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MessagePosté: 27 Juin 2008, 12:03 
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Schtroumpf sodomite
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Karl le mort-vivant a écrit:
the black addiction a écrit:
ou plus simplement Karl Marx le mort vivant...



Lol et rooo en même temps. Arrêtez, là, ça a rien à voir, il me parle de légèreté en me citant des films qui sont pas de la première finesse malgré leurs qualités.

Mince, va falloir que je me creuse la tête pour trouver de la lègèreté américaine...


Je suis assez d'accord...

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MessagePosté: 27 Juin 2008, 13:24 
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Rohlala. Indy IV et Speed Racer récemment, ça vous suffit pas.

C'est trop lourd popcorn...


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MessagePosté: 27 Juin 2008, 13:25 
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C'est surtout un débat sémantique...

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MessagePosté: 27 Juin 2008, 14:23 
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Localisation: bah un cimetière, tiens...
Meurs. Deviens fertile. (ton actuelle signature...) Ca me dit quelque chose. Je pense me rapprocher de ta principale identité...

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C'est moins la connerie que le côté attention-whore désoeuvrée plutôt pête-couilles et désagréable que l'on relève chez moi, dès lors que l'on me pratique un peu.

Espace branleurs


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MessagePosté: 27 Juin 2008, 15:29 
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Ma principale identité ?

Tu parles de laquelle ?
Seqsy bandant ? Bigbang sequosmo ? sequosmik ?

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MessagePosté: 28 Juin 2008, 14:51 
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Royal Seqchoual a écrit:
C'est surtout un débat sémantique...

Lapôcompli.


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MessagePosté: 02 Juil 2008, 15:47 
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Il y a quelque temps, je m'étais amusé à faire un top 50 commenté sur ce topic. Et comme 50 c'est trop court, j'ai doublé ma liste. Alors voilà ce que ça donne.

Ne surtout pas y voir une volonté de battre le record de longueur de post, c'est juste pour rendre hommage à tous ces films que j'aime tant, en toute humilité. (j'espère que ce ne sera pas mal interprété...)


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MessagePosté: 02 Juil 2008, 15:48 
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Au sommet siègent 20 films absolument indétrônables, qui ont gagné leurs places tout en haut de mon panthéon personnel depuis de nombreuses années, et qui ne craignent aucune concurrence jusqu'à la fin de mes jours.


Les deux premiers sont ex aequo.


1. Mulholland Drive - David Lynch

Comme en attestent les mille exégèses qu’il a suscitées et l’influence considérable qu’il exerce depuis le coup de tonnerre de sa sortie, voici peut-être le seul chef-d’œuvre contemporain digne d’un Vertigo ou d’un 2001. A mes yeux, c’est le plus beau film du monde, une œuvre suprêmement envoûtante qui m’a marqué au fer rouge et fait désormais partie de mes gènes : jamais plus je ne vivrai expérience aussi forte et intime au cinéma. Chapitre définitif sur Hollywood, la nécropole des rêves brisés, élégie des songes et des désirs des jeunes filles d'Amérique, requiem mélancolique à l’innocence et aux illusions perdues, cette love story in the city of dreams touche la nature profonde de l'âme humaine, dans sa grandeur comme dans ses écorchures : c'est un cinéma d'affect pur, qui procure une émotion dévastatrice. Transcrit dans une photographie tactile et moirée, infusé par le score ensorcelant de Badalamenti, le film saisit avec une foudroyante poésie la mythologie hollywoodienne, son cortège de mirages, de déceptions et de frustrations infinies, et porte un regard bouleversant sur l'étoffe de nos ardeurs, de nos espoirs et de nos chagrins… Ambition, culpabilité, désir, solitude, sexualité, identité, mort : le film embrasse tout, sidère par la permissivité infinie de ses niveaux de lecture – de l’allégorie gigogne sur les faux-semblants à la psychanalyse, des jeux avec les archétypes américains à la mise en abyme de la fascination exercée par le cinéma sur les consciences. S’il émerveille, intrigue, inquiète, amuse, excite tour à tour, s'il navigue d’abord dans les eaux moelleuses et euphorisantes du film noir, de la comédie burlesque et du récit d’apprentissage (comment ne pas évoquer le vertige engendré par l’extraordinaire scène d’audition ?), c’est pour mieux épancher ensuite la tristesse désespérée d’un somptueux mélodrame, infiniment romantique, qui laisse le cœur en miettes. La douleur s’y imprime par inversion, et la beauté la plus absolue y naît d’une indicible blessure à l’âme dont la complainte de Rebekah Del Rio pourrait être la déchirante expression. Lynch ne s’est jamais fait aussi sentimental, aussi romanesque : son film est l’une des plus magnifiques histoires d’amour portées au cinéma, qui trouve en Naomi Watts et Laura Harring, anges fragiles tombés du ciel, des interprètes sublimes, charnelles, frémissantes de sensibilité, de féminité et de sensualité. Leur voluptueuse alchimie a fait entrer ce couple séraphique dans mon panthéon personnel : parangons de beauté que la caméra caresse avec une irradiante fascination, les deux actrices, en état de grâce, s’inscrivent parmi les plus émouvantes incarnations du septième art. A travers elles, Mulholland Drive génère un lyrisme sans équivalent : leurs larmes délicates au Silencio (séquence promise à la postérité), la plus belle déclaration d'amour jamais captée sur un écran (ce "I'm in love with you" d'une enivrante suavité qui hante régulièrement mes nuits), le raccourci orphique à travers un sentier perdu de conte... La traversée des apparences à laquelle invite le film traduit une valse de fantasmes, de souvenirs et de regrets qui creuse toujours davantage, sur le mode de la quête initiatique et cathartique, son sujet profond : la vérité intime des êtres, le rapport à la femme aimée, les temps et manifestations du sentiment amoureux (de l’extrême douceur à la plus cruelle affliction). Que de compassion éperdue, de proximité affective dans ce merveilleux portrait de femme(s) : le film est un chant d’amour, celui d’un cinéaste pour son personnage. Couleurs satinées sculptées dans la soie, velours duveteux des images, caméra serpentine, nuits de lumières et soleils californiens, étreintes torrides à l’érotisme capiteux : cette séduction glamourissime esquisse en creux le destin brisé d’une héroïne fabuleuse. Celui de Diane, l’amante délaissée, la victime du miroir aux alouettes, qui expérimente la tragédie de l’abandon et de l’échec et dont la détresse et le chagrin fendent le cœur. Celui de Betty, la craquante et lumineuse ingénue qui découvre l’amour et la réussite, qui sauve, protège et aime sa belle : avec elle à ses côtés, son sourire ensoleillé flotte à jamais sur le ciel étoilé de L.A.

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1. Star Wars (trilogie) – George Lucas, Irvin Kershner, Richard Marquand

J’aime ces films comme mes frères, ils sont à l’origine de tout l’intérêt que je porte au cinéma aujourd’hui. J’ai bien conscience que ce n’est pas très utile de dire pourquoi je suis complètement fou de la trilogie de Lucas : tous les autres fans m’auront déjà compris. Cette saga distille une magie renouvelée à chaque vision, parce qu’elle trouve racine dans mes rêves d’enfance incarnés. Tous les personnages sont mes potes (Luke, Han, Leia, Chewie...), Obi-Wan et Yoda sont mes maîtres, Dark Vador, est, pour toujours, le plus grand et le plus charismatique "méchant" de l’histoire du cinéma, la musique martiale de John Williams la plus imparable des machines à faire exulter qui soient. Le plus fort, avec ces films, c’est qu’en plus de l’amour démesuré qu’on peut leur porter en tant que rêves de cinéma, on n’en finit pas d’y percevoir de nouvelles richesses thématiques, mythologiques, initiatiques, psychologiques. Au-delà du divertissement merveilleux, Lucas a inventé un mythe aux résonances universelles, compilant une foule d’influences pour aboutir à un univers d’une cohérence et d’une inventivité exceptionnelles. Je me retrouve dans la trajectoire de Luke, ses doutes, ses aspirations et ses angoisses, je me rêve dans la peau de Han, ce vaurien au cœur d’or qui est comme le héros ultime de cinéma, j’adore Leia et son caractère à la fois puissant et fragile, ses prises de bec amoureuses au parfum de screwball comedies avec Han... Il m’est impossible de prononcer le terrible "Je suis ton père" de Vador sans trémolos dans la voix, ou de repenser à la réplique tranquille d’un Han au seuil de la mort, lorsque Leia lui avoue qu’elle l’aime, sans que les larmes me viennent aux yeux. Des trois épisodes, celui que je préfère est L’Empire contre-attaque, volet-charnière éblouissant de complexité et d’ambiguïté, mais les deux autres sont solidement placés dans le peloton de tête de mes films favoris.

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3. Apocalypse Now – Francis Ford Coppola

Aucun film n’atteint pour moi la démesure de cette évocation hallucinée du cauchemar vietnamien, fruit de la folie d’un artiste mégalomane à la rencontre de ses propres abymes. L’entreprise de Coppola, équivalent cinématographique de l’Enfer de Dante, est une œuvre avant-gardiste, chamanique, incantatoire, déguisée en la plus coûteuse des superproductions. De la somptueuse photographie de Vittorio Storaro au souffle lyrique d'une mise en scène déployant une imagerie grandiose, de la présence de Marlon Brando, figure ambigüe tapie dans les ténèbres, à celle de Robert Duvall, en officier brûlé par l’absence de toute barrière morale, tout y est sans égal. Marqué des sceaux de la barbarie et de la métaphysique, Apocalypse Now donne à ressentir le vertige né de la perte des garde-fous de la civilisation et de l’exploration des zones reculées de la psyché (celles, également, du refoulé et de l’inconscient de la nation américaine), en un opéra de la mort et de la destruction qui orchestre une saisissante régression (de la technologie avancée vers le corps-à-corps primitif, de la hiérarchie militaire vers le sacrifice païen). Dès le divaguant fondu-enchaîné d’ouverture sur The End et jusqu’au dévoilement du crâne rasé de Kurtz dans la pénombre, Coppola aborde en visionnaire le territoire des mythes : le théâtre des opérations classique cède progressivement la place au domaine secret et magique d’un roi sanguinaire, et la folie orgiaque de la guerre s’abolit dans des plages de pure contemplation, dans la douleur lancinante de la culpabilité et du souvenir. Indissociable des conditions démentes de sa genèse, cette odyssée spirituelle demeure la plus sidérante dissection des pulsions et des angoisses humaines, nous emmenant au bord du gouffre et nous obligeant à contempler en face le visage de l'horreur.

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4. 2001 : l'Odyssée de l'espace - Stanley Kubrick

Film mythique bien sûr, création aussi calculée qu'inspirée, peut-être la seule de toute l’histoire du cinéma qui soit à la fois une superproduction et un film expérimental. Comptent en premier lieu l’émerveillement, la fascination d’une expérience visuelle et musicale passant au-delà de la compréhension rationnelle, the ultimate trip comme l’a vendu la MGM. Construit, avec une rigueur architecturale, en quatre blocs qui se font écho comme autant de mouvements d’expansion cosmique, le film impose une forme de gnosticisme sceptique (sur le Temps, la Vie, la Civilisation) : l’univers est un labyrinthe où l’homme né singe finit, au terme d’un cycle évolutif ambigu, Enfant-Étoile. Mais si 2001 demeure inégalé, c’est parce que la monumentalité philosophique si propre à son auteur est sans cesse altérée par de purs instants d’émotion, de poésie, voire de féérie, qu’il s’agisse du meurtre paradoxal et bouleversant de l’ordinateur Hal 9000, dont la voix s’éteint au fur et à mesure que l’astronaute annihile ses facultés intellectuelles, de la plongée subjective à travers la porte stellaire, au croisement du psychédélisme hippie et des recherches plasticiennes, ou du grandiose mouvement final, avec l’apparition du fœtus astral sur fond de Strauss. Naviguant à la frontière exacte de l’inquiétant et du sublime, ouvrant des perspectives infinies dans nos perceptions de spectateur (une simple respiration dans l’immensité angoissante de l’espace valant expression de la destinée universelle), cette vertigineuse méditation métaphysique sur les origines et le devenir de l'humanité opère le mariage miraculeux entre l’intellect et la sensorialité, la réflexion et le spectacle pur... On se dit alors que sa réputation de "plus grand film de tous les temps" n’est peut-être pas usurpée.

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5. Les Affranchis & Casino - Martin Scorsese

En 1990, Raging Bull est élu par l’AFI meilleur film américain des 80’s. L’immense Marty a déjà signé le chef-d’œuvre d’une décennie à peine entamée en plongeant dans le quotidien d’une mafia dont la vanité se masque de piété et de respectabilité. Son agitation stérile traduit de façon triviale les excès, les transgressions, la réussite immorale d’une humanité pécheresse, au sens le plus profane du mot. Scorsese est au-delà du sermon : il fait un cinéma brut, sidérant de virtuosité, et laisse le souffle coupé par la maîtrise irrécusable de sa mise en scène, la sécheresse et la rigueur de sa vision, le rythme éruptif de son récit et de sa bande-son (un juke-box survolté) : chez lui, la réflexion, limpide, implacable, naît uniquement du sens de l’exécution. Cinq ans plus tard, le maître concentre tous les traits d’éclat des Affranchis dans ce pandémonium aux rutilances clinquantes qu’est Las Vegas, pour une nouvelle fresque flamboyante et kaléidoscopique au cœur de l’argent sale et du pouvoir vicié. La moindre scène est un morceau d’anthologie, le moindre plan une leçon de cinéma, l’arc des passions humaines dessine une allégorie du capitalisme et de ses mutations, l’amitié, l’amour, l’ambition, la trahison, le pouvoir y dressent l’éternel rise-and-fall d’hommes responsables de la chute du paradis qu’ils se sont forgés. D’une sphère à l’autre, de la politique à l’intime, du comique au tragique, du sociologique au mythologique, Scorsese compose deux cataractes époustouflantes d’images, de musiques, de sons et d’émotions, deux opéras fiévreux et incandescents de bruit et de fureur, qui me laissent, par leur densité, leur souffle, leur amplitude artistique, le génie de leur interprétation, transi de révérence et d’admiration.

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6. Les Aventuriers de l’Arche perdue - Steven Spielberg

Le modèle ultime du Divertissement, sans alibi d’aucune sorte, sans autre motivation que le goût assumé et ô combien communicatif du plaisir créé pour lui-même. Spielberg et Lucas ont grandi avec les serials des années 40, ils ont des moyens énormes, un talent à leur mesure, et ils expriment avec une intelligence ludique de tous les instants pourquoi ils aiment le cinéma. A la vision de cette sarabande euphorisante, je comprends à mon tour. Avec E.T., c’est le dernier grand jalon de la période fructueuse de Spielberg, lorsqu’il parvenait à traduire les ressorts les plus purs de l’émerveillement à travers une sensibilité d’adulte accomplie – il ne retrouvera que dans les années 2000 une telle plénitude artistique. Exaltée par la galvanisante partition symphonique de John Williams, cette aventure étourdissante de brio a depuis longtemps dépassé le simple statut de fête foraine à mes yeux : il s’y joue quelque chose de l’ordre de la magie pure, dont l’aura tient tout autant de l’envergure biblique de l’épopée (l’Arche d’alliance et ses sortilèges) que du feu sacré avec laquelle chaque séquence semble avoir été conçue, depuis l’époustouflante séquence d’ouverture (apnée pendant dix minutes) jusqu’à la démesure quasi-cauchemardesque de la fin. Formidablement épaulé par une Karen Allen débordante de charme piquant, Harrison Ford est, dans la dérision, le charme et l’humour, Indiana Jones forever, figure totémique, comme le Solo qu’il composait à la même époque, de mon imaginaire cinématographique. A l’instar de ses deux suites, que j’aime presque autant, cette œuvre mille fois revue me vaut une jubilation me laissant à chaque coup sur le carreau, au bord de la syncope.

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7. Blade Runner – Ridley Scott

Donc, Los Angeles, 2019. Dans les rues embrumées d’une cité tentaculaire, les gens s’entassent en un melting pot de communautés, d’influences et de sabirs hybrides. En haut, là où le ciel est encore visible par endroits, un docteur Frankenstein siégeant au cœur d’un haut palais à l’architecture aztèque couche dans un lit papal. Dans le foisonnement de cet hallucinant univers urbain, inventé avec une inspiration visionnaire par Ridley Scott, un privé mélancolique tout droit sorti de chez Chandler et un ange de la mort blond au regard azur traînent leurs états d’âme, jusqu’à un affrontement infernal zébré par le vol des colombes. Fascinante immersion futuriste, sublimée par la musique de Vangelis, Blade Runner, en plus d’être l’anticipation la plus belle et la plus désespérée du monde de demain (trente ans après, il règne toujours sur la SF), est une œuvre aux implications métaphysiques et théologiques inépuisables : il s’agit d’une fable renouvelant le mythe de Prométhée, et d’une douloureuse méditation sur la nature humaine. Là encore, les séquences d’anthologie se succèdent, depuis le parricide de Tyrell par Batty, éclairé à la lueur des bougies, jusqu’aux ultimes paroles du "fils prodigue", répliquant plus humain que l’humain qu’il épargne. Une œuvre d’une richesse visuelle, émotionnelle et thématique hors du commun.

