d'une quelconque mécanique narrative. Dans le noir et blanc du présent, les corps ne semblent plus composés que de lumière, tout prêts à être avalés par le blanc béant, par le néant qui guette. Dans les souvenirs, la seule présence de la couleur (pourtant sobre) semble soudain rendre un trop plein d'incarnation au monde, qui prend des allures de fruit mûr. Les instants volés au couple ne sont en rien lyriques, ou symboliques : ils font leur lit dans les moments les moins dramatiquement signifiants, et ressemblent à une série de caresses.
C'est assez beau de voir toute la matière de la nouvelle vague ainsi re-digérée (on pense méchamment à Eustache, mais aussi à
Pierrot le fou, ou à la voix-off façon premiers Rohmer). On s'y pose les mêmes questions, malgré la différence d'approche : la foi dans l'amour comme dernier idéal, l'incapacité à accepter la société et à s'y fondre, la crise existentielle, la question de ce qu'on va faire à deux de tout cet ennui.
D'ailleurs parfois, Guy Gilles emprunte à ses pairs des tics sans forcément bien en penser l'adéquation à son propre cinéma, et je trouve qu'il se plante un peu. Parce que son approche est poétique, ce qu'il filme aurait peut-être gagné à ne pas l'être : son acteur est dirigé pour jouer blanc, tous ses dialogues sont du registre déclamatoire, il communique par aphorismes et citations, n'étant filmé que figé, dans la pose... Sa douleur au monde est déjà affectée (une révolte théorique, sans action, sans but), et la caméra de Guy Gilles n'a presque plus rien à chanter de lui, dans le sens où l'on a du mal à partager les tourments de ce qui n'est d'emblée qu'une pure figure. Macha Méril, sur un registre plus quotidien, s'en sort mieux.
Au final, le film est donc d'abord touchant pour l'amour de cette femme, auquel le film donne si bien forme (on s'identifie à la façon dont elle persiste à baigner dans l'eau tiède de ses souvenirs, en gros), et non pour l'homme qu'on serait censés aimer à travers elle (quand bien même il est magnifié par un cinéaste visiblement séduit). Il reste que j'aime la beauté naïve avec laquelle le couple est aimé par la caméra dès la première scène. Cette simplicité unifie un film par ailleurs éclaté dans tous les sens, quitte à flirter parfois avec l'impression d'un cinéma un peu mollement énamouré.
Il faudrait un jour retracer la galaxie de tous ces cinéastes "nouvelle vague" qui ont gravité autour (ou après) la nouvelle vague "officielle", toute cette caisse de résonance à l'incise initiale. Il y aurait Eustache et Vecchiali, sans doute, et donc Guy Gilles, mais sûrement bien d'autres encore.
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