On suit deux groupes de trentenaires, perpétuellement en costume cravate, et buvant beaucoup, qui gravitent autour de restaurants un peu borgnes. Les cadres d'un business d'importation de voiture, et un second cercle formé par leurs employés. Parmi eux Tito, venu de la province vers Santiago, assez effacé dans le groupe, ainsi que sa soeur Amanda, prostituée et strip-teaseuse qui donne le change en élégante robe à carreau, venue plus tôt dans la ville. Tito a un rapport bizarre avec son chef, Rudy (un vieux garçon assez cynique) , entre promiscuité et humiliation, qui reproduit sur lui le rapport qu'il a lui-même avec le boss de la boîte. Rudy vit dans un appartement moderne et confortable, quand Tito a du mal à se loger et est hébergé par des collègues ou chez sa soeur.
Une embrouille autour d'une strip-teaseuse au restaurant dégénère en meurtre et un des employés doit fuir. Quant à Tito, il perd en mode Gaston Lagaffe avec De Maesmaeker les papiers d'un contrat important. Il songe alors à faire l'entremetteur entre sa soeur Amanda et Rudy, pour ne pas se faire virer. A cette occasion, Rudy, bien alcoolisé, se met à dire des horreurs sur une étudiante de gauche avec qui il est sorti quelques mois plus tôt. Amanda joue le jeu, mais le matin lui demande sur un ton assez tranchant s'il sait ce qu'est devenue cette fille... Dans le même temps Tito, au restaurant, rencontre deux hommes qui lui tiennent un discours pro-Cubain, contre le président Frei, et lui mettent un coup de poing devant sa tiédeur, avant (ou après) de malgré tout sympathiser et le convier et fraterniser dans les toilettes. Il s'agit peut-être d'agents provocateurs et le lendemain il perd son emploi. Lorsque Tito l'appelle, Rudy, sans doute mis au courant des deux histoires (les papiers perdus et l'embrouille au restaurant, plus le calcul autour de sa soeur) le rebaisse ainsi que sa soeur de manière particulièrement grossière. Tito sort de ses gonds, se rend dans son appartement et le passe à tabac , le blessant gravement. Rudy se montre étrangement complaisant, comme s'il protégeait Tito malgré tout ou était lui-même intimidé par quelque chose...
Premier film de Raoul Ruiz, et sans doute le meilleur parmi ceux que j'ai vus. Cela fait penser à
Husbands de Cassavetes et aux
Magliari de Franceso Rosi, mais avec un propos plus directement politique, sans virer au film à thèse, il y a une convergence entre sensibilité sociale et une forme d'énergie vitale (le cynisme onirique ultérieur de Ruiz sera peut-être une manière de les opposer). Le film est assez touffu et difficile (mais stimulant) à suivre, avec des intrigues parallèles, un dispositif d'où les personnages principaux émergent lentement (un peu comme
A Brighter Summer Day d'Edward Yang, qui n'est pas sans lien dans le point de vue politique ainsi que la conduite du récit). La mise en scène est déjà très mature, de longs plans séquences en caméra à l'épaule, qui font exister les lieux, donnant une impression d'improvisation alors que l'intrigue est très construite. Ruiz mentionne aussi l'influence d'Hitchcock ce qui se sent un peu (on peut penser à l'Inconnu du Nord Express voire à Double Indemnity de Wilder, avec là-aussi un homme qui n'est identifié, même pour lui-même,que par son travail et sa fonction sociale, qui n'a pas de lieu, qui dérape car son seul but est de s'intégrer à un milieu qui doute de lui-même et ne veut assumer aucun rôle narratif , mais le crime est un fantasme d'invisibilité, de neutralisation ratée de l'identié sociale par un geste moral). A voir (disponible sur le site de la Cinémathèque).
Pour la petite histoire, certains des acteurs (très bons) ont joué dans des films récents de Pablo Larain (notamment Jaime Vadell qui joue Rudy) et l'auteur de la pièce de théâtre adaptée, Alejandro Sieveking, est aussi le scénariste d'El Club. La pièce transpose elle-même au Chili un roman d'un écrivain cubain, pro puis antri-castriste, Guillermo Cabrera Infante (plus tard lui-même scénariste de
Vanishing Point )