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8. La Nuit du Chasseur – Charles Laughton

Charles Laughton avait, sous son imposante corpulence, un cœur de petit poucet : son unique réalisation, pépite sublime à l’écart des modes et des influences, le prouve. Il agit tel un cauchemar ensorcelé, raconté au coin du feu, à la douceur vénéneuse et à la simplicité biblique. Enchantement de lumière et de ténèbres qui entremêle les mystères de l’amour et de la haine, du bien et du mal, le film retrouve l’essence des grands mythes intemporels et fait éprouver les émotions les plus pures, les plus ineffables. Aucun autre n’en possède la force expressionniste, n’en convoque avec une telle évidence le temps paradoxal, ni cette atmosphère surréelle d’un romantisme noir, plongeant au plus profond du fantastique quotidien : tout à la fois parabole, peinture sociale, fantasmagorie, La Nuit du Chasseur semble filer à travers la nuit des temps. Avec son esthétique ciselée dans les ombres de Stanley Cortez, ses constellations d’images inoubliables (barque coulant au clair de lune sur une rivière argentée, chevelure flottant dans l’eau telle des algues), l’œuvre atteint une dimension immémoriale : les deux petits héros y fuient comme dans les contes de notre enfance, un loup grotesque et terrifiant (Robert Mitchum dans son plus grand rôle) hante les paysages ruraux éternels en fredonnant des comptines doucereuses, tandis qu’une fée bienfaitrice recueille les orphelins perdus… Absolument unique.

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9. La Ligne Rouge - Terrence Malick

La Ligne Rouge n’est pas un film de guerre : c’est une méditation contemplative qui confine à la mélopée envoûtante, un immense poème élégiaque peuplé par la faune et la flore d’un éden mélanésien aux grâces de paradis perdu. Mûri pendant plus d’une décennie, il semble puiser sa splendeur éthérée de quelque espace-temps éloigné, inventer le cinéma à chaque plan, exprimer ce qui relève de l’indicible en une symphonie animiste, à la fécondité torrentielle, qui enchante les sens et serre le cœur. D’un lyrisme cosmique, d’une maîtrise et d’une inspiration qui sembleraient presque écrasantes si elles étaient dénuées d’une si totale plénitude, l’œuvre, à la fois prosaïque et éthérée, fait partie de ces créations rarissimes qui semblent charrier un univers entier, et dont chaque plan pourrait valoir un film par ailleurs. A travers un oratorio panthéiste qui fonde hommes et nature en une unité organique, où tout - corps, paysages et voix - paraît résonner et briller pour la dernière fois, Malick aligne les visions fulgurantes : le visage d’un cadavre enseveli sous l’humus et retournant à la poussière originelle, un oisillon mort-né au milieu des explosions, un palétuvier naissant, racines apparentes, entre le ciel et la terre... Ce film me laisse sans voix.

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10. Il était une fois en Amérique – Sergio Leone

Noodles a dormi pendant trop longtemps. Noodles a trahi ses amis. Dans les volutes de l'opium, Noodles se souvient. Sergio Leone, lui, a mûri son film pendant quinze ans, l'a nourri de tout son génie de la dramaturgie, de tout son goût pour les mythes fondateurs de l’Amérique, la reconstitution grandiose, l’outrance des événements et des personnages (s’épanchant ici dans un classicisme somptueux). Le parcours de son héros, à travers cinquante ans de gangstérisme, sera l'écrin d'une méditation proustienne sur la mémoire, le passé, la nostalgie d'un homme hanté par ses démons. Film-fleuve, film de légende, film d'une vie qui, dans un élan invraisemblable d'ambition, prétend ressusciter l'essence d'une société, d'une époque, d'un monde, Il était une fois en Amérique est comme la rêverie mélancolique d’un artiste fantasmant sur un cinéma perdu. D'une ampleur romanesque à peu près sans équivalent dans l'histoire du septième art, suivant les méandres d'une construction impériale, cette fresque opératique et crépusculaire, dont les enjeux narratifs et psychologiques retrouvent la puissance des plus grandes tragédies, est peut-être, à bien y réfléchir, le dernier vrai classique du cinéma américain. Quelque part, c'est une incarnation du Cinéma tout court.

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11. Abyss - James Cameron

Grand cinéaste dont la sensibilité n’a d’égale que l’ambition, James Cameron signe là son plus beau film, le plus délicat, émouvant et fragile. Homme de défis insensés, le futur réalisateur de Titanic embauche une équipe énorme pour un tournage sous-marin épique, et dépense des millions de dollars pour raconter la plus belle des histoires : la réconciliation amoureuse d’un homme et d’une femme au fond des mers. Transcendé par le couple Ed Harris-Mary Elizabeth Mastrantonio (tous les deux magiques), cet extraordinaire film d’aventures humaines conjugue l’efficacité à toute épreuve d’un suspense magistralement orchestré (Cameron est, avec McTiernan, le plus grand nom du film d’action pure aux États-Unis) et la force d’une magnifique intrigue sentimentale. Une nouvelle fois, le cinéaste filme l’élément aquatique comme personne : ses images et ses effets spéciaux sont d’une beauté incroyable, et nous transportent dans un ailleurs merveilleux, presque aux origines de la vie. Les séquences superbes se succèdent, de l’apparition de l’alien à tête polymorphe jusqu’à cette instant inouï où Bud ramène Lindsay à la vie (une des scènes les plus fortes de ma vie de spectateur, au bas mot). Bref, un film absolument sublime.

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12. Vertigo – Alfred Hitchcock

Par où commencer ? Comment synthétiser en quelques lignes la profondeur abyssale, la richesse, la maîtrise de ce chef-d’œuvre légendaire du septième art, pilier fondateur de bon nombre de passions cinéphiles ? Dire pour la énième fois que l’enquête menée par Scottie (James Stewart, frémissant) n’est qu’un alibi : le film traite d’une obsession morbide et passionnelle aux accents de tragédie. Tenter de saisir l’architecture, les spirales et la virtuosité d’une mise en scène dont on n’en finit pas de découvrir la méticulosité chorégraphique, les échos picturaux, l’extrême complexité : mission impossible. Comprendre que Vertigo, sous des airs de thriller, est une poignante histoire d’amour idéalisé (donc impossible à concrétiser), qu’il nous invite à une plongée introspective, suit le trajet mental d’un homme pris au piège du désir nécrophile et de la fatalité. S’apercevoir que l’atmosphère lyrique et fantasmagorique de l’œuvre, sa portée presque mythologique, les brèches béantes qu’elle ouvre sur le faux-semblant, la psychanalyse, le rêve, la mort, suscitent la plus profonde des fascinations tout en révélant le désespoir infini de l’intrigue. S’arrêter là et laisser chaque spectateur s’emparer du film le plus douloureux du maître, pour qu’il s’abandonne, à son tour, au vertige.

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13. Barry Lyndon – Stanley Kubrick

Passablement mégalo, Stanley Kubrick, créateur tout puissant de la planète ciné, décide un jour de construire un monde. Echaudé par le capotage de son Napoléon, le démiurge persiste dans la veine historique et verse dans la reconstitution du Siècle des Lumières. Du coup, tout ce qui a été fait avant lui est enterré (depuis, tout le monde a compris que ce n’était même pas la peine de rivaliser). Kubrick condense dans sa fresque monumentale l’essentiel de sa vision misanthrope d’une humanité régie par les ambitions et les vanités : en une somptueuse démolition des valeurs du XVIIIè siècle, Barry Lyndon sera la plus cinglante peinture de la décrépitude de classes supérieures en voie d’écroulement, épinglées dans leur morgue figée avec une acuité distanciée et implacable. Profonde réflexion sur l’Histoire, dont la splendeur altière, la noblesse et la richesse picturale dominent, au bas mot, à peu près toute la seconde moitié du siècle cinématographique, le film de Kubrick reste, trente-cinq ans après sa sortie, un monument qui subjugue par son ambition, sa richesse et son perfectionnisme, par son mariage saisissant de pessimisme et de sérénité contemplative, et par la compassion profonde qui sourd constamment de la cruauté des guerres en dentelles.

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14. La Soif du Mal – Orson Welles

Paria à Hollywood exilé en Europe, Orson Welles est appelé par Charlton Heston pour adapter un polar médiocre de Whit Masterson. Le génie accepte : il transforme le roman de gare en vision goyaesque de la corruption, en réflexion sulfureuse sur l’ambiguïté de la justice, la réversibilité du bien et du mal, l’ambivalence des êtres. D’une virtuosité stylistique hallucinante, le film enchaîne les morceaux de bravoure à un rythme haletant, depuis le plan séquence d’ouverture, légendaire, jusqu’à un final shakespearien au cœur d’un no man’s land jonché de mares et de poutrelles. L’affrontement prodigieux entre Vargas, le vertueux inspecteur mexicain qui sera obligé de transgresser les lois pour vaincre son ennemi, et Quinlan, le flic américain pourri auquel Welles confère une dimension mythique, est filmé dans une atmosphère poisseuse au possible, sous des angles décadrés et une lumière ténébreuse qui transforment le monde en cauchemar baroque. De cet univers infernal, illuminé seulement par la beauté de Janet Leigh, innocence exposée au mal, Marlene Dietrich est le témoin désabusé : elle semble être la seule à comprendre que le secret des êtres est une notion qui échappe à tout jugement humain. "He was a man", dit-elle en parlant du monstre déchu tué par son ami, nouveau Iago. Conclusion extraordinaire d’un film noir qui l’est tout autant.

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15. Batman, le Défi – Tim Burton

En 1992, deux ans après Edward, que beaucoup considèrent comme son chef-d’œuvre, Tim Burton est travaillé par des forces tourmentées, ravageant de l’intérieur le spectacle hollywoodien qu’il fait mine de servir. Ses héros y sont des êtres malades, poignants, sexués, son inspiration rend grâce aux humiliés et aux déviants, aux ombres gothiques et aux divagations inquiétantes, creuse les fêlures et l’altérité d’une humanité souffrante, et porte à son zénith une poésie mélancolique sans équivalent. Ce second volet de la franchise est une splendeur gothique et tourmentée qui réunit toutes les obsessions du réalisateur et porte à sa quintessence son génie visuel. Baroque, ludique, mélancolique, peuplé de figures inoubliables (Michelle Pfeiffer en skaï verni noir restera pour toujours l’un de mes grands fantasmes de spectateur), ce film m’est extrêmement cher pour sa poésie singulière, sa folie fellinienne et exubérante pleinement assumée et l’extrême acuité avec laquelle il dépeint les affects et les contradictions de personnages dont l’ambiguïté fait toute la richesse. La partition de Danny Elfman est une authentique merveille, et le film réunit de multiples influences (de Dickens à Metropolis) sans jamais rien abdiquer de la personnalité unique de son auteur. Tim Burton n’est peut-être jamais allé aussi loin dans la démesure, été aussi cinglant d’ironie dans sa peinture de la décadence américaine, aussi inspiré dans la création d’un univers fantasmagorique et de personnages à la fois tragiques, grotesques, pathétiques. Un pur chef-d’œuvre à mes yeux.

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16. La Dolce Vita – Federico Fellini

Objet d’un énorme scandale à sa sortie, cible de l’ire des ligues de vertu italiennes, la vaste fresque romaine de Fellini, habitée par le désenchantement et l’ironie désespérée, reste pour moi le plus grand film de son auteur. Parce qu’en une suite de tableaux tour à tour féroces, grinçants ou insolites, le maestro dresse le portrait définitif d’une société déliquescente perdue dans ses turpitudes. Parce que les séquences splendides se succèdent, du strip-tease de Nadia Gray devant une jet-set décadente à la découverte du monstre marin échoué sur la plage d’une aurore désabusée. Parce que Marcello Mastroianni (projection évidente du cinéaste), impose, dans son détachement factice, un charisme soufflant. Parce que Fellini, en abandonnant les voies balisées du récit linéaire pour privilégier le flux poétique des émotions, des fantasmes, de l’onirisme, ouvre la voie de ses films suivants, marqués par la rencontre du réel et de l’imaginaire. Parce que cette parabole sur la vacuité de l’existence, la peur du temps qui passe, le cynisme et l’indifférence d’un microcosme qui tente d’oublier son inanité dans une agitation incessante, est peut-être le film le plus lucide et pénétrant jamais réalisé sur l’angoisse existentielle – carburant vital pour nombre d’artistes.

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17. Sur la Route de Madison – Clint Eastwood

Que ceux qui prennent encore Clint Eastwood pour un dur (en reste-t-il ?) voient cette pépite réalisée il y a 15 ans. Qu'ils soient bercés par sa délicatesse fragile, puisant dans les cœurs amoureux une douce euphorie, avant d'être anéantis par sa douleur déchirante. Qu'ils se rendent compte à quel point Eastwood se fait sismographe des sentiments, peintre des tropismes de ses personnages, à quel point il sait capter dans leurs plus infimes variations les émotions de Robert et de Francesca, chavirés par une passion incandescente. Clint a de quoi être concerné : c'est lui qui interprète le photographe des automnes orangés, des prairies ondoyantes, des soleils couchants - le film est gravé dans une poussière d'éternité. Face à lui, Meryl Streep trouve son plus beau rôle, mère de famille foudroyée par l'amour, déchirée par le dilemme, qui choisira de ne pas le suivre pour mieux préserver l’éternité de son souvenir. Inscrite dans le souffle du vent, la poussière dansante, le soleil rasant, cette idylle étourdissante de délicatesse et de sensibilité est de celle qui accompagne une vie de cinéphile. Lorsque, à la fin, Robert s'éloigne en un adieu qui se prolonge comme une caresse, sous une pluie se confondant avec les larmes, la certitude d’avoir assisté à l’une de ces œuvres rares prend aux tripes.

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18. La Règle du Jeu – Jean Renoir

C’est avec l’aisance d’un Beaumarchais raillant dans son théâtre les manèges mondains et annonçant la Révolution que Jean Renoir dresse ce tableau "objectif" de la société française à la veille de la guerre : véritable tollé à sa sortie, ce n’est rien moins qu’une œuvre prémonitoire et l’un des films les plus importants du monde, dont on mesure aujourd’hui encore toujours la portée, la richesse et l’intelligence. Portant à son sommet la veine humaniste et chaleureuse de La grande Illusion, l’étude de mœurs, éblouissante, érige le faux-semblant en art de vivre, brocarde la futilité des relations amoureuses, l’égoïsme de classe, l’antisémitisme, mêle dans un même mouvement virevoltant peinture acide de l’aristocratie, mise en cause explicite du mensonge social, approfondissement psychologique des personnages. Formellement, c’est une sidération de tous les instants : chevauchements des situations, mise en parallèle permanente du monde des maîtres et du monde des valets, raccords dans le mouvement, usage révolutionnaire de la profondeur de champ, peintures naturalistes alternant avec débit-mitraillette d’un vaudeville étourdissant qui ne laisse pas un instant de répit. Entre satire cinglante et marivaudage tragique, cette "fantaisie dramatique" se redécouvre avec la même stupéfaction à chaque nouvelle vision.

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19. Thelma et Louise – Ridley Scott

Thelma et Louise sont en fuite. L’une a tué un type qui s’apprêtait à violer sa copine. Commencée en promenade de vacances à travers paysages, night-clubs et motels du Nouveau-Mexique, leur aventure se transforme en équipée sauvage, mue par l’urgence des dernières fois (elles savent au fond d’elles-mêmes qu’elles ne s’en sortiront pas) et par la force d’une amitié indéfectible. L’histoire est plus que sombre : elle est presque tragique. Le film de Ridley Scott, lui, suscite paradoxalement un sentiment d’euphorie, parce que le réalisateur, collé aux basques de son duo d’héroïnes (fantastiques Susan Sarandon et Geena Davis), choisit de traiter la cavale comme la plus exaltante des odes à la liberté et comme un hymne splendide aux beautés de l’Amérique profonde (il n’y a que lui pour filmer ainsi les paysages traversés). Baignée dans une bande originale belle à pleurer (qu’il s’agisse des tubes musicaux ou de la partition d’Hans Zimmer), ce magnifique road-movie anti-machiste (mais à des kilomètres de la caricature réductrice, comme en témoignent les deux superbes rôles masculins tenus par Harvey Keitel et Michael Madsen) suscite une émotion croissante jusqu’à un final des plus poignants. C’est sans conteste l’un de mes films les plus chers.

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20. J.F.K. – Oliver Stone

Maelström prodigieux d’images et de son, qui recoupe archives, reconstitutions et extrapolations en une forme incandescente, brute de décoffrage, J.F.K. porte l’art d’Oliver Stone à son apogée. Il y a là une maîtrise, une virtuosité, un savoir-faire à la limite de la roublardise, qui confinent à la démonstration de force. On adore ou on déteste. Quoi qu’il en soit, le style percutant du cinéaste doit être mesuré dans toute son importance : un type comme Michael Moore doit bien savoir, aujourd’hui, ce qu’il doit à celui qui, dans un élan enragé de provocation et d’indignation, a osé, stars en guirlande à l’appui, illustrer la thèse-scandale du juge Jim Garrison concernant l'assassinat de Kennedy. Plein comme un œuf, sans cesse au bord de l’implosion, aussi haletant et excitant que le plus intense des thrillers, le film avance comme un bolide enflammé, bombarde les informations, réveille les consciences, suscite la réflexion – une réflexion orientée, marque d’un cinéaste engagé qui ne brandit jamais la bannière de l'objectivité. Si je voue un culte à J.F.K., c’est aussi parce qu’il est un formidable plaidoyer pour le droit à la vérité, et parce que sa force de frappe "civique" appuie là où ça fait mal.

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Dernière édition par Stark le 08 Déc 2010, 14:48, édité 2 fois.

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Puis viennent 85 films que je chéris comme mes frères...


8 ½ – Federico Fellini

Trois ans après le triomphe scandaleux de La Dolce Vita, Fellini, au faîte de son inspiration poétique, se lance dans la plus fabuleuse des auto-analyses critiques, abolit les frontières entre son œuvre et lui, mêle réel et imaginaire, vie intérieure et vie extérieure en un tourbillon prodigieux où miroitent les émotions les plus variées. Se livrant en toute impudeur (angoisses et incertitudes d’artiste, fantasmes œdipiens, solitude et frustrations sexuelles, tout y passe), déstructurant son récit avec une audace radicale, le cinéaste se livre à la plus extraordinaire mise en abîme du processus et de la catharsis de la création artistique, à une réflexion introspective d’une portée universelle. Visuellement, c’est une splendeur de tous les instants, que ce soit dans la magie ineffable de la photographie, qui distille un onirisme fascinant, ou dans la cascade de séquences inoubliables, véritables films dans le film, que convoque une construction éclatée : telle la scène du harem qui voit Guido mener ses femmes au fouet, ou encore celle, finale, où toutes les créatures réelles et fantasmées de l’artiste se lancent dans une ronde endiablée.

