Tiens tiens, très à propos...
Je viens de poster, en retard, Mon Top 10 de la décennie 2000 dans la rubrique Vos Tops. The Attack of the Clones s'y trouve, suivi d'un gigantesque texte qui sied très bien ici.
7- Star Wars: Episode II – THE ATTACK OF THE CLONES (2002) de George Lucas L’Attaque des Clones est un titre plutôt évocateur pour décrire le deuxième épisode de la saga mythique de Star Wars. Il s’agit d’une expérience de clonage visuel tout à fait fascinante. Et dans notre ère d’imagerie numérique, cloner le passé en le mêlant au présent peut donner quelque chose de merveilleusement racé. Un peu à l’image de Darth Vador, mi-homme, mi-machine, The Attack of the Clones est une bête étrange que le créateur de Frankenstein n’aurait pas reniée. Lucas s’est pété un trip de fou en greffant au cadavre de sa vieille trilogie de jeunes membres tout frais, déclanchant ainsi la colère des fans de la vieille trilogie. Dommage, car pour apprécier la saga dans son ensemble, je dirais qu’il faut d’abord comprendre ce style de cinéma propre à Star Wars. Car il s’agit d’une forme de cinéma assez particulière qui semble s’abreuver d’absolument tout, sans discriminations, avec une soif impressionnante et intarissable. C’est un cinéma unique que peu de réalisateurs ont réussi à maîtriser avec autant de sincérité que George Lucas. La plupart des réalisateurs post-moderne, en pastichant, en rendant hommage aux récits qui les ont inspirés (par exemple le film Shrek (Andrew Adamson et Vicky Jensen, 2001) qui revisite le conte de fée), s’excusent du même geste en insérant des répliques cyniques du style «nah, ce n’est plus sérieux aujourd’hui! ». Lucas est l’un des seuls qui, en se modernisant, n’a pas perdu son respect du matériel d’origine, des récits fondateurs. Et en les mélangeant aux artefacts modernes, il réussit à retrouver la puissance d’évocation de ces récits d’origine dans lesquelles il puise. The Attack of the Clones, en particulier, s’apparente un peu à un collage pop art. La vignette (un peu plus haut), nous en donne un très bon exemple. On y trouve le mélange des trois couleurs évocatrices de la vieille trilogie. Le blanc qui évoque la princesse Leia, le noir qui évoque le costume de Darth Vador, et le beige sur Obi-Wan renvoie à Tatooine, la planète où ce dernier trouvera exil. Avec cette économie de couleurs, cette image nous rappelle tout de suite les vieux Star Wars en s’adressant directement à notre subconscient. Un seul élément jure avec le reste, la trop grande netteté de l’image. Dans nos souvenirs, Star Wars évoque des images imprimés sur de la pellicule granuleuse, des silhouettes se tenant dans un désert ocre et poussiéreux. Ici, on se retrouve avec une image hyper net (filmé avec une caméra HD numérique) de trois personnages aux couleurs « star warsienne », se tenant dans un environnement au sable propre et orangé. Les couleurs de base restent les mêmes, mais les temps ont changés, les environnements changent aussi. On peut dorénavant s’amuser à coller nos acteurs sur une infinité de « background ». Le look poussiéreux d’antan style Benhur rencontre Capitaine Cosmos peut maintenant prendre une forme plus évolué, lorgner vers le orangé de planètes plus exotiques. Et cette absence de limites, cette perfection visuelle, fait tout de suite penser à l’univers visuel des jeux vidéos. Lucas s’en amuse d’ailleurs, et va jusqu’à monter des scènes complètes qui renvoient à certains jeu de combat sur platforme (juste retour des choses, car l’industrie du jeu vidéo doit beaucoup à la trilogie originale). Dans sa gourmandise formelle, le film finit même par donner un look presque plastique (celui des figurines que Lucas a popularisé, justement). À regarder les cheveux de Obi-Wan, on jurerait qu’ils ont un aspect chromé, lissé, digne de ces bonhommes en plastique à l’effigie des héros romantiques de l’espace. Un jouet playmobile à la limite! Et cet aspect lisse et propre, généralisé dans tout le film, témoigne de cette hybridation fascinante entre mythologie poussiéreuse et modernité.
