Alain Bashung (Festival de Thau, à Mèze)
Preuve que j'ai complètement décroché de l'actualité musicale, je ne savais pas que Bashung était malade, je savais encore moins qu'il avait un cancer, j'ignorais qu'il avait entamé une tournée en même temps que sa chimiothérapie. Je faisais partie des bécasses qui pensaient que son chapeau et son foulard sur la tête étaient une simple coquetterie vestimentaire. Une noirceur passagère. J'aimais pourtant sa nouvelle allure courbée, corbeau, à la Barbara... Je n'ai jamais vraiment écouté Bashung. Bashung et moi, c'est une histoire bancale, banale, un peu floue, émaillée de chansons formatées que j'aimais, que tout le monde aimait, sans effort ("Vertiges de l'amour", "Oh Gaby", "J'passe pour une caravane", "Ma Petite Entreprise", "Osez Joséphine"...). Et puis j'ai écouté "Fantaisie militaire", une nuit, un mois, un an, jusqu'à m'en rayer les oreilles, et Bashung est resté. Peut-être que si j'avais su, j'aurais hésité à prendre un billet. Par peur de le voir diminué, recroquevillé, décharné, par peur de ne pas retrouver la force et la désinvolture d'un "Samuel Hall". Parce qu'égoïstement je voulais retrouver le Bashung que j'aimais. Intact et indolore. Avec cette voix si particulière, qui m'a toujours fait penser à un mâcheur de chewing-gum et de barbapapa confondus.
Malaxe malaxe... Et puis comme si le moral de plomb et la procession funèbre ne suffisaient pas, un ami roadie est venu nous dire que Bashung ne tenait pas debout, qu'on le portait à bout de bras, qu'il a fallu quelques seringues d'EPO pour qu'il retrouve sa voix. Après avoir grillé une clope.
Première partie. Lazuli. A chier. Une espèce de mélasse emphatique qui ressemble à du sous-William Sheller, en plus corrosif. Heureusement le festival de Thau, c'est aussi l'art de la diversion. On y vient aussi pour ses merveilleuses assiettes d'huîtres de Bouzigues, ses fameuses barquettes de moules chaudes et son petit blanc de Picpoul. Et son punch amical "pic pic" bien chargé qui vous décape bien le gosier. On me l'a servi en me souhaitant bon voyage. Le voyage fut bon.
Bashung. Le corps a peut-être flanché, la voix a peut-être vacillé, mais quand il a pris le micro, je n'ai rien vu, je n'ai rien pris en pitié, j'ai tout oublié. Bashung est resté Bashung, la voix nasillarde est restée puissante, les mots sont restés étonnamment vifs et coupants ("Je t'ai manqué", "Je tuerai la pianiste", "A perte de vue", il a même égréné le premier couplet de "Blowin in the Wind"...). Et même si les paroles de ses chansons étaient parfois plus douloureuses que sa dégaine, il y a eu de la joie, de la jouissance à ressombrer dans "Fantaisie militaire", "La nuit je mens", "Malaxe", "Samuel Hall" (magnifique), "Mes prisons". Et puis il revenu chanter seul à la guitare "Angora"...
Il m'aura fallu faucher les blés
Apprendre à manier la fourche
Pour retrouver le vrai
Faire table rase du passé
La discorde qu'on a semé
A la surface des regrets
N'a pas pris
Le souffle coupé
La gorge irritée
Je m'époumonais
Sans broncher
Angora
Montre-moi d'où vient la vie
Où vont les vaisseaux maudits
Angora
Sois la soie, sois encore à moi...
Les pluies acides décharnent les sapins
J'y peux rien, j'y peux rien
Coule la résine
S'agglutine le venin
J'crains plus la mandragore
J'crains plus mon destin
J'crains plus rien
Le souffle coupé
La gorge irritée
Je m'époumonais
Sans broncher
Angora
Montre-moi d'où vient la vie
Où vont les vaisseaux maudits
Angora
Sois la soie, sois encore à moi...
Personne n'a pleuré (les merveilleuses huîtres sans doute). Bashung est parti comme il est venu : droit comme un chêne : "Faîtes de beaux rêves". Et puis les enceintes ont envoyé du Johnny Cash. Encore une belle diversion.
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