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After Hours – Martin Scorsese

A bout de nerfs, exténué, Paul Hackett, perdu dans les rues d’un New York transformé en labyrinthe kafkaïen, tente d’échapper à une bande de harpies furieuses qui semblent vouloir sa peau. Comment en est-il arrivé là ? Que se passe-t-il ? Est-ce qu’il est en train de rêver ? C’est tout le sel du film le plus déjanté de Scorsese, l’un de ses plus méconnus aussi. Haletante, virtuose, tour à tour hilarante et déroutante, cette folle virée dans la nuit de cette ville que Scorsese a si souvent filmée me vaut la plus intense des jubilations, parce qu’elle pousse ses situations tellement loin qu’elle débouche sur des passages de délire authentique. After Hours se vit comme une tornade démentielle : à l’image du héros, on ne peut que subir l’enchaînement drolatique des événements qui nous tombent dessus. C’est alors que le film dévoile sa nature allégorique : derrière sa folie burlesque, le parcours de Paul ne serait-il pas d’ordre initiatique ? et le film une métaphore de l'absurdité du monde ? de l’aliénation urbaine ? du mécanisme de l’angoisse ? des fantasmes et peurs inconscients de l’Américain moyen, embarqué malgré lui dans une aventure qui le dépasse ? Bien avant toutes ces lectures, After Hours est une comédie jouissive, endiablée, qu’il faut voir et revoir pour en appréhender toutes les richesses.

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Aguirre, la Colère de Dieu – Werner Herzog

Pérou, au cœur du XVIè siècle. Un groupe de conquistadors, mené par un chef dément, s’enfonce dans la jungle, en quête de richesses, de terres, d’absolu. Werner Herzog transforme l’épopée en opéra macabre, fait de l’aventure d’Aguirre, personnage shakespearien auquel Klaus Kinski, possédé, halluciné, confère une intensité inouïe, une parabole terrifiante sur le pouvoir, l’oppression, le ravage exercé par l’ambition et la mégalomanie sur les esprits. Le film s’ouvre sur la longue procession des soldats descendant à travers le brouillard le flan d’une colline. La musique de Popol Vuh lui donne une dimension mystique. Les deux heures qui suivent orchestrent une implacable spirale vers la folie et la mort, une descente aux enfers aux allures de blasphème noir, illuminé par des images glorifiant une nature grandiose. Peu de films atteignent la puissance d’envoûtement et l’intensité à la fois grotesque et lyrique de ce cauchemar éveillé. Que ceux qui ne l'ont pas encore vu se hâtent de le découvrir : c’est un poème immersif, viscéral, sublimé par le souffle de la mise en scène, dont la puissance tient à la rencontre de l’hyperréalisme historique et des préoccupations spirituelles d’un cinéaste qui se fait scrutateur du cœur et des âmes.

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Andrei Roublev – Andrei Tarkovski

Andrei Tarkovski était croyant, mais sa foi se situait à une telle altitude spirituelle qu’on peut faire de cette admirable fresque médiévale une lecture laïque aussi bien que mystique, l’inspiration artistique pouvant ainsi être due au génie créateur de l’homme tout autant qu’à l’incidence divine. Ode humaniste témoignant d’autant de splendeur que de rigueur dans son expression picturale et portant à des sommets d’exigence et de profondeur la méditation poético-plastique du cinéaste, le film s’inscrit dans une reconstitution historique suffocante de réalisme (plus proche de Bergman que d’Eisenstein) de la Russie du XVè siècle, ce territoire où passe l’immensité de la terre et du peuple russes. C’est une extraordinaire épiphanie moderne, divisée en chapitres alternant entre frénésie épique et vision élégiaques, à travers laquelle Tarkovski tente, en une réflexion "soufferte" et vivante sur la vocation "au bien" de l’art, d’assumer la prophétie dostoïevskienne selon laquelle la beauté sauvera le monde. Du spectacle de la barbarie humaine aux visions saisissantes d’une cérémonie nocturne et païenne, le film coupe le souffle.

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L’Année dernière à Marienbad – Alain Resnais

Où Alain Resnais conquiert un nouveau territoire dans la représentation d’un espace psychique libéré des contraintes du récit linéaire en s’associant avec le chef de file du Nouveau roman, Alain Robbe-Grillet. Le bouleversement de la narration classique est total : construit comme un jeu de société (à l’image du fameux "jeu de Marienbad" qu’on y voit pratiqué), l’œuvre s’incarne par la grâce d’un dialogue leitmotiv qui se fait musical, mêle le présent au passé, le fantasme à la réalité, le mensonge à la vérité, au fil d’une superbe liturgie des images et des mots. Par le jeu infini des variations subliminales, des répétitions, des rimes, des échos visuels, par la fragmentation du montage, l’incroyable composition plastique des plans, l’abstraction du décor, la volupté obsédante des travellings, L’Année dernière à Marienbad atteint un degré de sophistication formelle qui traduit avec une expressivité poétique maximale les labyrinthes de l’esprit et de la mémoire. C’est sans doute l’un des films les plus originaux et ensorcelants que j’ai jamais vu.

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Annie Hall – Woody Allen

Naissance d’un auteur majeur en quelques points. D’abord, Diane Keaton qui déboule d’un taxi après avoir raté sa séance d’analyse : la femme allenienne est née. Ensuite, forme éblouissante et iconoclaste qui mêle en une série de vignettes les procédés les plus divers : sketchs, monologues intérieurs, interviews, entretiens analytiques, animation... Puis, ouverture du très personnel carnet intime de Woody, à travers lequel il récapitule sa liaison avec les femmes, s’exprime sur tous les sujets, assume sa personnalité névrosée mais libérée face à tout ce qui le préoccupe : la religion, l’amour, le show-business, la culture... Enfin, épanouissement d’un anarchisme narratif constituant pour son auteur un véritable acte libératoire sur le plan artistique, en ce que la quasi-absence de structure permet une prolifération de bons mots et de remarques hilarantes, tendres et spirituelles, favorisant un dialogue constant avec le spectateur et poussant à son comble le jeu avec le plan réel et le plan fictionnel. Premier grand film autobiographique d'Allen, Annie Hall demeure à ce jour l’un des chefs-d’œuvre les plus admirables d’une carrière exceptionnelle.

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A nos Amours – Maurice Pialat

Pialat et la vigueur écorchée, viscéralement physique, de son inspiration. Pialat qui guette toute possibilité de s’arracher à la pesanteur, qui empoigne la masse, traque l’élan fulgurant, la boue, le ciel bas, les plaies mentales et les appétits corporels. Toute la matière brute de son cinéma atteint son expression la plus intense dans cette histoire d’un œdipe douloureux, où l’hostilité adulte, qui est aussi amour infini, recule devant l’innocence à la fois mature et régressive de l’adolescente impudique (Sandrine Bonnaire, dix-sept ans et déjà le plus grand rôle de sa carrière). Il y a quelques chose d’unique et d'infiniment précieux dans cette œuvre toute de brutalité et de tendresse mêlées, à travers laquelle le cinéaste capte les moments où la violence tend à l’extrême des rapports familiaux exacerbés. Stupéfiant de spontanéité et d’authenticité, A nos amours est le film définitif sur l’âge difficile où, d’enfant, on devient adulte, pris au piège de la famille, de la société, de la morale et de sentiments contradictoires, entre l’appétit de vivre et la crainte de s’engager.

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L’Aurore – Friedrich Wilhelm Murnau

L’année de naissance du cinéma parlant est également celle où l’un des plus grands représentants du muet livre l’ultime aboutissement de son art. Atteignant au sublime par l'alchimie miraculeuse de tous les éléments cinématographiques, magnifiant dans l’image l’intensité des climats lumineux, la beauté fulgurante des plans et l’extraordinaire invention lyrique de ses mouvements d’appareil, Murnau raconte avec une puissance d’expressivité hors du commun la plus émouvante et immémoriale des histoires. "De partout et de nulle part", comme l’annonce le premier carton du film, elle renvoie à des dimensions absolues (le temps, l’espace, le couple et la passion), et invente un univers de lumières, d’ombres et de sortilèges où les personnages semblent mus par des forces obscures et des pulsions élémentaires, et où la puissance des sentiments s’inscrit dans un contexte cosmique qui retrouve la grandeur de la tragédie antique. La rencontre du fermier et de la vamp dans les marais au clair de lune, la promenade en tramway, la tempête, les retrouvailles du couple alors que le jour se lève... : ces scènes sont inscrites dans la postérité.

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L’Aventure intérieure – Joe Dante

L’un des fleurons du divertissement hollywoodien des années 80, et l’un des films qui ont bercé ma jeunesse. Modernisant et dynamisant le postulat génial du Voyage fantastique, Joe Dante sort de son chapeau le genre de bijou magique dont il a le secret, boosté par l’énergie galvanisante d’un formidable trio d’acteurs : Dennis Quaid en tête brûlée, Martin Short en hypocondriaque stressé et Meg Ryan en journaliste à croquer. Comme dans certaines autres grandes réussites de l’entertainment ricain de cette époque, le film abat toutes les cartes d’un potentiel dramatique énorme, et gagne sur tous les tableaux. Ce n’est pas seulement une suspense fantastique dopé à l’humour burlesque si savoureux du cinéaste, pas seulement un fabuleux voyage organique aux grandioses péripéties infinitésimales (aaahhh... la scène où Tuck découvre son enfant dans le corps de sa chérie !), pas seulement une merveille d’inventivité scénaristique : c’est aussi ce qui se fait de plus subtilement touchant dans le registre de l’aventure initiatique, une formidable histoire d’amitié à travers laquelle le type le plus angoissé du monde, guidé et stimulé par une petite voix intérieure neutralisant ses inhibitions, apprend à devenir un héros.

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L’Avventura – Michelangelo Antonioni

Comme Marienbad, ce film représente sans doute une étape décisive dans l’élaboration d’une nouvelle manière de faire du cinéma : c’est probablement l’un des sésames du cinéma moderne, en ce qu’il rompt de façon radicale avec la narration et la psychologie traditionnelles, invente une structure faite de temps morts, de pauses, d’interstices, révélateurs impitoyables de ces minuscules éboulements qui, peu à peu, viennent à bout de toutes les raisons de vivre, d’aimer ou de mourir. Je suis fasciné par la façon dont Antonioni parvient à fondre ses personnages dans un monde abstrait pour apaiser leur solitude : les décors (notamment dans la sublime première heure, sur l’île), photographiés de façon immensément picturale, y sont souvent des espaces vides qui renvoient au vide intérieur de ceux qui y évoluent. Film-manifeste de l’angoisse conjugale, de l’incommunicabilité, de l’aventure spirituelle, qui compose une lente dérive des cœurs et des corps et suscite une émotion paradoxale dans sa sécheresse même.

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The Big Lebowski – Joel & Ethan Coen

Prenez un hippie sur le retour, bubard au pied et pétard au bec, attendant que ça se passe la moitié du temps et glandant au bowling l’autre moitié. Flanquez-le d’un ex du Vietnam hystérique et d’un type qui confond Lenine et Lennon, à la masse. Faites croiser ces régals de personnages avec une artiste vaginale (!) avant-gardiste, des ex-stars du disco allemand reconvertis dans le kidnapping, un John Turturro déchaîné qui, en trois scènes, envoie le délire dans les strates du sublime... Vous êtes dans The Big Lebowski, film un peu culte. Si vous vous retrouvez nez à nez avec un Saddam Hussein qui garde vos chaussures, ne vous inquiétez pas : vous visitez l’esprit envappé du Dude. Si vous êtes largué par une intrigue (Chandler dans la faune hétéroclite du Los Angeles d’aujourd’hui) qui mixe sous-vêtements, doigt de pied, tapis et autres incongruités, ne vous en faites pas : les frères Coen sont ici pour pourvoir à votre jubilation. Ils y parviennent sans le moindre mal, merci, on sent même qu’ils leur en reste sous la pédale. J'aurais pu citer Miller’s crossing, relecture somptueuse et ironique du film noir, mais là j’avais plutôt la tête aux mésaventures jouissives de Jeff Bridges et sa bande de joyeux Pieds-nickelés (filmés avec une tendresse de tous les instants). Demain, ce sera peut-être l’inverse.

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Blue Velvet – David Lynch

Un parterre de roses d’un rouge éclatant dans une banlieue coquette. Le visage sardonique de Dennis Hopper, shooté à l’oxygène, persécutant Isabella Rossellini en un jeu sado-maso dont elle la victime à la fois terrifiée et consentante. Dean Stockwell, maquillé comme une Mustang volée, chantant Roy Orbison en play-back. La voix cristalline de Julee Cruise accompagnant le slow amoureux d’un couple de tourtereaux (faussement ?) innocents, précipité dans un univers de perversions. Autant d’images voluptueusement baroques de ce grand film de textures et de contrastes, avec lequel David Lynch impose son regard sur l’envers du décor et la pluralité des choses. Quelque part entre Lewis Carroll et Alfred Hitchcock, Blue Velvet se vit comme un cauchemar langoureux, nous invite à suivre l’itinéraire initiatique d’un adolescent découvrant le mystère inquiétant du monde qui l’entoure, et témoigne du tempérament visionnaire de son auteur en subvertissant les clichés du film noir pour les placer sous le signe de l’inconscient, du voyeurisme, de l’attirance malsaine pour le mal ou la monstruosité. A la fois sommet et synthèse de l’œuvre lynchienne, ce film n’a rien perdu de son pouvoir de fascination.

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Boulevard du Crépuscule – Billy Wilder

Billy Wilder a l’humour grinçant : avec Boulevard du crépuscule, il fait raconter l’histoire par la voix désabusée d’un cadavre flottant dans la piscine d’une luxueuse villa de Sunset Boulevard, le corps criblé de balles. Au sommet de son inspiration, le cinéaste orchestre le plus fascinant et ensorcelant apologue sur la grandeur et l'agonie de la mythologie hollywoodienne, véritable oraison funèbre où les stars, vivant seules dans leurs propres Xanadu, enterrent les chimpanzés qui leur servent de compagnons, où les valets-réalisateurs ruminent leurs gloires révolues, où les actrices, quasiment momifiées dans une grandeur déliquescente et morbide, déclament aux gigolos qu’elles engagent leurs rêves de célébrité. Depuis Wilder, aucun cinéaste n’a dépeint avec une telle acuité la réalité mortifère et anthropophage de la capitale du septième art : reflet d’un temps aboli, d’une mémoire du cinéma qui se distord dans une troublante et pathologique majesté, ce film noir au romantisme décadent conjugue de façon fulgurante les penchants expressionnistes, le goût de la tragédie et l’ironie caustique d’un des plus grands cinéastes du monde.

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Casablanca – Michael Curtiz

Il y a dans Casablanca assez de matière narrative et de personnages – policiers corrompus, officiers nazis, trafiquants et pickpockets, résistants et réfugiés – pour alimenter une dizaine de films. Au carrefour jamais retrouvé depuis du mélodrame exotique, du thriller d’espionnage, du prêche patriotique, et bien sûr de l’histoire d’amour (le merveilleux couple Rick/Ilsa est inscrit dans la légende), Michael Curtiz tend un extraordinaire réseau d’intrigues et fait jouer le drame sentimental et psychologique d’un trio dont chacun des protagonistes incarne un mode différent d’engagement (rationnel, sentimental, chevaleresque), au fil d’un scénario dont les louvoiements de l’action servent admirablement un propos où l’incertitude, le hasard, le mensonge et le bluff règnent en maîtres. Portant à son sommet le prestige d’un romanesque magique, le film suscite une profonde émotion jusqu'à son inoubliable final, lorsque le dernier mot revient au faux cynique qui aura su déguiser jusqu’au bout sa véritable nature et surmonter les déchirements du passé, à l’aventurier faussement désinvolte qui aura su devenir un patriote sans sacrifier son statut d’éternel outsider.

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Chinatown – Roman Polanski

Voir Jack Nicholson, privé fouineur, se faire astiquer le nez par un nabot interprété par Polanski lui-même, c’est déjà énorme. Quand Faye Dunaway, fascinante, est de la partie en femme fatale cachant un terrible secret, ça devient splendide. Lorsque, enfin, John Huston se livre à un étourdissant numéro de pourriture corrompue jusqu’à la moelle, on tient un objet rare. Et tout cela n’est qu’une partie du joyau qu’est Chinatown, plongée en eaux troubles dans les dessous nauséeux d’une société rongée par le vice, la duperie, les rapports de force souterrains, essence du film noir retrouvée par un cinéaste génial qui n’aime rien tant que reprendre les clichés du genre pour les réinterpréter à sa sauce. On se perd avec délice dans les ramifications d’une intrigue délicieusement retorse, on y goûte le mystère de la ville, magnifiquement filmée, qui donne son nom au film, on tombe sous le charme suranné d’une esthétique et d’une ambiance ressuscitant (en couleurs) tout un pan du cinéma que l’on croyait oublié, on y devine la perversion de rapports humains qui titillent nos plus troubles instincts (Polanski s’y connaît un peu dans ce rayon). Racé, vénéneux, désenchanté, Chinatown est le plus extraordinaire film d’atmosphère qui soit.