The Attack of the Clones, malgré ses innombrables maladresses, est un film touchant. Pour moi, il s’agit de l’épisode le plus réussi, le plus aboutie de la saga Star Wars. L’amour de Lucas pour toutes les formes de récits existants transparaît plus que jamais dans cet épisode. Il s’est un jour donné le pari de raconter une saga universelle pouvant toucher tous les peuples, toutes les religions. Pour ma part, le pari a été accompli haut la main sur The Attack of the Clones (d’une richesse incroyable). Et la grande réussite de Lucas sur cet épisode est d’avoir su l’équilibrer, le rendant homogène, malgré le foisonnement extrême d’éléments et de références hétéroclites qu’il renferme. Il s’agit peut-être de l’épisode le plus intense à ce niveau. On passe du roman Harlequin au péplum, en passant par le soap opéra, les « serials » de science-fiction du samedi matin, le film de guerre, le polar, le film politique, les films de propagande allemands de Leni Riefenstahl, la mythologie américaine (James Dean, les années 60, les westerns de John Ford), la spiritualité orientale, la Grèce antique, la psychanalyse freudienne, le film d’art martial. Ouf! Et j’en passe. Le tout forme un ensemble un peu plus naïf que l’excellent et mature Revenge of the Sith (2005), mais beaucoup mieux balancé. Car l’amour de Lucas pour l’univers qu’il a créé transparaît autant dans les scènes intimistes que dans les morceaux d’actions (beaucoup plus mémorables, inspirés et funs que dans l’Épisode III par exemple). Lucas a eu beaucoup d’audace de s’essayer à un clonage aussi éclectique. Son film est courageux, sans concession. En sachant que l’époque candide des années 80 était révolue, il s’est quand même lancé dans cette entreprise nostalgique en ne changeant rien du ton naïf de la vieille trilogie, en conservant les mêmes références (plus difficiles à accepter aujourd’hui). Résultat : il s’est attiré la colère des fans de la première heure (qui ont bien évidemment vieilli). Un constat pas si étonnant, étant donné que la machine à rêves hollywoodienne était à son apogée dans les années 80 et nous vendait des films comme on vendait des jouets. Ces films, on voulait qu’ils nous appartiennent. Cette trilogie Star Wars originale, c’est un peu le jouet d’enfance qu’on se plaisait bien à retrouver de temps à autre. En revanche, cette nouvelle trilogie est un peu ce jouet remodelé que l’on ne veut pas reconnaître. Pourtant, en faisait l’effort de reconnaître la cohérence de ce nouveau jouet, on se rend compte que The Attack of the Clones n’est pas si différent de Empire Strikes Back (Irvin Kershner, 1980), l’épisode le plus apprécié. On y retrouve le même romantisme, la même naïveté, la même structure épisodique, le même sens du théâtre, et cette même manière de terminer les scènes avec cadrage en plan d’ensemble et personnages se figeant en attente du fondu enchaîné, comme dans les films muets. De plus, le scénario est mieux structuré. Il réussit à évacuer toutes ces scènes et éléments inutiles qui entravaient le développement des épisodes originaux (Han Solo prisonnier de la carbonite et son interminable sauvetage dans l’épisode suivant, même si fun, n’apportait absolument rien a la progression dramatique). Dans la nouvelle mouture, Lucas s’est efforcé d’épurer son scénario, et s’est essayé à plus de profondeur. Les épisodes II et III ne sont pas aussi relâchés et désinvoltes que leurs prédécesseurs, mais leurs scénarios sont vraiment à propos de quelque chose. Il était d’ailleurs plutôt improbable que Lucas fasse de sa nouvelle trilogie une envolée lumineuse avec les personnages légers et sympathiques que la horde lui réclamait. Après tout, cette nouvelle trilogie ne portait-elle pas sur la chute d’Anakin vers le côté obscur de la force?
