En 1944, le Colonel von Waldheim fait évacuer des tableaux de maîtres du Jeu de Paume pour les envoyer en Allemagne. Labiche, un cheminot résistant, est chargé de conduire le train transportant ces objets d'art.J'avais découvert l'existence du film il y a 10 ans sur ce forum même dans le topic du décevant
The Monuments Men qui traite plus ouvertement du même sujet : la sauvegarde d’œuvres d'arts confisquées par les nazis. Le film de George Clooney avançait une promesse similaire de film discutant de l'importance de l'art dans l'écrin du genre plus divertissant du
"men on a mission" movie souvent situés durant la Deuxième Guerre Mondiale mais elle n'était pas tenue.
Et bah il se trouve que Papa John l'avait tenue 50 ans avant.
Débauché par son fidèle Burt Lancaster après le renvoi d'Arthur Penn au bout de trois jours de tournage, Frankenheimer est appelé pour booster un scénario où le train ne quittait la gare qu'à la page 90 et signe un véritable film d'action parcouru de séquences spectaculaires et tendues (déraillements! courses contre un Spitfire pour se cacher dans un tunnel!) mais qui parvient à incarner son interrogation dans le corps même du récit.
Penn souhaitait passer plus de temps sur le personnage (fictif) de Lancaster, un cheminot nommé Labiche (dissonance cognitive maximale), et son rapport à l'art, pour explorer ce qui le pousserait à l'acte, mais faire de ce protagoniste presque un résistant malgré lui foncièrement peu mû par l'art s'avère finalement plus intéressant. Déjà parce que cela réduit dans un premier temps le train et sa cargaison à un McGuffin qui confère une portée allégorique à toute l'entreprise - on est dans les derniers jours de l'Occupation et c'est aussi l'histoire d'un ultime face-à-face entre un soldat allemand et un résistant français, chacun de plus en plus obstiné à "gagner" - mais aussi parce cela permet de vraiment demander si la sauvegarde de l'art mérite le sacrifice potentiel d'êtres humains. Et si le personnage ne tranche pas réellement dans son discours (il parle avant tout de
"fierté nationale" et de
"patrimoine"), ses actes le font pour lui.
En effet, en inventant toutes sortes de subterfuges pour rendre les héros plus actifs - dans l'histoire vraie, le train a été maintenu en gare par notre bonne vieille administration traînante - le scénario fait d'eux...des artistes! Ici, les résistants mettent en scène, maquillent, endossent des costumes et jouent un rôle et vont s'improviser eux-mêmes peintres pour sauver des peintures (même s'il est davantage question de signe de reconnaissance biblique...faisant de l'art le peuple élu!). Ce n'est plus l'art de la guerre, c'est l'art
dans la guerre!
Et l'art du cinéaste n'est pas en reste, multipliant les compositions de cadres en
deep focus et les mouvements de caméra passant élégamment d'un personnage à un autre dans un N&B racé, c'est vraiment du bel ouvrage, jusqu'à ce montage final lourd de sens entre les caisses de tableaux siglés du nom d'illustres peintres et les corps des victimes sans cercueil.
C'est un poil trop long (2h13) et, alors que je suis le dernier à faire ce reproche, c'est un peu bidon qu'absolument tout le monde parle anglais (surtout pour doubler Michel Simon aussi grossièrement!), mais je suis prêt à parier que le jeune Spielberg de 18 ans a été marqué par ce film, parce que j'ai souvent pensé à
Raiders of the Lost Ark (notamment avec cet antagoniste nazi amateur d'art et l'aspect increvable plein de ressources même quand il est seul du héros) et
Saving Private Ryan (comment rationaliser
"between the mission and the men").