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Citizen Kane – Orson Welles

Lorsque je l’ai découvert, assez jeune, je n’imaginais pas qu’un film de soixante ans pouvait conserver aujourd'hui une telle audace et une telle force. Le génie d’Orson Welles, réalisateur-acteur qui signe son premier film (à 25 ans !) reste stupéfiant : jamais plus il ne retrouvera liberté artistique si absolue. Citizen Kane est fidèle à sa légende : c’est une œuvre époustouflante d’inventivité, de brio et d’énergie, carburant à l’enthousiasme et à la passion d’un artiste qui découvre, en même temps que nous, les pouvoirs du langage cinématographique. Utilisation de tous les procédés techniques comme illustration d’un discours passionnant, montage éclaté, rythme haletant des séquences, perspectives baroques : en une débauche paroxystique de virtuosité, Welles ouvre des pistes sur le secret, la mémoire, le pouvoir, la politique, les rapports entre sphère privée et sphère publique, l’enfance, la psychanalyse... Loin du monument poussiéreux que l’on peut redouter, ce film d'une éternelle jeunesse se redécouvre comme un musée vivant du septième art, invitant à participer activement à la recherche d’une vérité enfouie, symbolisée par un mot-énigme devenu pour beaucoup de cinéphiles le symbole de tout mystère à explorer : "Rosebud".

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Conversation Secrète – Francis Ford Coppola

Bien calée entre les deux volets du Parrain, la première Palme d’Or cannoise de Coppola est une pièce indispensable dans la tétralogie d’une rare cohérence que le cinéaste a dressée, dans les années 70, sur la société américaine (Apocalypse Now en étant la dernière partie). Génial jumelage d’une efficacité narrative toute américaine (le film est un thriller aussi complexe que passionnant) et de préoccupations cérébrales d’inspiration nettement antonioniennes (il reprend peu ou prou les choses là où Blow Up les avait laissées), Conversation secrète devance d’un an le scandale du Watergate en plongeant dans le quotidien troublant d’un homme dont le métier est de s’immiscer dans la vie des gens, et qui se fait peu à peu contaminer à son tour par une paranoïa qui le dépossédera de tout. Magistrale étude de la peur sous forme de pièce intimiste, montrant la fin d'un espion qui s’effondre, lui-même victime de son art, ce film transforme la captation du son en odyssée quasiment métaphysique, et fait de chaque forme acoustique un moyen autonome à l’aide duquel l’intrigue est poussée en avant et le spectateur fourvoyé, jusqu’à perdre pied avec ce qui constitue la réalité. Vertigineux. Voir aussi Blow Out au même rayon.

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Les Désaxés – John Huston

C’est une œuvre crépusculaire, qui se présente, plus qu’aucun autre film, comme un document ethnologique sur la mort au travail, la disparition des races condamnées par l’économie, cow-boys et chevaux sauvages. John Huston y affirme un style dont la nonchalance, voire l’indolence, ne fait que renforcer la poignante sincérité, et illustre un don unique pour provoquer l’événement, réunir des protagonistes à la croisée de leurs destins. Magnifique poème funèbre et désenchanté, conçu et réalisé avec un dédain rafraîchissant pour le brio technique et photographique superficiel à la faveur d’une approche d’une honnêteté et d’une franchise rares, cette œuvre poignante se dévoue entièrement à révéler les blessures, les fragilités, les rêves déçus et les erreurs de ses personnages, auxquels son trio d’acteurs mythiques apporte une densité inoubliable. Clark Gable en cow-boy vieillissant qui se libère de ses illusions, Montgomery Clift avec son regard douloureux revenu de tout, et Marilyn bien sûr, dans ce qui est peut-être son plus beau rôle, ont définitivement fait entrer le film dans la légende.

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Edward aux Mains d’argent – Tim Burton

"Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur", Edward chuchote, avec la douceur d’un flocon, la beauté des laids, leur besoin d’affection, la noirceur des banlieues pastels, et fort d’une palette délicate et subtile, rejoint sans coup férir l’éternité des légendes. Le film possède aujourd’hui l’envergure d’un classique. Météore intemporel de poésie, ovni complet dans le paysage du cinéma américain, ce film-phare du plus anticonformiste réalisateur hollywoodien de sa génération est l’une de ces œuvres rares sur lesquelles à peu près tous les spectateurs peuvent se dire d’accord. Sublimé par l’imaginaire fécond et la sensibilité écorchée d’un artiste qui, à trente ans, témoigne à la fois d’un univers esthétique unique et d’une vision de l’humanité, du monde et des choses qui n’appartiennent qu’à lui, ce conte cruel et acidulé, drôle et mélancolique est aussi le film qui a pour toujours imposé Johnny Depp, lunaire, comme l’un des plus grands acteurs de sa génération. La scène où il fait naître les flocons en gravant la silhouette de sa bien-aimée dans la glace, sous la musique inoubliable de Danny Elfman, est un pur instant de féerie, parmi les plus beaux jamais filmés.

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Elephant Man – David Lynch

Mel Brooks, spectateur effaré d’Eraserhead, offre à David Lynch la possibilité de toucher un plus large public sans rien céder de ses obsessions et de ses préoccupations artistiques : ce sera Elephant Man, le film le plus bouleversant jamais réalisé sur l’exclusion, la différence, la monstruosité (physique ou cachée) du genre humain. Avec un humanisme qui n’a qu’un égal dans l’histoire du cinéma (le mythique Freaks de Tod Browning) et la proximité compassionnelle qui lui vaudra ses plus beaux films, Lynch restitue le cauchemar et le martyr d’un homme rabaissé par ses frères au rang de phénomène de foire, qui ne trouvera sa dignité qu’auprès d’un médecin conscient des trésors de sa sensibilité et de son intelligence. Dans une extraordinaire reconstitution industrielle de l’atmosphère victorienne, véhicule idéal pour toutes ses ambitions picturales, le cinéaste titille les zones les plus troubles de ce qui nous constitue (ce fameux champ de l’inconscient qu’il ne cessera de défricher par la suite), et touche au plus profond de nos perceptions de spectateur, interpellant les fondements même de notre humanité.

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E.T. l’Extraterrestre – Steven Spielberg

E.T. possède le regard d’un bébé et la voix d’une grand-mère. Il vient du ciel, et se retrouve dans la chambre d’un enfant qui souffre de ne plus avoir de père. Il est le visage éternel de l’ami, le réceptacle comme la source de notre besoin vital d’affection. Tout ça peut sembler d’une mièvrerie absolue (désolé), mais le film, lui, accomplit le miracle de ne jamais verser dans la niaiserie. Parce que le type qui est derrière la caméra, sans cesse sur le fil du rasoir, ne cède jamais à son péché mignon de la sensiblerie et fait palpiter les fibres qui, on n’aura de cesse de s’en apercevoir tout au long de sa filmographie, le constituent en tant qu’homme, et donc en tant qu’artiste : celles de l’enfance, de la famille, et du merveilleux qui transfigure le réel. E.T. demeure peut-être, aujourd’hui encore, sa plus belle réussite, parce qu’il tire de l’histoire la plus simple qui soit des résonances universelles, et parce que la force tranquille avec laquelle il réussit à faire rire, à faire peur, à faire pleurer, ne trouve pratiquement aucun équivalent dans le cinéma populaire. On peut toujours s’amuser à analyser les ressorts religieux, psychanalytiques ou mythologiques de ce conte fabuleux ; l’essentiel, un spectateur de dix ans le ressentira au plus profond de lui-même.

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L’Étoffe des Héros – Philip Kaufman

De 1947 aux années 60, c’est aux quinze années de la conquête de la "nouvelle frontière" que Philip Kaufman s’attache ici, en remplaçant la mythologie des pur-sangs et du désert de l’Ouest par celle des astronefs et des étoiles, mais en reconstituant avec le même souffle de l’épopée toutes les étapes décisives de l’aventure de l’espace. Rarement trois heures auront passé aussi vite qu’au cours cette passionnante évocation historique, qui conjugue à merveille sa valeur documentaire (les faits et les événements y sont relatés avec une exactitude minutieuse) et sa lucidité critique (voir à ce titre l’humour au vitriol avec lequel est dépeint Lyndon Johnson). Distancié dans son attitude fondamentale envers l’histoire américaine, témoignant d’un équilibre parfait entre scènes d’action et moments intimistes et d’un sens du rythme et du spectacle proprement euphorisants, Kaufman signe là une œuvre galvanisante, magnifiquement portée par une pléiade de stars en devenir qui confèrent force et densité à leurs personnages d’individualistes courageux, portés par la même volonté d’explorer l’inconnu. Le score exaltant de Bill Conti parachève le tout.

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Eyes Wide Shut – Stanley Kubrick

Le dernier film de Stanley Kubrick s’ouvre sur le corps nu de Nicole Kidman, objet du désir dévoilé en un plan elliptique. Il s’achève sur le mot "Fuck", sésame provocant qui clôt une aventure doublement vécue : la première, nocturne, sous l’empire d’Eros, la seconde, diurne, sous celui de Thanatos. Entre ces deux passages clés, une errance d’ordre probablement mental, le parcours d’un homme dont les certitudes, à la suite de la confession impudique de son épouse, s’effondrent. Dans le sillage des maîtres européens (Antonioni, Bergman), Kubrick se concentre sur la chambre à coucher, haut lieu de fantasmes, et orchestre une dérive hypnotique aux confins du mystère conjugal. Réalisé avec une rigueur souveraine dispensant la fascination jusqu’à l’hypnose, Eyes Wide Shut est un film duquel on devine d’infinies richesses, mais qui reste insaisissable jusqu’au bout. A l’opposé du thriller sulfureux que la rumeur présageait, le cinéaste invite à une interrogation dédaléenne sur les fondements du désir, de la confiance et de la fidélité, sur la peur du sexe, l’impasse de l’hédonisme, la fragilité des apparences, et suscite, dans le labyrinthe d’un univers où tout se fait signe, faux-semblant, un insidieux vertige. Ce diamant serti dans des bleus glacis et des rouges infernaux est son œuvre la plus fragile, la plus intimiste, la plus émouvante peut-être : comme l’ultime rhétorique l’indique, il ne raconte rien d’autre que le triomphe de l’amour d’un couple sur les forces qui le menacent. C’est ainsi que, pour la première fois, l’inquiétude existentialiste de Kubrick s’ouvre à la possibilité du bonheur.

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Fargo – Joel & Ethan Coen

Portraitistes décapants, peintres désabusés mais compatissants de la nature humaine, les frères Coen signent peut-être ici leur meilleur film. Mis en scène au cordeau, savoureusement interprété (Frances McDormand en fliquette débonnaire à l’esprit acéré, William H. Macy en victime résignée de la scoumoune, Steve Buscemi et Peter Stormare en truands minables…), cette pure merveille orchestre la collusion entre l’univers vide d’un Beckett et une fiction noire archétypale, et pose un regard aussi curieux qu’affligé sur la stupidité de l’Amérique profonde. Une trace de sang s’écoule lentement sur la neige immaculée, et c’est toute la dimension absurde d’un fait divers ordinaire qui crève l’écran. Glaçant (meurtres éclatant avec une violence sèche) et hilarant (de Showalter aux prises avec un employé de parking zélé aux retrouvailles de Marge avec un ami d’enfance amoureux, les scènes d’anthologie pleuvent), Fargo s’impose en creux comme la plus pénétrante illustration de la bêtise humaine, de cet engrenage terrible qu’elle peut entraîner, et qui nous renvoie au fond à un insondable mystère. Insondable comme la neige de la télévision dans laquelle se perd le regard vide de Grimsrud, comme la neige de ce Minnesota hivernal recouvrant une tragédie banale dont on ne sait s’il faut rire ou s’effrayer... Génial.

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Faux-Semblants – David Cronenberg

L’effroi et la fascination : c’est ce que l’on ressent avant tout lorsque l’on sort de ce huis-clos suprêmement dérangeant de Cronenberg, cinéaste habité par la transgression physique et morale mais qui troque ici l’horreur spectaculaire de ses films précédents pour un minimalisme glaçant. On ne perd pas au change. Le pire, c’est que l’on ne sait absolument pas quelle est au fond la raison du malaise qui nous prend aux tripes. Est-ce la panoplie chirurgicale des jumeaux Mantle ? Le double processus de dégradation mentale suivie par les protagonistes ? Ces images monstrueuses que l’on redoute de voir mais que le cinéaste, pervers au possible, nous fait seulement imaginer (c’est bien pire) ? La seule certitude, c’est d’avoir assisté à un film magistral, plongeant au plus profond de nos terreurs psychologiques et s’appliquant à nous déstabiliser pour mieux nous émouvoir. Car, toute cérébrale qu’elle soit, cette descente aux enfers, variation troublante sur la gémellité, la difformité, la folie, s’avère des plus poignantes, sans qu’on puisse en saisir, là encore, les raisons factuelles. Jeremy Irons, dans la peau de deux personnages opposés, liés par un lien vital et mortel à la fois, est absolument époustouflant.

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La Fièvre dans le Sang – Elia Kazan

Magnifiant l’inspiration de son précédent film, Le Fleuve sauvage, mais s’éloignant de l’apaisement fordien de ce dernier au profit d’un style exacerbé et flamboyant, Elia Kazan réalise ici ce qui demeure son plus beau film à mes yeux, une magnifique et déchirante histoire d’amour impossible dans le contexte économique tourmenté de la fin des années 20. A partir d’une intrigue forte et complexe, le cinéaste fait éclater les thèmes qui lui sont chers, que l’intelligence du scénario, la précision et le lyrisme de la mise en scène portent à un degré d’incandescence : l’indécision amoureuse des adolescents, la nécessité de faire un choix pour devenir ce que l’on est, le conflit entre l’ancien et le nouveau, le hiatus entre les pratiques d’une société corrompue par l’argent et la morale dépassée qu’elle prétend perpétuer. C’est un sublime poème sentimental, une réflexion sensible sur l’écoulement du temps qui inscrit un destin individuel dans l’histoire collective, et qui trouve une incarnation bouleversante dans l’interprétation de son duo d’acteurs : Warren Beatty, fragile, névrosé, et Natalie Wood, jeune fille hypersensible et perturbée aux brusques élans de tendresse.

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Les Fraises Sauvages – Ingmar Bergman

Ingmar Bergman n’a pas quarante ans lorsqu’il réalise le plus beau des films testamentaires, le magnifique bilan existentiel d’un vieil universitaire, couvert d’une nostalgie prégnante, où la féérie d’un temps retrouvé par les dérèglements de la mémoire se marie à une hauteur de vue et à une mélancolie suave qui cèderont par la suite la place à une dureté et à une amertume sans appel. En une approche lucide et bienveillante de la vieillesse, très éloignée de l’angoisse existentialiste de son précédent Septième Sceau, le cinéaste égrène un cortège de regrets et de récriminations, mêle ses grandes interrogations métaphysiques (la vie, la mort, Dieu...) aux questions morales (le couple, la solitude, l’égoïsme, le bonheur terrestre...) dans un style qui doit autant à l’expressionnisme qu’à la tradition symbolique du cinéma muet nordique. Superbement interprétées par Victor Sjöstrom, ces Fraises Sauvages distillent une émotion tour à tour inquiète et radieuse, inventant des images et des scènes mémorables (à l’instar du rêve surréaliste qui ouvre le film) jusqu’à une conclusion d’une sérénité et d’un apaisement totaux.

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Dernière édition par Stark le 08 Déc 2010, 14:51, édité 1 fois.

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Gens de Dublin – John Huston

Certains grands artistes atteignent sur la fin de leur vie une forme de grâce, une plénitude qui leur valent les œuvres les plus belles et les plus personnelles de leur carrière. John Huston, géant du cinéma américain dont nombre de films auraient droit de cité ici, en fait partie. A 87 ans, cloué sur un fauteuil et ne pouvant respirer qu'à travers un masque, il offre, à travers une adaptation de James Joyce, son magnifique testament spirituel : une variation poétique sur la fuite du temps et la mort, photographiée dans un clair-obscur semblant provenir d'un autre monde. Difficile de rendre grâce, par les mots, à la splendeur tranquille de cette veillée funèbre, douce litanie méditative qui fait fi de toute dramatisation pour privilégier les instants de vérité suspendus, capter les impressions et les émotions des membres d'une famille irlandaise filmée avec une extrême proximité humaine, et chez qui, dans un ultime accès de sérénité, Huston semble puiser, au soir de sa vie, les racines de son existence. Huis-clos feutré qui enveloppe par sa mélancolie discrète, sa chaleur humaine, son rythme musical, l'œuvre s'achève sur un magnifique et interminable travelling caressant les tombes d'un cimetière. Quelques mois plus tard, le cinéaste s'éteindra.

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Gerry – Gus Van Sant

L’horizon, le soleil, le désert, et deux potes perdus entre ces trois pôles, lignes de force d’une œuvre scotchante qui envoie aux orties absolument toutes les règles cinématographiques en vigueur. Si Gus Van Sant pousse l’expérience jusqu’à l’ascèse (ou plus exactement la pureté), c’est pour remuer chez le spectateur les plus profondes des zones sensorielles et existentielles. Gerry fait partie de ces œuvres rares qui, tout en autorisant toutes les lectures, s’inscrivent dans la matérialité la plus tangible. La traversée des deux héros pourrait figurer tout à la fois un retour aux origines archaïques et primitives du monde (la conquête de Thèbes n'est-elle pas évoquée autour d'un feu de camp ?), en même temps qu'une confrontation à la notion même d'éternité, qui n'est rien d'autre qu'un présent perpétuel et absolu. Poème épique, solaire, à la fois terminal et inaugural, extrêmement physique et éminemment abstrait, qui invente toute une parabole sur la liberté ou, au contraire, la difficulté de sortir de la route, de gérer l’infini des possibles, Gerry semble se dissoudre petit à petit, à l’instar de ses protagonistes, dans une minéralité qui renvoie à la menace terrible de la disparition et de la perdition – à moins qu’elle ne porte en germe la promesse d’une renaissance. Car le désert est ici le lieu d'un désastre immémorial, quelque chose de souterrainement terrifiant qui, comme dans Elephant, n'est pas du ressort de la fatalité, mais plutôt le fait d'un "obscure clarté", d'une manière de transparence crépusculaire et évidée du monde - une transparence insondable des choses. Entre dilatation et rétrécissement, divagations fluorescentes et hyperréalisme sur lequel l'œil du spectateur, comme les deux protagonistes, est condamné à glisser, Gerry suscite des interrogations vertigineuses. Ses audaces plastiques ouvrent sur l'allégorie : ces plans où nous voyons le ciel défiler à grande vitesse alors que la terre reste immobile valent-ils comme une recréation de l'univers ? Respirations coupées, aubes brumeuses, mort dans les nuages, courses belles et tristes au son des notes lancinantes d’Arvö Part : l’hypnose qui résulte de cette élégie à l'amitié, se désagrégeant progressivement dans l’immensité d’un lieu mythique devenu espace mental, est infiniment précieuse. C'est l'un des plus sidérants météores qui aient traversé cette décennie de cinéma.

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Hiroshima mon Amour – Alain Resnais

A l’heure où ses confrères de la Nouvelle vague (Godard, Truffaut) investissent un nouveau champ de fiction en réglant leurs comptes aux vieilles traditions de la "qualité française", Alain Resnais, déjà célèbre comme documentariste engagé (Nuit et Brouillard, pierre angulaire du cinéma moderne), provoque rien moins que ce qui est peut-être la plus grande révolution cinématographique de la seconde moitié du siècle. Poème incantatoire, viscéralement incarné par le texte psalmodié de Marguerite Duras et porté par une écriture d’une nouveauté radicale, Hiroshima mon Amour verbalise les mécanismes psychiques de la mémoire et de l’oubli en une envoûtante construction musicale, un balancement des contraires, une temporalité ralentie, des rimes visuelles et des images mentales dont la brutalité elliptique marient la passion physique et le traumatisme nucléaire. On dirait du Antonioni avant l’heure, mis en scène par Eisenstein, avec en prime une charge de sensibilité qui ne doit rien à personne. Cinquante ans après, on mesure encore le bouleversement opéré par ce film-essai, manifeste récitatif unique dans l’histoire du cinéma.

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L’Homme qui Tua Liberty Valance – John Ford

A la fois méditation nostalgique et synthèse de l’œuvre de John Ford, ce western fondamental fut l’un des premiers, alors même que le genre connaissait son chant du cygne, à abandonner les structures narratives en usage : le duel final, filmé sous deux points de vue différents à quelques minutes d’intervalle, en est une fameuse illustration. Ford opère une véritable démythification de ces légendes considérées comme plus véridiques que les faits, soulignant l’influence souvent mensongère des médias et la propension de la mémoire collective à transformer le passé en vérités simplistes, et les personnages ordinaires en icônes rayonnantes. Magnifique réflexion sur l’intégrité, l’héroïsme, la politique, la transformation irréversible de l’Ouest américain, l’opposition de la démocratie et de la violence, le film s’articule autour de trois personnages représentant trois positions morales : le règne de la force, l’établissement de la loi et la nécessité de la force pour imposer la loi. John Wayne y est un cow-boy fatigué mais digne, représentant un monde révolu, face à un James Stewart comme toujours admirable, incarnation des valeurs nouvelles de l’État de droit.

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Il était une fois dans l’Ouest – Sergio Leone

Qui n’a pas été emporté par l’évocation mélancolique de l’Ouest américain sous la baguette magique de Sergio Leone ? Qui n’a pas été scotché par le regard d’Henry Fonda, transformé, à travers l’entreprise de démythification du génial cinéaste, en la plus ignobles des crapules sadiques ? Qui n’a pas été suspendu aux notes d’Ennio Morricone (candidat sérieux, pour ce film, au titre de plus belle B.O. de l’histoire), sublimant le souffle de la conquête de l’Ouest tandis que la construction du chemin de fer rejoint les derniers pionniers ? Sans doute quelques-uns encore, qui auront la chance de découvrir comment Leone transforme le western en envoûtement baroque aux lenteurs calculées, croisement truculent de l’opéra-bouffe et de la tragédie picaresque. Attachement fétichiste aux objets, aux décors, aux costumes, traitement prodigieux de la temporalité, qui fige le récit en des instants de pure tension dramatique, extrême sensualité des corps (Claudia Cardinale, charnelle) et des mouvements de caméra, dosage magistral de l’humour à froid et de l’émotion, de la bouffonnerie et du mélodrame, de l’hyperréalisme et de l’outrance : le lyrisme élégiaque de cette sonnerie aux morts n’en finit pas de faire chavirer.

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L’Impasse – Brian De Palma

Ancien brigand rangé des affaires mais rattrapé par son passé, Carlito (grandiose Al Pacino, barbe de jais, regard tour à tour vif et las) est bien décidé à trouver sa rédemption, filmée comme une course haletante contre la fatalité, une marche funèbre à haute tension, sans un instant de relâche. Car l’heure est au crépuscule des anciens brigands de son espèce, le monde a changé, et les gangsters nouveaux n’ont plus les manières d’antan. A tous les niveaux, le film, sans doute le plus beau et émouvant de De Palma, tutoie le sublime : il revêt les accents d’une tragédie bouleversante aux accents shakespeariens (Carlito y est un prince déchu de retour dans un royaume qu’il ne reconnaît plus), les frémissements d’une magnifique histoire d’amour (pour les yeux et le sourire de Gail, notre héros est déterminé à devenir un homme intègre et droit), le brio d’une caméra multipliant les exploits (la dernière demi-heure, à tomber, constitue un sidérant morceau de bravoure dans le métro et la gare new-yorkais, qui semble condenser à lui seul tout le génie technique de son auteur). Résultat : les larmes et la gratitude du spectateur, un échec commercial pour le cinéaste. Cohérent avec la thématique du film : ce monde est trop injuste.

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Impitoyable – Clint Eastwood

Le visage émacié, le dos courbé par la vieillesse, Clint chevauche sa monture tel le dernier des géants : il est un fantôme réveillé par le souvenir des morts, un anti-héros porté par une stature de légende, à l’image de l’Amérique qu’il dépeint, cet Ouest mythique qui n’est finalement qu’une rumeur, un territoire magnifique où la colère de la nuit alterne avec la sérénité des grands espaces, et où l’inéluctabilité de la violence et de la vengeance transforme le genre en ode à la fois furieuse et mélancolique. Cette image iconique, le réalisateur s’applique à la démythifier tout au long d’une traque flamboyante, crépusculaire, sonnant le glas du western en même temps qu'elle en est sa plus belle incarnation. Si Eastwood plonge dans les racines d’une nation dont il n’a jamais cessé de révéler les démons, c’est pour disséquer les blessures et la violence originelle de cette Amérique si souvent glorifiée ; à part Michael Cimino, quasiment aucun réalisateur n'a porté un regard si amer, si dénué d’aménité, sur l’histoire de son pays. Depuis le personnage de Little Bill, stigmatisant toute l’ambiguïté d’un pouvoir amené à se placer lui-même au-dessus des lois, jusqu’à ce biographe alimentant une mythologie mensongère, Impitoyable s’impose comme le tableau le plus lucidement pessimiste d’un Ouest renvoyé à sa perversion : même les femmes y défendent la justice individuelle. Mais, avant d’être un grand film politique, le chef-d’œuvre d’Eastwood est, en termes purement cinématographiques, une réussite exceptionnelle, et surtout un drame intimiste qui submerge par sa douleur contenue.

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Jackie Brown – Quentin Tarantino

Sans doute le meilleur film de ce chien fou qu’était (et qu’est plus que jamais aujourd’hui) Couentine Tarantino, celui où ralentit la course et regarde ses personnages vieillir, sur les pas d’une héroïne intensément attachante en passe de doubler tout le monde, flics et truands, avec la complicité amoureuse d’un type un peu comme elle, le plus looser des princes charmants. Tout entier dévoué à ses personnages, son cinéma acquiert une indolence nostalgique au tempo décontracté, une épaisseur romanesque infiniment précieuse. Il s' y épanouit une tendresse profonde pour ces figures de perdants magnifiques, tentés par la possibilité de lendemains meilleurs, sans qu’on y perde pour autant un gramme du brio du cinéaste, de la force tranquille de sa narration, de son goût jubilatoire des dialogues qui s'éternisent pour ne rien dire. Mais le plus beau est dans la douceur cachée et le romantisme pudique du polar, qui au final débouche sur autre chose : un vrai suspense sentimental entre deux héros qui n'ont plus vingt ans, et leur relation toute en estime et en reconnaissance réciproque. A la fin, lorsque Pam Grier part avec le magot en chantonnant en play-back le tube de Bobby Wormack, on mesure à quel point Tarantino a lui aussi réussi son coup.

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Le Limier – Joseph L. Mankiewicz

Amateurs de mécaniques scénaristiques complexes (et Dieu sait que beaucoup de petits maîtres aujourd’hui s’enorgueillissent de rendre fous leurs spectateurs à ce niveau-là), le raffiné Joseph L. Mankiewicz vous convie à sa dernière attraction, celle où il réduit son cinéma à ses composantes essentielles : une intrigue d’une rigueur mathématique, une joute implacable entre représentants de classes antagonistes, une machination labyrinthique fondée sur une vertigineuse succession de coups de théâtre, énigmes, déguisements, ripostes et coups fourrés. Attention : le jeu n’est pas une fin en soi, mais une traduction de tous les thèmes du cinéaste (goût et illusion du pouvoir, complot, arrivisme, plaisir pervers de la domination intellectuelle, hantise de l’impuissance...) et se décline, avec une impassibilité voyeuriste, en un étourdissant récital en huis-clos sur l’envers du décor social, un fascinant manège des vanités, un double jeu de dupes et de faux-semblants où la parole est reine et où deux acteurs au sommet de leur art, servis par des dialogues étincelants, se livrent à un époustouflant face-à-face psychologique. A consommer sans modération.

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Lost Highway – David Lynch

Si Mulholland Drive est le premier chef-d’œuvre du XXIè siècle, alors Lost Highway est le film qui a enterré définitivement le XXè : il s’agit de l’une de ces percées de cinéma qui ne surviennent que trois ou quatre fois par décennie, et qui donnent l’impression d’avoir dix ans d'avance sur le reste de la production. Lynch y poursuit les recherches formelles et narratives entamées avec Twin Peaks, mais les porte à un niveau d’expérimentation jamais atteint. Film multiple, prototype entre installation plastique et relecture des stéréotypes, labyrinthe visuel et sonore qui plonge dans les méandres d’un cerveau malade et traduit la psychose de son protagoniste en une complète dislocation du temps et de l’espace, le film, démentiel, vertigineux, invite à une expérience sensorielle que l’on peut supposer similaire à celle que vit le(s) protagoniste(s) hébété(s). Éclairées par les faisceaux des phares qu’accompagne la voix inquiète de Bowie, les bandes jaunes de la Lost highway dessinent une circularité infinie, la fuite mentale d’un homme cherchant à oublier la mort de son couple, et se perdant du même coup dans le labyrinthe d’une conscience qu’il refuse d’assumer : "Je est un autre". Grand alchimiste de la matière cinématographique, le cinéaste déploie toute sa palette de sortilèges esthétiques et musicaux, orchestre une descente aux enfers hypnotique et effrayante, invente une logique combinatoire de l’instinct faisant permuter personnages, lieux et événements en une boucle sans fin : ce fameux ruban de Moebius qui exprime une désorientation, un effet de sampling paroxystiques. Ses couloirs rougeoyants, ses basses oppressantes, ses visions hallucinatoires mêlées aux notes de Rammstein, son atmosphère de cauchemar alangui n’ont pas fini de hanter.

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Manhattan – Woody Allen

Ca commence par un feu d'artifices dans le ciel de New York, illuminé par Gordon Willis et baigné dans la musique de Gershwin (signatures prestigieuses qui accompagneront tout le film). Ca continue avec un défilé ininterrompu de femmes dont Woody se fait le portraitiste tendre, lucide et percutant : Diane Keaton en délicieuse intello snobinarde, Meryl Streep qui largue notre juif new-yorkais pour une nana, Mariel Hemingway en Lolita fragile... Puis il y aura des digressions poétiques inattendues, des réflexions touchantes, légères et mélancoliques égrenées sur Dieu, la vie, la mort, la déception amoureuse, l'angoisse artistique, des séquences hilarantes et d'autres poignantes, une pause sur un banc face au pont de Brooklyn (tout le monde connaît l'image)... Ca se terminera sur la liste des choses qui font que la vie vaut la peine d'être vécue - et rien que voir l'intello binoclard se livrer à cet exercice vaut bien deux ou trois films par ailleurs. Tout cela est nourri au ton doux-amer, à l'humour au vitriol, à la réplique étincelante, à l'intelligence spirituelle et malicieuse, à la douce nostalgie. Ca s'appelle Manhattan, c'est un chant d'amour à la ville en même temps que le plus beau film de son auteur. On connaît la chanson, certes, sauf que ça continue de distiller une ineffable magie.

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Mirage de la Vie – Douglas Sirk

L’apothéose du mélodrame flamboyant, une œuvre aussi subtile que riche et déchirante, à travers laquelle le maître Douglas Sirk, assortissant la tragédie d’un vibrant plaidoyer antiraciste, fait passer la vie, la mort et l’amour essentiellement par ses figures féminines, puisant dans une certaine théâtralité le moyen de tout exacerber : les relations entre enfants et parents, les différences culturelles, les rivalités familiales, les ambitions personnelles, les blessures intimes de personnages préférant qui se mentir à elle-même plutôt qu’affronter les difficultés de l’existence, qui se sacrifier pour préserver le bonheur de sa fille. De la fuite d'un des héroïnes devant l’injustice sociale à l’attitude égoïste d’une autre, perdue dans son rêve de gloire, jusqu’à cette conclusion au lyrisme démesuré où les larmes semblent se déverser sur l’écran tandis que les chevaux blancs et la splendeur des funérailles emplissent l’image, Mirage de la Vie marque l’apogée de l’art sirkien, par ses sujets puissamment évoqués, la multiplication de ses images somptueuses, de ses couleurs baroques et de leurs reflets qui suggèrent l’irréalité dans lequel se noient les aspirations - mirage de la vie.

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Le Miroir – Andrei Tarkovski

Tarkovski rompt toute attache avec la chronologie linéaire à travers ce film-poème directement autobiographique et volontairement composite (mélange d’époques, de documents, d’images mises en scène), sans cesse au bord de se dissoudre en une collection de moments épars. Parcouru de scènes foudroyantes et frémissantes, imprégné d’une profonde nostalgie et sous-tendu par l’image obsédante de la mère, une mère énigmatique, proche et indifférente à la fois, Le Miroir retranscrit par le biais d’une sensorialité exacerbée les vibrations intimes du monde, de ses images, de ses sons, comme un immense labyrinthe-forêt qui nous donne le sentiment de toucher au plus près les impressions premières : les choses qui bougent et qui brillent, le blanc d’une jatte de lait, la houle du vent qui passe... C’est une somptueuse et flamboyante auto-analyse, composée de rêveries, de souvenirs et de monologues intérieurs, dont le titre renvoie peut-être justement à cet "autre côté", cet univers ensorcelant, au-delà des mots, où plus rien ne compte que les sensations.

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Les Moissons du Ciel – Terrence Malick

Ermite génial du cinéma américain, Terrence Malick se fend ici d’un sublime mélodrame rural où la splendeur de la faune et de la flore s’oppose aux aspirations dérisoires des migrants, où la prairie perdue, saccagée par la folie des hommes, figure l’Eden mythique, et où l’éblouissante symphonie des images restitue le processus des mutations culturelles et sociales tant comme principe mythique que comme cycle évolutif. Quelques part entre Murnau, La Nuit du Chasseur de Laughton et les toiles de Hopper ou Wyeth, Malick poursuit ses recherches picturales (relayées par la splendide photographie de Nestor Almendros) et laisse éclater une sensibilité de poète sans aucun équivalent dans le cinéma américain : un kiosque à musique battu de mousselines y vogue sur une mer d’herbes bleuies par l’aurore, des hommes et des femmes dorés à l’or fin ramassent des ballots de paille chevelus comme des anges, le prosaïque s’y mesure constamment avec le cosmique, le réalisme avec le romantisme, au long d’une tragédie intemporelle où se jouent l’amour, la jalousie, la mort et les passions qui embrasent les hommes.

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La Mort aux Trousses – Alfred Hitchcock

Le film total, l’un de ceux dont on peut dire qu’ils atteignent la perfection absolue et concrétisent de façon la plus complète l’idée que l’on se peut se faire d’un cinéma de fantasme pur : Hitchcock désigne ici le point d’achèvement d’un art qui tire son existence même du désir du spectateur de se projeter. Jamais le terme divertissement ne fut mieux appliqué à un film, jamais peut-être le cinéaste ne poussa à ce point le jeu constant entre l’invraisemblable, le plaisir incomparable d’une fausseté revendiquée, et le souci persistant des apparences, des corps et de la plausibilité. De fait, La mort aux Trousses n’est pas que le modèle insurpassable du cinéma de distraction, c’est aussi un véritable manifeste théorique, fondé sur la contradiction entre le principe de plaisir et le principe de réalité, et tirant jusqu’à son amplitude maximale tout un nuancier de styles et de tons, tout un arc des genres possibles (espionnage, suspense, romance, comédie...). Enchaînement étourdissant de morceaux d’anthologie (existe-t-il un film possédant davantage de séquences mythiques ?), cette œuvre inaltérable témoigne de la plénitude artistique absolue à laquelle était arrivé Hitchcock à la fin des années 50.

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La Mouche – David Cronenberg

Peut-être l’œuvre la plus emblématique et la plus populaire de son cinéaste, celle où il marie au mieux les questionnements viscéraux qui l’habitent à une sensibilité émotionnelle des plus poignantes. Préoccupé depuis toujours par la mutation des corps et le rapport entre chair et intellect (ici, c’est après son éveil physique et sexuel que le héros perce le mystère de la téléportation), Cronenberg s’éloigne de l’attitude d’entomologiste distant adoptée dans certains de ses précédents opus et prend le point de vue d’un homme conscient de sa dégradation physique et mentale pour explorer, à travers lui, certaines des peurs les plus profondes de notre âme. Cauchemar pénétrant parce qu’éminemment réaliste, La Mouche file une métaphore saisissante sur la maladie, la solitude et l’angoisse de celui qui en souffre (selon son auteur, il s’agit ici de traiter de notre mortalité, de notre fragilité et de la tragédie des pertes humaines) en même temps qu’il s’attache à la vérité d’une magnifique histoire d’amour : assister à la dégénérescence de Seth sous les yeux impuissants de Veronica constitue une expérience des plus douloureuses et empathiques que le cinéma fantastique nous ait données.

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Le Nom de la Rose – Jean-Jacques Annaud

Ca date de l'époque où Annaud avait une ambition monstre et un talent à la hauteur. Fort du succès de La Guerre du Feu, le cinéaste se lance dans une nouvelle gageure : s'emparer du roman labyrinthique d'Umberto Eco, réputé inadaptable. Il embauche un casting international : Sean Connery y est un souverain Sherlock Holmes en robe de bure, pourfendeur iconoclaste des aberrations de son rang. Il obtient un budget apte à satisfaire son perfectionnisme : du froid glacial régnant sur le plateau aux inimaginables trognes de moines embauchées, de l'ambiance gothique et mystérieuse aux décors de l'abbaye ensanglantée par un serial killer d'un autre âge, le film vaut son pesant de superlatifs. Il signe, dans l'intelligence et la virtuosité, le plus extraordinaire thriller en huis-clos qui soit : un polar entre les pages de la Bible, dopé au mysticisme inquiétant et à l'érudition ludique. Palpitant d'un bout à l'autre, mariant la philosophie, l'initiation, le suspense, l'humour, Le Nom de la Rose s'impose comme un formidable réquisitoire contre l'obscurantisme et le fanatisme, et démonte, avec une ironie cinglante, les querelles théologiques d'un clergé rongé par l'hypocrisie et l'immobilisme. Une œuvre magistrale, aussi riche que captivante.

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Le Nouveau Monde – Terrence Malick

Je n’osais en rêver, Terrence Malick l’a fait : retrouver, probablement, les cimes de sa Ligne Rouge, l'un des plus beaux films que je connaisse. Les mots sont peu de choses face à ce sublime opéra cosmogonique, qui fait répondre le souffle du vent au questionnement existentiel, et qui exprime les affects des personnages en un flux envoûtant qui enchante l’esprit autant qu’il serre le cœur. Malick y filme les vibrations de l'amour avec la délicatesse d'un papillon, il suggère la naissance malade de l’Amérique, la permanence d’une civilisation massacrée, la capture et la précarité d’un rêve transporté d’une rive à l’autre, il saisit ce moment où l'Ouest cesse d'être un mythe ou une utopie pour entrer dans l'histoire, il exalte le jardin de la création en composant un réseau de métaphores, de songes et de fantasmagories qui associe tous les éléments en une unité virginale et panthéiste. Au cœur de la méditation, le personnage de Pocahontas, nymphe de la terre nourricière, gracieuse émanation des harmonies du nouveau monde, qui en personnifie la beauté et la fécondité : si l'Or du Rhin ouvre le film et l'élève d'emblée à des altitudes cosmiques, c'est parce que la princesse est l'ondine du poème, et que les pionniers en sont les gnomes. Une fois de plus, la sensibilité malickienne distille une poésie, une luxuriance sensorielle qui dépasse l'entendement : des murmures, des remords, une voix qui tente de poser des mots sur un amour incurable, la musique qui étreint les coeurs, relaie les battements d’aile, la brise, la pluie, les rayons du soleil à travers les feuilles. Plus que jamais, ce cinéma tient de l'effusion et de l'incantation lyrique : il traduit une indicible musique intérieure, celle d'une communion spirituelle entre les êtres et la nature, et d'un émerveillement sans cesse renouvelé. Ainsi la rencontre des deux civilisations survient-elle par un ravissement, un enchantement réciproque, le dialogue de deux voix off qui ne cessent de s'interroger sur leurs destinées et sur le spectacle de l'univers - voir le travail inouï opéré sur les cadres, le montage visuel, fragmentaire, qui semble pourtant approcher l'infini. Mais l'éblouissement s'avère parfois l'expression d'une poignante illusion ; aucun primitivisme naïf et béat n'est de mise, et la pastorale est toujours inextricablement mêlée à une élégie de paradis perdu, celle d'une idylle condamnée, d'une fracture radicale avec l'ordre du monde. Par cette bouleversante exaltation romantique, Malick, qui devait s'appeler Dieu dans une autre vie, nous fait in fine tutoyer l'éden - conclusion proprement extatique, inscrite dans la postérité, lorsque l'héroïne, comme dans un conte de fées, traverse le miroir (celui-là même où est filmée son agonie) pour pouvoir folâtrer dans les prairies ondoyantes de l'imaginaire. Ca pourrait durer six heures, six jours, six mois, c'est l'éternité qui passe le temps d'un film céleste et symphonique, à la fois grandiose et infinitésimal, dont chaque image, chaque plan, chaque seconde tient du miracle.

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Les Oiseaux – Alfred Hitchcock

Réalisé près de dix ans avant la vague des films-catastrophe, le dernier chef-d’œuvre d’Hitchcock est également l’un de ses plus abstraits. Monument de maîtrise technique et de rigueur dramatique, le film s’amuse à brouiller les pistes et se lance sur les rails de la romance sentimentale avant de faire subtilement dérailler sa machinerie vers le cauchemar. Autant que la virtuosité stupéfiante de ses morceaux d’anthologie (on étudie encore aujourd’hui la scène de la sortie d’école), c'est la superposition des niveaux de lecture permise par le postulat et son traitement qui sidèrent, faisant la part belle aussi bien à la critique sociale qu'à la réflexion métaphysique. On peut voir dans l'attaque des oiseaux aussi bien une parabole du jugement dernier, le désarroi face à l'inexplicable (mais pourquoi les piafs attaquent-ils ?), le catalyseur de comportements complexes, une métaphore sur le danger du contentement de soi ou la rivalité amoureuse (voir les rapports de force qui se tissent entre Melanie, Mitch et Annie, première victime des oiseaux), ou bien encore des pistes plus troubles, clairement psychanalytiques (l'attaque du grenier, où Melanie se fait agresser dans le noir et le silence, ne traduirait-elle pas sa peur du viol ?). Inépuisable et terrifiant.

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Ordet – Carl Theodor Dreyer

Dreyer disait qu’Ordet était le seul de ses films qui exigeât de son spectateur qu’il soit croyant. Dans un univers livide et funèbre où, bien réelle pourtant, la chaleur même est froide, l’accord profond avec la vie, la terre et la chair s’établit pour la première fois au plus près de la mort, au plus près du mal et du péché (d’orgueil, d’intolérance), au plus près de l’irrationnel. Œuvre profondément stylisée, conçue sur des partis pris affirmés tant dans le cadrage que dans sa lumière feutrée et diffuse, Ordet s’attache à faire sentir l’absence de la spiritualité dans un univers pourtant profondément marqué par le religieux : le débat qui s’y livre n’a pas pour thème quelque question de théologie abstraite, mais bel et bien les rapports concrets, physiques, de Dieu et de l’homme : la prière, la parole, parvient-elle à Dieu et Dieu lui répond-il ? Tout le film est construit sur cette question, et lui offre une réponse à travers la scène finale, amenée avec une rigueur absolue, où les personnages vont jusqu’au bout de la mort pour retrouver la vraie lumière, la vie de l’esprit. Dreyer y atteint un degré de transcendance dont je comprends qu’il puisse transformer celui qui en est témoin.

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Paris, Texas – Wim Wenders

Perdu dans l’immensité désertique du Grand Canyon, un homme seul, casquette vissée sur le crâne, contemple un instant le faucon qui s’est posé non loin de lui, tandis que la guitare sèche de Ry Cooder laisse échapper ses notes. A elle seule, cette première scène met en transe. Plus de deux heures plus tard, lorsque le personnage, à la recherche de lui-même, retrouvera, dans un peep-show sordide, la femme qu’il a aimée autrefois, les larmes couleront à nouveau, comme elles auront coulé de façon récurrente tout au long d’un road-movie étourdissant de pudeur et de maîtrise, frémissant de sensibilité et de délicatesse. Avec cette errance existentielle gravée dans les décors d’une Amérique intemporelle, peuplée de personnages-fantômes, hantée par la quête de paternité, la peur de l’incommunicabilité, le besoin vital de rencontres, de rapprochements, d’échanges, Wim Wenders dresse le portrait bouleversant d’un homme qui revient douloureusement, mais sûrement, au monde et à la vie. Dans la peau de cet anti-héros magnifique, Harry Dean Stanton accomplit quelque chose de miraculeux, entouré par la fragilité d’une Nastassja Kinski lumineuse et du petit Hunter Carson. Une œuvre touchée par la grâce, d’une intensité tellurique.

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Le Parrain (trilogie) – Francis Ford Coppola

Neuf heures de grand spectacle intimiste alternant règlements de compte sanglants et secrets d’alcôve murmurés dans la pénombre du clan Corleone, juxtaposant saga familiale et réflexion sur l’identité de l’Amérique, mariant fresque shakespearienne et chronique romanesque des traditions d’une communauté italo-américaine dépeinte jusque dans ses ramifications politiques et économiques. De ce monument du septième art, on ne sait pas ce qu’il faut retenir en premier. Peut-être la mise en scène somptueuse de Coppola, tour à tour classique et baroque, sculptée dans la lumière de Gordon Willis. Ou la musique de Nino Rota, illustrant aujourd’hui les publicités. Peut-être le génie de l’interprétation, alignant en rafale Marlon Brando, Al Pacino, Robert DeNiro, James Caan, Robert Duvall, Diane Keaton... - qui dit mieux ? Ou le dédale d’une construction dramatique qui joue avec les ressorts de la tragédie jusqu’à un final himalayen (la conclusion du Parrain 3, grandiose, résume toute la douloureuse beauté de la trilogie). On reste bouche bée devant l’ampleur, la force, la majesté de cette œuvre immense sur le pouvoir, la vengeance, la trahison, la rédemption, considérée à juste titre comme l’un des créations les plus importantes du cinéma.

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La Passion de Jeanne d’Arc – Carl Theodor Dreyer

Bouleversé par le choc du Cuirassé Potemkine qu’il vient de découvrir, Dreyer prend le parti pris de cadrer le drame de Jeanne d’Arc, dont il ne retient que les derniers jours du procès, en gros plan : son film, centré sur les seuls visages de l’héroïne et de ses juges, devient alors le plus extraordinairement parlant des films muets, filmant délibérément la parole en actes par les seules images. En une admirable scansion de plans de bouches, de regards, de gestes, dont il résulte une écoute d’une intensité inégalée, comme si le dialogue des personnages surgissait de l’intérieur même du spectateur, cette Passion fait surgir l’abstraction la plus haute de la mise à la question du concret le plus concret, et mène au cœur de la méditation par le prisme d’une mise en scène formaliste, ascétique et frémissante : ses mouvements de caméra qui se répètent, ses va-et-vient purement graphiques, ses changements de valeurs de plans, ses exubérances baroques et ses gros plans traquant la présence de Dieu sur le visage de Jeanne. Habitée, Renée Falconetti y incarne l’innocence doublée de la foi, en proie au pouvoir oppresseur, acculée à la résistance, à la rébellion passive, jusqu’à un final apocalyptique.

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Persona – Ingmar Bergman

Attention, ovni. Film unique, condensé vital des obsessions d’un artiste qui a affirmé faire acte de survie en le réalisant, œuvre qui suscite soit la plus intense des fascinations, soit le plus profond ennui. Si je le cite ici, c'est bien sûr que je me situe dans la première catégorie. Pourtant, c’est son hermétisme qui frappe en premier lieu, comme si le film refusait de s’offrir, comme s’il nous manquait une clé pour en comprendre la moindre signification. Mais très vite, la puissance opératoire des images et des sons se déploie, ainsi que l’impression d’assister comme à la mise en images d’un inconscient se gravant sur la pellicule, en une dichotomie saisissante figuré par l’affrontement des deux figures féminines opposées. On ne peut rien expliquer de manière rationnelle : Persona pousse tellement loin l’introspection et les recherches expérimentales sur la narration, l’autopsie du psychisme de ses personnages, ouvre tant d’interrogations sur la relation du physique et du mental, du social et du refoulé, qu’on ne peut que se contenter d’en ressentir les effets. De ce bloc à la fois abstrait et viscéral, les séquences sidérantes surgissent, telle la confession d’Alma, qui, quarante ans après la sortie du film, reste stupéfiante de crudité et d’intensité érotiques.

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Phantom of the Paradise – Brian De Palma

Orgie visuelle et musicale qui fouette l’adrénaline et dérègle les sens, le deuxième long-métrage de Brian De Palma est de ceux qui balisent une vie de spectateur. Plus de trente ans après sa sortie, on se rend compte à quel point le réalisateur était en avance, non seulement sur son époque, mais aussi sur son propre cinéma. Parce que ce foisonnement esthétique et sonore où l’on ne sait plus où donner le tête, ce grand bazar jouissif qui mitraille quatre idées à la seconde et affole l’aiguille du plaisiromètre, n’est rien moins qu’un terrain d'expérimentation où le laboratoire formel De Palma fonctionne à plein. Le prodige, c’est que l’on ne s’en rend pas compte sur le coup, emporté que l’on est par la folie contagieuse des images et de la musique, et par le caractère éminemment ludique d’une intrigue délirante qui dépoussière les mythes de Faust et du Fantôme de l’Opéra en mariant le mélodrame, l’outrance, la satire (le show-business y appartient à un Lucifer mélomane), l’horreur, la fantasmagorie... Tonitruant, paroxystique, provocateur, déconcertant, le Phantom est le genre d’oasis dont dix minutes suffisent à combler les besoins d’un "ciné-addict" pendant un mois. Il n’a pas pris une ride. Cultissime.

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The Player – Robert Altman

Hollywood, début des années 90 : état des lieux par le plus satirique des réalisateurs américains. Pour commencer, la caméra accomplit un plan-séquence acrobatique de près de dix minutes tandis que les personnages à l’écran ironisent sur les plus longs plans du cinéma. Altman nous invite ensuite à suivre les pérégrinations d’un scénariste assassin, miroir d’un microcosme gangrené par l’avidité et la corruption, où la question de savoir si la vie imite l’art ou si c’est l’art qui imite la vie ne signifie plus rien. En un ballet étourdissant de plus de vingt personnages, le cinéaste relate la folie quotidienne qui règne dans la capitale du cinéma, épingle ses stars du cru, sa vanité, son culte de l’apparence, tout en ébranlant de façon infiniment subtile les limites entre le scénario et la réalité : le film, véritable spirale, s’achève sur une mise en abyme proprement démentielle. Il ne se présente pas de l’extérieur comme un spectateur étranger à l’affaire mais comme un serviteur de l’usine à rêves à qui en fin de comptes personne n’échappe. Polar au vitriol, jeu de massacre décapant et corrosif qui souligne à chaque instant les rapports entre vérité et mensonge, ce film incendiaire et jubilatoire renvoie faux créateurs et faux vrais chefs d’œuvre à leur incommensurable vacuité. On en sort ébloui et ragaillardi.

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Providence – Alain Resnais

Providence : résidence du narrateur, écrivain en quête de personnages, et sans doute le titre de son dernier roman. Providence : concept chrétien de prédestination, extrapolée à la notion de genèse artistique, dont nous est exposée ici le processus aléatoire et douloureux. En toute cohérence, Providence, donc : œuvre magistrale d’Alain Resnais, construction-gigogne, caractéristique de la démarche de son auteur, film qui se fait et se défait sous nos yeux, où les acteurs sont des pantins dont un magicien sarcastique tire les ficelles, où les scènes s’emboîtent en suivant la logique de l’imaginaire, où les actions se chevauchent, se permutent, se répondent dans l’esprit embué d’un démiurge facétieux. Amère réflexion sur la mort, les dédales de la création, la confusion des sentiments, où, comme toujours Resnais, la forme, éblouissante, novatrice, donne au film sa cohérence. On y joue en virtuose sur l’énigme des lieux et le sortilège des objets, les protagonistes semblent sortis d’un théâtre de l’absurde, on y distille une sorte de poésie surréaliste et funèbre : il y a ici infiniment à voir, à penser et à rêver. Pièce capitale dans la filmographie d’un des plus grands artistes français du XXè siècle.

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Psychose – Alfred Hitchcock

En 1960, Hitchcock vient d'aligner une paire de chefs-d'œuvre historiques : Vertigo et La Mort aux Trousses. Comme il n'y a jamais deux sans trois, il signe alors Psychose, et fait reculer du même coup les limites du film d'épouvante. Baignée dans une ambiance ténébreuse, prenant quasiment l'aspect d'un conte mythologique, l'œuvre est un piège effroyable qui se referme sur le spectateur en même temps que sur le personnage de Janet Leigh - sacrifiée au milieu du récit (blasphème total) au cours d'une séquence légendaire. S'il livre son tribut à la psychanalyse (complexe d'Oedipe, voyeurisme, mise en parallèle du sexe et de la mort...), Hitch administre surtout une leçon de cinéma soufflante de maestria, que ce soit dans l'orchestration d'une terreur magistralement distillée (ce profil de la maison Bates, qui s'insinue dans les rêves), dans le malaise que certaines images suscitent (le plan sur l'oeil fixe de Marion après le meurtre) ou dans la virtuosité pure des séquences-choc, matrices de presque tout le cinéma d'angoisse depuis la sortie du film. Habité par Anthony Perkins, entêtant comme un mauvais songe, plongeant profond dans les méandres de nos peurs les plus primitives, ce cauchemar suggestif demeure une œuvre-phare.

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Dernière édition par Stark le 08 Déc 2010, 14:53, édité 1 fois.

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MessagePosté: 02 Juil 2008, 15:51 
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(et voilà la fin...)


Pulp Fiction – Quentin Tarantino

Il y a Vincent Vega, cheveux gras et regard bovin, qui, entre deux meurtres rigoureusement exécutés, doit sortir avec la femme de son patron - il va prendre du bon temps, puis passer un sale quart d’heure. Il y a Butch, qui a tué un type sur le ring alors qu’il était censé se coucher - lui, la seule chose qui l’intéresse en dehors de sa petite Française, c’est sa montre. Il y a Jules, le tueur philosophe qui, à force de réciter un psaume d’Ezéchiel, finit par en comprendre le sens. Il y a surtout Quentin Tarantino, peut-être le plus grand raconteur d’histoires de la planète cinéma aujourd’hui. La jubilation brute offerte par ce film ne tient pas à une recette miracle, mais au talent bluffant d’un réalisateur ultra-doué qui, à tous les étages, fait des étincelles : le casting (stars aux petits oignons, aussi ravis d’être là que nous de les voir), la bande originale (passée à la postérité), la mise en scène (éblouissante d’aisance souple, de brio tranquille), les dialogues (devenus marque de fabrique), le traitement du récit (dont l’influence se fait encore sentir). Aujourd’hui, Pulp Fiction est un plus qu’un film-culte, un classique. Certains, qu’une telle avalanche de qualités irrite peut-être, crient à la vacuité et à l’esbroufe. Laissons-les râler : un film qui réinvente à ce point la notion de plaisir pur pris au cinéma mérite de figurer sur un piédestal.

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Qui veut la Peau de Roger Rabbit ? – Robert Zemeckis

Parfois, on se dit que le cinéma hollywoodien a un grain. Avec Roger Rabbit, Zemeckis (réalisateur) et Spielberg (producteur) se posent un peu là. Ils inventent une bombe anatomique aux courbes somptueuses qui envoie Marilyn Monroe dans les cordes : elle s’appelle Jessica Rabbit, elle est mariée à un lapin star de cartoons. Ils font de Bob Hoskins un détective poivrot tout droit sorti des films noirs de Huston ou Hawks. Ils convoquent Betty Boop, Bugs Bunny, Dingo, Mickey et toutes les vedettes du dessin animé en un festival étourdissant, à la fois compilation et hommage à la grande époque d’Hollywood. Surtout, forts d’une virtuosité technique qui, aujourd’hui encore, laisse pantois, ils nous entraînent dans une aventure délirante qui ne laisse pas un instant de répit, déclenche le fou rire toutes les trente secondes, nous fait sauter dans notre fauteuil, envoie notre regard valser dans toutes les directions tant chaque image regorge d’imagination. J’ai beau avoir vu ce film un nombre incalculable de fois, j’y découvre toujours de nouveaux gags ou de nouvelles trouvailles. Face à un tel prodige, on se dit que, lorsque leur talent et leur inventivité ont les moyens qui suivent, les entertainers hollywoodiens écrasent toute concurrence.

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Raging Bull – Martin Scorsese

En gros plan, les poings s’abattent sur les visages et les corps, le sang et la sueur coulent, le son des coups qui pleuvent éclate aux oreilles, sourds comme si on les entendait dans sa tête. Jake La Motta s’agrippe à la corde, bras écartés comme un crucifié, réclamant le coup de grâce tel un supplicié dont la souffrance est le seul moyen de sortir de lui-même et d’atteindre une grâce que rien ni personne ne peut lui offrir. Miné par le désastre de New York, New York et une vie intérieure torturée, Martin Scorsese met tout dans ce film, pensant que ce sera son dernier : plus tard, il dira que Raging Bull lui a sauvé la vie. La quête tout à la fois physique et spirituelle de son héros joue simultanément sur le réaliste et le symbolique, et porte son débat au niveau d’une problématique mystique, plus précisément chrétienne : comme dans Taxi Driver, c’est une véritable parabole sur les damnés de la terre, errant à la recherche de leur salut, que Scorsese compose ici. Quant à Robert De Niro, il accomplit une sorte de record du monde d’interprétation, en accord total avec la vision cinétique et viscérale de son réalisateur, conférant à son personnage d’animal enragé et tourmenté, aussi incapable de s’accommoder de l’exiguïté de sa cage que de s’en libérer, une puissance dévastatrice. Immense.

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Ran – Akira Kurosawa

Une flèche perce l’œil d’un guerrier ; un soldat erre, incrédule, son bras coupé dans la main qui lui reste ; d’immenses armées dorées ou empourprées traversent des prairies ondoyantes avant de prendre d’assaut, dans un fracas d’apocalypse, un donjon enflammé : tableaux impressionnistes fulgurants, dont l’éclat des couleurs et la perfection de la composition sidèrent la pupille. Nous n’entendons ni pleurs, ni plaintes, uniquement des morceaux classiques, évoquant Mahler. Ces séquences, à la fois sublimes et répulsives, marient beauté et horreur : ce sont des visions dantesques, des élégies de la mort. Allégorie du Jugement dernier, digne des peintures de Bruegel ou de Rubens, immense fresque shakespearienne montrant le chaos s’abattre sur terre, cette libre adaptation du Roi Lear semble prendre le point du vue du ciel, soulignant à chaque instant les ambivalences du pouvoir politique, les affres de la culpabilité, de l’ambition et de la vengeance, les agissements tragiques de serviteurs de l’État qui s’orientent sur les principes moraux les plus élevés mais sont néanmoins soumis à l’arbitraire. Une épopée grandiose, hallucinante de splendeur plastique et de puissance dramatique.

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Rashomon – Akira Kurosawa

Difficile de préférer un film parmi tant de chefs-d’œuvre dans la filmographie d’Akira Kurosawa. Je suis fou d’admiration devant ces monuments épiques que sont Les Sept Samouraïs ou Kagemusha, fresques de bruit et de fureur sublimées par la splendeur des images et la force dramatique des intrigues. Mais, si je cite Rashomon plutôt que les tous les autres, c’est peut-être parce que l’humanisme de l’artiste y trouve sa plus belle expression, parce que sa plastique, lustrée dans les ombres et les lumières d’une nature somptueusement photographiée, n’en finit pas de m’émerveiller, et parce que ses recherches inédites sur la construction dramatique, en plus d’avoir profondément renouvelé le traitement classique du récit, amènent à la plus profonde méditation sur la fragilité de la vérité humaine. Œuvre d’une plénitude absolue, dont la durée des plans, leur rapport harmonieux, la perfection de leur composition défient les lois de l’analyse cinématographique, œuvre éminemment panthéiste également, dans la façon dont il relie les êtres, les choses et la nature en une alchimie poétique, Rashomon est une de ces expériences cinématographiques dont on émerge un peu ivre tant tout y témoigne de la plus haute exigence.

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Reservoir Dogs – Quentin Tarantino

Certains puristes (asiatophiles, souvent) affirment que Tarantino a tout pompé, qu’il n’est qu’un pilleur et le film qui l’a révélé une gigantesque imposture. Moi, je m’en fous, et (bien que je ne l’aie pas découvert au cinéma), je me range dans la catégorie des fans : ceux qui l’ont accueilli les larmes aux yeux, comme le film noir qu’ils attendaient depuis vingt ans. Parce que, quoi qu’on en dise, Quentin possède un style bien à lui, et que ce style explore les zones de l’exaltation jubilante avec, pour le dire crûment, une putain de créativité. On mesure encore aujourd’hui à quel point le démarrage de Tarantino a été fulgurant, à quel point son premier film sidère par son sens inné de la mise en scène tranchée, du découpage net, de la réplique cinglante, du casting qui tue. Cinéphage vorace dont l’enthousiasme éclabousse l’écran comme le sang éclabousse le sol de l’entrepôt, théâtre d’un affrontement bien plus grave qu’il n’y paraît, Tarantino joue avec le temps, égrène à plaisir les situations classiques du polar pour les assaisonner à sa sauce, se permet des plages de dialogues d’une verve insolente. Quand, en plus, le festival est mené par une telle troupe d’acteurs (tout le monde les connaît), il ne reste plus qu’à se taire et à savourer.

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Retour vers le Futur – Robert Zemeckis

Petit classique du genre, divertissement génial de charme et d'inventivité qui a marqué toute une génération de spectateurs. Moi, je l'ai découvert à la télé, très jeune, et depuis je me le suis souvent maté en boucle. On ne va pas faire un dessin, puisque tout le monde a vu ce film. Tout le monde a vibré aux aventures de Marty, propulsé dans le passé en DeLorean flamboyante, amené à rencontrer son ami le génial-timbré-attachant Doc pour qu'il le sorte de la galère dans laquelle il l'a fichu trente ans plus tard, à séduire malgré lui sa mère aussi jeune que lui, à pousser son père à rencontrer la femme de sa vie (parce qui sinon, il s'évapore à vue d'oeil), à choper la foudre qui lui permettra de repartir chez lui (l'aventure se poursuivra dans deux autres volets presque aussi bons)... Des dizaines de films ont, depuis, exploité le filon du zig-zag temporel délirant et tenté de retrouver l'esprit malicieux du film de Zemeckis ; aucun n'arrive la cheville du modèle. Retour vers le Futur, c'est un concentré d'humour futé et de tendresse piquante, un film qui joue la carte de la distraction réjouissante en ne se départissant jamais d'une légèreté euphorisante. C'est un film qui détient une sorte de formule magique que le cinéma américain n'a jamais retrouvé depuis vingt ans. On ne s'en lasse pas.

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La Rivière Rouge – Howard Hawks

D’aucuns lui préféreront la rigueur et la simplicité séminales de Rio Bravo, mais j’ai peut-être un léger faible pour ce western réalisé plus de dix ans avant l’œuvre la plus fameuse d’Howard Hawks. De tous les westerns de son auteur, c’est celui qui s’ouvre le plus sur l’espace, les paysages, le ciel, celui également où le monde des hommes est le plus explicitement lié au temps des pionniers, à la conquête des terres. Le cinéaste y réunit avec génie tous les ingrédients qui ont forgé la légende du genre, en y ajoutant une évidente dimension psychanalytique, sans jamais perdre de son brio ni de son humour. Magnifiée par de grandioses paysages naturels, fort d’une maîtrise dramatique impériale, ponctuée de formidables morceaux de bravoure (telle la débandade nocturne du troupeau et de ses milliers de bêtes affolées), cette passionnante équipée demeure l’un des plus beaux films du grand cinéma hollywoodien des années 40. Face à la présence tutélaire de John Wayne, le jeune Montgomery Clift, pour son premier rôle, y effectue des débuts remarquables .

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Rosemary’s Baby – Roman Polanski

Petit à petit, la peur et le doute infusent l’esprit de Rosemary, jeune femme enceinte de son premier enfant. Quels sont ces bruits étranges qui résonnent dans l’appartement de ses voisins ? Quelle est la substance des breuvages atroces qu’on lui donne à boire ? L’obséquiosité dont tout le monde fait preuve à son égard (qu’elle fasse attention, surtout, elle porte un enfant !) n’est-elle pas fallacieuse ? Et son mari lui-même, de quel côté est-il ? Progressivement, le cauchemar se referme sur l’héroïne, d’autant plus insidieux que Polanski joue en permanence sur l’ambivalence des situations : les événements se déroulent-ils bien ainsi ou la protagoniste est-elle la proie d’une folie de persécution de plus en plus grave ? Chef-d’œuvre du cinéma de suggestion, Rosemary’s Baby est l’opus le plus doucereusement terrifiant de son auteur (avec l’effroyable Locataire, que j’aime tout autant), et peut-être le plus grand film jamais réalisé sur le complot, en même temps qu’une prodigieuse leçon d’ambigüité : même les séquences de rêve symbolistes ne servent qu’à contrecarrer le réalisme concret d’une narration qui contraste avec le contenu fantastique de l’histoire. Et ceux, nombreux, qui restent traumatisés par le regard luciférien du bébé de Rosemary, donnent la preuve ultime du talent du cinéaste : il parvient à marquer les esprits même avec ce que n’il ne montre pas.

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Satyricon – Federico Fellini

Fellini adapte Petrone, et c’est la notion même de démesure cinématographique qui doit revoir ses standards. Parce que le Maestro porte à un degré de folie sans comparaison l’ampleur fantasmagorique de ses visions, et parce que l’absence presque totale de fil narratif et le climat de décadence mortuaire et grotesque qui règne sur ses tableaux de fin du monde imposent un malaise et une fascination rares. Péplum aristocratique, que son caractère fantasmatique rend plus envoûtant que n’importe quelle reconstitution vériste, le Satyricon enchaîne les scènes les plus sidérantes : du séisme écrasant la Grande Babylone sous ses propres murs jusqu’au rapt de la divinité hermaphrodite, vénérée par une ahurissante ménagerie humaine, des festins orgiaques de Trimalchion à la traversée de la Méditerranée au service d’un tyran borgne et efféminé, de l’affrontement avec un Minotaure de cirque à la quête d’une déesse africaine qui saura rendre au bel Encolpe sa masculinité perdue : on assiste éberlué à une perception hallucinatoire de l’Antiquité, miroir déformant de la décomposition d’une civilisation, d’une société et d’une culture qui joue de toute une savante série de mises en abyme (récit, peinture, théâtre, jeux du cirques...).

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Série Noire – Alain Corneau

Corneau adapte Jim Thompson, suit la trajectoire sans rémission d’un prolétaire marqué par la malédiction des mal partis, et poétise la mise en question d’une société corrompue par l’argent avec un désespoir sardonique digne de Céline : il mêle dans un même mouvement rire et cruauté, pantin sordide et tête à claques, romantisme frénétique et cauchemar spectral. L’amour fou, dans sa version la plus obscure, la plus mythomane, voisine avec le théâtre de l’absurde, la fatalité de la claustration, la condamnation à l’aliénation sans espoir de rédemption. Stupéfiante illustration de l’obstination d’un homme en détresse à vouloir aller jusqu’au bout du vertige et de l’abîme dans lequel il sait qu’il s’engloutira, Série Noire laisse anéanti. Dans cet univers d’une noirceur absolue, les acteurs font des étincelles. Bernard Blier, faux-cul et âme de crapaud crasse, déverse des tombereaux d’ignominie satisfaite. Fragile lolita, Marie Trintignant est comme un petit éclat de lumière qui menace à tout instant de s’éteindre. Mais surtout, surtout, Patrick Dewaere, cabotineur ahuri qui invente son existence pour ne pas y sombrer, semble jouer sa vie à chaque plan, dans l’une des performances les plus hallucinantes dont le cinéma français ait été témoin.

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Short Cuts – Robert Altman

Robert Altman vient de signer l'éblouissant The Player, satire décapante du microcosme hollywoodien. Presque septuagénaire, le réalisateur de M.A.S.H. déploie une verve juvénile, couplée à la férocité qui l'a toujours caractérisé. Portant à une échelle inédite le principe orchestral rodé vingt ans plus tôt avec Nashville, le réalisateur, au sommet de son art, signe alors la plus incisive chronique de mœurs en agençant une suite de saynètes drôles, tragiques, pathétiques, insolites, toutes reliées par la grâce d'un génie narratif qu'il est à peu près le seul à posséder. Sa cible : l’Amérique WASP, dont le cinéaste dresse un tableau désenchanté, global mais fragmenté, une mosaïque cocasse et dérisoire, une polyphonie grouillante de frustrations, de folies quotidiennes et de solitudes, qui réduit la narration en poussière. Si cette fresque sociale est si terrible, c’est parce que le grand Bob ne sombre jamais dans le procédé ou la démagogie moralisatrice, que son regard implacable est dénué de toute complaisance, et parce que son portrait tri-dimensionnel de l'Amérique, relayé par une pléiade d'acteurs virtuoses, n'a jamais peur de montrer ce que le cinéma américain ne montre pas. Capital.

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S.O.S. Fantômes – Ivan Reitman

Déjà, il y a Bill Murray, attraction vivante, qui condense à lui seul le délire explosant à tous les étages du film. Ensuite, il y a Sigourney Weaver, dans un numéro de séduction assez affriolant (euphémisme) qui m’a un peu-beaucoup marqué. Après, il y a l’histoire, sortie des cerveaux pas encore adultes de Harold Ramis (futur réalisateur du merveilleux Un Jour sans Fin) et de Dan Aykroyd, qui troque son costard de Blue brother pour une panoplie électronique de chasse aux fantômes. Parce que oui, les héros de ce film jouissif au possible cassent du revenant. Le plus fort, c’est qu’il parvient à jouer sur deux niveaux à la fois : celui du rire (et c’est rien de dire qu’on rit beaucoup) et celui du suspense fantastique mâtiné de film-catastrophe avec péril mondial à la clé. De fait, S.O.S. Fantômes a beau faire jouer les zygomatiques la plus grande partie du temps, la dernière demi-heure assure un max dans le registre du grand spectacle qui tue. Au détour d’une scène (la chasse du glouton dans l’hôtel huppé de Manhattan, par exemple), il s’autorise même des saillies satiriques percutantes. Avec ses effluves lasers qui volent dans les airs et son pop rock électronique, le divertissement d’Ivan Reitman est très daté années 80 : c’est peut-être pour ça que je l’adore.

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The Truman Show – Peter Weir

Peter Weir fait partie de ces cinéastes discrets mais avec lesquels il faut compter, marquant chacun des projets dans lesquels il s’engage d’une sensibilité délicate et d’une profonde intelligence. Cette vertigineuse mise en abyme de la condition humaine, réalisée à travers le prisme de notre société trop cathodique, constitue à mes yeux son film le plus accompli. A chaque vision, je me vois submergé par la cascade de pistes de réflexion ouvertes par le film, concrétisées en un éventail d’images stupéfiantes : l’embarcation de Truman heurtant l’horizon, les figurants figés dans un monde-marionnette, le soleil parlant de la fin... Variation fascinante sur le libre-arbitre, sur notre rapport au monde, sur les relations entre le créateur et sa créature, The Truman Show traite de façon infiniment poétique et émouvante de la norme, de la liberté et de la responsabilité individuelles, de la dictature médiatique, en une sorte de fable initiatique qui survole avec une grâce aérienne tous les poncifs philosophiques que le sujet appelait naturellement. C’est également l’un des rôles les plus forts de Jim Carrey, qui se surpassera l’année suivante avec le tout aussi formidable Man on the Moon.

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Twin Peaks, Fire Walk with Me – David Lynch

Laura Palmer, son innocence perdue, ses terreurs adolescentes, ses abîmes de détresse dans la petite ville de Twin Peaks, gangrenée par des perversions et des pulsions incontrôlables. Conçu comme un hymne à ce personnage, poupée brisée qui hantait le feuilleton éponyme comme un fantôme, l’adaptation cinématographique de la série culte est peut-être, avec le recul, le film-charnière de toute la filmographie lynchienne, celui qui opère la jonction entre la peinture des dessous d’une american way of life faussement idyllique et les recherches formelles de plus en plus radicales qui se cristalliseront dans les œuvres suivantes. Avec ses intrigues en cul-de-sac et ses brusques court-cuircuitages narratifs, ses séquences abstraites qui distillent tantôt l’inquiétude, tantôt le rire, tantôt l’effroi, le réalisateur pénètre rien moins qu’un nouvel espace de conscience qu’il ne cessera d’explorer par la suite. Mais, avant tout, ce que Lynch traque à travers ses strates multiples de mondes et de narrations, c’est la lumière au-delà des ténèbres, la grâce tout au bout de la fureur, cet instant ultime où les anges, un instant sortis du tableau, redonnent le sourire à son inoubliable héroïne, en route vers un "World in blue" cosmique.

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Une Femme sous Influence – John Cassavetes

Tourné, comme presque tous les films de Cassavetes, dans des conditions particulières, Une Femme sous Influence marque le point d’accomplissement inégalé de la méthode et de la sensibilité du cinéaste. Jamais celui-ci ne juge, ne cherche à justifier ou analyser les comportements de ses personnages, celui de son héroïne ou de ceux qui la "subissent". Portrait bouleversant d’une mère déchirée entre plusieurs pouvoirs, entre plusieurs rôles, le film se livre à un happening concerté qui tourne au psychodrame éprouvant, et parvient à faire coïncider durée filmée et durée vécue en créant une situation où les comédiens trouvent à s’exprimer physiquement en toute impunité, en toute impudeur. Au mépris des cansons arbitraires de la psychologie, Cassavetes épouse la mouvance de sentiments imprévisibles, parcourant toute la gamme des émotions, de la comédie la plus débridée au mélodrame le plus strident. Littéralement habitée par Gena Rowlands, femme et muse du cinéaste, dans le rôle de sa vie, Une femme sous influence nous convie à une aventure existentielle unique, exténuante, parfois terrifiante lorsque le regard s’attache aux seuls épiphénomènes là où on attendait une perspective sociologique ou psychanalytique que le cinéaste fuit d’un bout à l’autre.

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Une Histoire Vraie – David Lynch

Après l’expérience terminale de Lost Highway, Lynch opère un virage à 180°. Pour autant, le cinéaste ne se renie aucunement : ceux qui l’accusent de faire fructifier une voie moins personnelle se fourvoient sur toute la ligne. On trouve dans l’apaisement lumineux de cette œuvre magnifique l'attention portée aux textures et aux paysages américains, l’empathie profonde vis-à-vis de ses personnages, la sensibilité affective qui parcourent ses plus belles réussites. Superbe épopée du cœur, intime, fordienne, anti-spectaculaire, le film exalte avec émerveillement la splendeur d’une nature pacifiée, la beauté des champs, l’ampleur de la voûte céleste, la majesté d’un lever de soleil, en même temps qu’il inscrit le parcours de son héros (formidable Richard Farnsworth) dans une dimension cosmique renvoyant aux grands pionniers du cinéma américain. Fable sincère et humaniste, d’un optimisme généreux, qui aborde avec délicatesse les thèmes universels du pardon, de la vieillesse, de l’amour familial, de la rédemption, Une Histoire Vraie distille une émotion proche de l’euphorie, témoigne du talent protéiforme de son auteur et fait partie de ces œuvres précieuses dont on peut dire qu’elles nous "tirent vers le haut".

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Un Jour sans Fin – Harold Ramis

Voilà la plus touchante, la plus drôle, la plus merveilleuse des comédies romantiques offertes par le cinéma depuis vingt ans au moins. Rien que pour ça, le film mérite de figurer sur un piédestal. Ca tient à presque rien, une accumulation de toute petites choses qui font le grand tout. D’abord, un scénario fabuleusement imaginatif qui tire toutes les potentialités d’un postulat génial : que feriez-vous s’il fallait que reviviez encore et toujours la même journée ? Ensuite, un humour absolument exquis, qui pourrait s’incarner dans le phrasé traînant du chant de Sonny & Cher, ou encore dans l'amusement éprouvé à voir l’immense Bull Murray tirer une tête de déterré chaque matin. Enfin, une philosophie déployant des trésors de malice et d’émotion, tandis qu’au fil de l’intrigue le très antipathique journaliste Phil Connors apprend à connaître la valeur de l’altruisme et de la générosité, la beauté d’âme de ceux qu’il méprisait alors qu’ils valaient mieux que lui, et parvient à gagner avec sincérité le cœur de sa productrice. Alors ce qui était la pire journée de sa vie devient la plus belle. Capra a signé son chef-d’œuvre d’outre-tombe, sous le pseudonyme d’Harold Ramis.

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Usual Suspects – Bryan Singer

Il n’ya pas de hasard : ce serait trop beau, trop facile. On croit faire ce que l’on veut, on s’imagine être libre de ses actes, et puis on se retrouve fait aux pattes, piégé dans une histoire diabolique concoctée par un expert ès manipulations qui nous mène par le bout du nez du début à la fin. A l’image de son héros, Bryan Singer avance masqué : son scénario ressemble à des poupées russes qui révéleraient un piège, puis un autre, encore un, puis le dernier, encore plus inattendu que les autres, avant de tirer sa révérence et de nous laisser éblouis par la virtuosité de sa construction toute en tiroirs et chausse-trappes, qui fouette l’instinct de jeu et réveille le plaisir purement ludique du divertissement. A l’aide d’un montage exceptionnel, d’une musique superbe et d’une troupe de comédiens très inspirés, le jeune réalisateur signe un thriller magistral, une extraordinaire partie de Cluedo qui se paie même le luxe de décliner, comme tous les grands romans et films noirs, de belles variations sur la désillusion de ses héros : péché originel, rachat impossible, passé dérisoire, futur illusoire. Maître d’œuvre de cette machination implacable et jouissive, l’insaisissable Keyser Söze, génie du crime à l’aura de légende qui n’est autre, on s’en doute, que le double du cinéaste : un type qui joue et se joue des autres, pour notre plus grand plaisir.

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Viridiana – Luis Buñuel

C’est le parcours d’une jouvencelle pieuse et charitable faisant le douloureux apprentissage de la nature humaine ; c’est aussi l’occasion, pour Buñuel, de retour en Espagne après plus de vingt ans d’exil, de développer une dialectique qui lui est chère, celle du goût, du rejet et de la terreur des choses sacrées, et de décliner ses obsessions relatives au sexe, à l’angélisme, et aux frustrations qui en découlent. Créant des paradoxes qui seraient plaisants s’ils n’étaient tragiques, imaginant des visions de poète que l’on a dit blasphématoires et impies, le cinéaste montre, en une succession de sarcasmes ironiques qui sont autant de cris de révolte, la réponse vengeresse et atroce des nécessiteux après des siècles de soumission. Charge subversive contre l’Eglise et la politique d’une Espagne aveuglée, qui continue de stimuler et d’agacer la sensibilité, Viridiana atteint son apogée dans l’extraordinaire séquence de l’orgie, qui parodie les tableaux chrétiens de la Cène et invente des images embarrassantes, terribles et indélébiles.

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Le Voleur de Bicyclette – Vittorio De Sica

A sa sortie, Le Voleur de Bicyclette représente comme la quintessence du néoréalisme alors en pleine gloire, deux ans après le Rome, Ville ouverte de Rossellini. Aujourd’hui, on le revoit assez différemment, mais on y est aussi sensible au scénario de Cesare Zavattini, magistralement construit, avec ses rebondissements constants, ses coïncidences théâtrales jouant sur le comique, voire le grotesque, ou le pathétique. Surtout, on est toujours aussi transporté par l’histoire de cet homme poursuivi par le destin, qui s’enfonce inexorablement dans un cauchemar sans fin, sous le regard d’un enfant qui est comme sa conscience. Film des victimes, des vaincus, écrasés par des règles du jeu qui leur échappent, qui ne sont pas faites pour eux, condamnés à la solitude, à l’échec, à l’impuissance, cette fable mélodramatique culmine lors de son final, alors que le petit Enzo Staiola, séchant tant bien que mal les larmes qui perlent sur sa joue, s’empare de la main de son père, honteux d’avoir été contraint de voler pour subsister. C’est beau, c’est déchirant.

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Voyage au Bout de l’Enfer – Michael Cimino

S’il n’y avait qu’une image à retenir de cette fresque fondamentale (parmi les dizaines qui le méritent), ce serait peut-être le regard perdu de Christopher Walken, pressant le canon d’un revolver sur sa tempe dans un boui-boui sud-asiatique : l’image terrible, indélébile, d’une génération marquée dans sa chair par le traumatisme du conflit vietnamien. Il y a dans Voyage au Bout de l’Enfer une ampleur, une épaisseur romanesque, un lyrisme qui retrouvent la puissance harmonieuse des plus grands films : l’Amérique et l’Asie, la nature et le monde industriel, la chasse et la guerre, l’individualisme et la solidarité, le deuil et l’espoir sont ici indissolublement liés, par la vertu d’une mise en scène d’une rigueur et d’un classicisme admirables. Loin de se complaire dans la description des horreurs du conflit, Cimino se borne à évoquer celles-ci au cours de séquences aussi brèves qu’éprouvantes, précédées de splendides échappées bucoliques, d’une scène de mariage digne de celle du Parrain, et clôturées par un hymne d’espoir bouleversant (God Bless America). L’interprétation exceptionnelle parachève la grandeur de cet immense classique du cinéma américain, qui n’a rien perdu de sa force depuis trente ans.

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Le Voyeur – Michael Powell

On serait tenté d’attribuer ce stupéfiant thriller psychotique à quelque épigone de Buñuel ou de Hitchcock, mais il est l’œuvre du très respectable réalisateur britannique Michael Powell, qui impressionna à travers lui plusieurs générations de cinéastes (de De Palma à Tavernier). Il débute sur le gros plan d’un œil s’ouvrant comme un obturateur de caméra et fixant, effrayé, ce qu’il a devant lui. Cet œil est un emblème filmique, il introduit une situation de perception complexe dans laquelle le spectateur est intégré autrement qu’à la manière traditionnelle : celui-ci – le "Peeping Tom" ou voyeur – devient lui-même celui qui est regardé. Le reste du film est à l’avenant, déployant ainsi des vertiges de perversité trouble et fascinante. C’est l’histoire effroyable d’un homme pour qui tuer ne suffit pas, mais qui a besoin également de fixer l’agonie et la peur de ses victimes sur pellicule. C’est une mise en abyme extrêmement troublante du processus d’enregistrement du cinéma et de ses déviances, doublée d’une analyse fulgurante du voyeurisme névrotique, des réalités filmiques et psychologiques à la base de toute cinéphilie. C’est un film unique, sans concession, peut-être le plus dément de son époque.

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Willow – Ron Howard

Un autre de mes films d’enfance que je chéris tout particulièrement. Artisan parmi les plus doués du cinéma américain, Ron Howard (sous l’égide de George Lucas, qui remitonne dans l’heroic fantasy tous les ingrédients de Star Wars) signe l’un de ces grands spectacles enchanteurs qui restent gravés pour toujours dans un coin de la mémoire. Avec ses Nelwyns sympathiques et sa reine démoniaque, sa magie noire et sa douce princesse à sauver, son héros intrépide et ses armées de répurgateurs qui font trembler le sol d’un univers foisonnant d’imagination (que les effets spéciaux ont permis de concrétiser), Willow fait partie des films que je peux regarder encore et toujours, sans me lasser, parce qu’il vibre d’un tel plaisir de cinéma, d’un tel savoir-faire (dans l’efficacité technique comme dans la capacité à émerveiller) que le temps n’a pas prise sur lui. Quinze plus tard, Peter Jackson achèvera l’adaptation monumentale du Seigneur des Anneaux : sa trilogie, grandiose, magnifique, puissante, inspirée, enterrera définitivement le genre au début du 21è siècle. Mais il n’atteint pas, sentimentalement, la place privilégiée que tient le conte fantastique d'Howard dans mon cœur.

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Les Yeux sans Visage – Georges Franju

Georges Franju est l’un des grands noms du cinéma français, et sans doute celui ayant le mieux honoré le genre fantastique à l’intérieur de nos frontières. Construisant l’alchimie parfaite d’un mélange de terreur et de poésie allégorique, il crée avec Les Yeux sans Visage un climat insolite dont le suspense résulte avant tout du jeu avec le visible et l’invisible, la révélation et la dissimulation, et de la façon extrêmement calme dont la folie infuse l’écran. C’est avec un véritable raffinement que Franju invente ici une atmosphère de cauchemar, brillamment soutenu par une photographie en clair-obscur qui fait revivre l’inquiétante étrangeté des films muets expressionnistes allemands. Par ses images de terreur médicale (les opérations cliniquement filmées) prenant vie dans une ambiance d’onirisme surréalisant, par ses visions somptueuses et glaciales qu’accompagnent les thèmes musicaux aussi envoûtants qu’obsessionnels de Maurice Jarre, ce conte macabre crée une angoisse latente qui s’incarne aussi bien dans la peur des objets scintillants, des objets tranchants, que dans la lenteur hypnotique du rythme, la netteté des traits et la sensation tactile du silence et de la nuit.

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25 titres supplémentaires sur le banc (parmi des dizaines d’autres), et comme ça me vient en ce moment précis :

Le Bon, la Brute et le Truand – Sergio Leone
Breaking the Waves – Lars von Trier
Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) – Arnaud Desplechin
Contes de la Lune vague après la Pluie – Kenji Mizoguchi
Le Corbeau – Henri-Georges Clouzot
Crimes et Délits – Woody Allen
Dead Man – Jim Jarmusch
Douze Hommes en colère – Sidney Lumet
Les Enchaînés – Alfred Hitchcock
Le Faucon Maltais – John Huston
In the Mood for Love – Wong Kar Wai
Jules et Jim – François Truffaut
Le Locataire – Roman Polanski
Ma Nuit chez Maud – Éric Rohmer
Miracle en Alabama – Arthur Penn
M le Maudit – Fritz Lang
Pierrot le Fou – Jean-Luc Godard
Police fédérale, Los Angeles – William Friedkin
La Porte du Paradis – Michael Cimino
Princesse Mononoke – Hayao Miyazaki
Le Rayon Vert – Éric Rohmer
Le Septième Sceau – Ingmar Bergman
Shining – Stanley Kubrick
Underground – Emir Kusturica
Yi Yi – Edward Yang


Un immense pardon aux nombreux cinéastes que je n’ai pas pu citer (100 films, c’est très peu, contrairement à ce qu’on peut croire). Capra, Chaplin, Eisenstein, Almodovar, Truffaut, Lang et tellement d’autres… Leur absence injuste dans ce palmarès ne veut pas dire qu’ils n’y ont pas leur place. Tout comme beaucoup d’autres films de réalisateurs cités ici mériteraient d’intégrer mon top. Si j’avais établi cette liste un autre jour, nul doute qu’on les retrouverait ici.


Dernière édition par Stark le 08 Déc 2010, 14:54, édité 2 fois.

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MessagePosté: 02 Juil 2008, 16:43 
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Qu'est-ce que t'as tartiné^^. Pour ne pas que c'ait été vain, je tiens à te dire que j'ai retrouvé beaucoup de mes films préférés et que j'ai pris plaisir à lire tous ces avis qui font partager ta passion. Là je me relis et je me dis que ce que je viens d'écrire est bien cul-cul mais c'est la vérité ;)

Ton réalisateur préféré est David Lynch, je me trompe?


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MessagePosté: 02 Juil 2008, 22:07 
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Merci.

Baptiste a écrit:
Ton réalisateur préféré est David Lynch, je me trompe?


Il fait partie des réalisateurs qui me touchent le plus en effet, encore que son dernier Inland Empire a donné un sacré coup dans l'aile à l'admiration que je lui porte.


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MessagePosté: 02 Juil 2008, 22:41 
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Localisation: L'atol de Pom-Pom Gali
J'ai été moi même extrèmement déçu par INLAND EMPIRE. Trop de méditation transcendantale nuit grâvement à la santé d'un cinéaste.
Bon, on y va pour l'exercice du top 10 de tous les temps :

1 Pulp Fiction (Quentin tarantino)

2 Le Parrain (Francis Ford Coppola)

3 Blade Runner (Ridley Scott)

4 Hana bi (Takeshi Kitano)

5 Mulholland Drive (David Lynch)

6 Rashomon (Akira Kurosawa)

7 Il était une fois en amérique (Sergio Leone)

8 Les anges déchus (Wong Kar-Wai)

9 Les affranchis (Martin Scorses)

10 Le cercle Rouge (Jean-Pierre Melville)

11 Vertigo (Alfred Hitchcock)

12 Barry Lyndon (Stanley Kubrick)

13 Exotica (Atom Egoyan)

14 Assurance sur la mort (Billy Wilder)

15 Les moissons du ciel (Terrence Malick)

bon d'accord, je suis allé jusqu'à 15, j'ai pas pu résister!


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MessagePosté: 02 Juil 2008, 22:43 
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Duck a écrit:

13 Exotica (Atom Egoyan)


Pour Mia ? :D

Sinon Inland Empire est un chef d'oeuvre.

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