Malgré sa rigueur cohésive, le film comporte certaines maladresses qui l’handicape et l’empêche de toucher une majorité de spectateurs. En prenant l’énorme risque d’explorer une aussi grande palette de récits, en voulant toucher à l’universalité, Lucas rate sa tentative de créer une œuvre qui puisse plaire à tout le monde. Fait assez paradoxal, car on ne peut pas dire qu’il a oublié de s’adresser à quiconque. Il s’est d’ailleurs aventuré très loin en puisant dans les formes de récit que la vieille trilogie n’avait jusqu’alors qu’effleuré. N’empêche qu’en utilisant autant d’éléments hétéroclites, il s’agit que le spectateur ne soit pas à fond dans un seul de ces éléments, et le film s’écroule comme un château de carte. C’est là la grande fragilité de The Attack of the Clones, mais aussi sa grande beauté. Comme mentionné plus haut, Lucas ne fait pas de discrimination. Par exemple, il n’hésite pas à emprunter aux romans Harlequins et aux soap opéra quand vient le moment de traiter des tourments amoureux de Anakin et Padmé. Il n’hésite pas à emprunter l’art du dialogue naïf et télévisuel pour laisser ses personnages s’exprimer. Il en résulte des scènes plutôt difficiles à avaler si on s’attend à du réalisme. Mais Star Wars n’a jamais été réaliste. Star Wars synthétise grossièrement en des phrases très épurés et simples, en des scènes essentiellement visuelles et lyriques, les enjeux et les drames. Nous sommes dans l’univers des séries à la Flash Gordon, et la fantaisie prime avant tout. La concision narrative également. Si The Attack of the Clones est un film sur l’adolescence d’un futur tyran, il va synthétiser les clichés de l’adolescence en une sorte de peinture stylisée, pour mieux témoigner de ses dérives. Et cela fonctionne, pourvu qu’on accepte cet aspect collage du film. Cela fonctionne aussi parce que Lucas est dépourvu de cynisme. Il aime profondément toutes ces formes de récit et de langages auquel il rend hommage. Il se dégage de l’ensemble une sincérité tout à fait charmante. Mais du même coup, comme mentionné plus haut, cela peut nous mettre en contact avec le mépris que l’on peut ressentir vis-à-vis certaines formes de récit. Et mépris, il peut y avoir, car Lucas a carrément décidé de mettre les clichés à l’avant-plan, se servant des archétypes comme instruments quasi esthétiques, comme si c’était les couleurs d’une palette de peinture. Les coups de pinceau peuvent être grossiers, c’est le résultat global qui intéresse Lucas. De l’ensemble de ses couleurs, son idée est d’aller chercher une ambiance, une émotion, et non pas créer une peinture réaliste. The Attack of the Clones nous ramène à ce cinéma d’antan où la somme des éléments, l’émotion d’ensemble, comptaient plus que l’infime détail (que l’on ne manque jamais de critiquer de nos jours). Stanley Kubrick disait du cinéma que c’était une photo d’une photo de la réalité. Pour George Lucas, il s’agirait plutôt d’une photo d’une photo d’une photo de la réalité.
Depuis les tout débuts de sa carrière, Lucas a toujours été attiré d’avantage par la force visuelle du médium cinématographique que par la chimie des interactions humaines. C’est un réalisateur plutôt maladroit, trop intellectuel, pas assez chaleureux. Et ce n’est certainement pas un grand directeur d’acteur, ni un dialoguiste très inspiré. Mais il n’a jamais eu la prétention d’aller au-delà de ses limites. Bref, il n’a jamais essayé de faire du Shakespeare. Et par chance, la naïveté des années 70 et 80 ont beaucoup aidé à bien faire passer les faiblesses de ses premières oeuvres. Mais surtout, le genre de films qu’il réalisait rendait illico leurs faiblesses plus légitimes (le film d’ado dans American Graffiti (1973), le « space opera » dans Star Wars (1977), et la sci-fi expérimentale dans THX 1138 (1971). Que de genres et moyens de se permettre un peu de désinvolture ou de maladresse). On retrouve d’ailleurs le même phénomène chez un réalisateur comme John Carpenter qui, sans être un grand directeur d’acteur, évolue avec succès dans l’univers plus indulgent des films d’horreur fauchés.
Le principal problème de la nouvelle trilogie de Star Wars, c’est qu’elle s’aventure justement dans des sphères moins propices à l’indulgence, celles de la tragédie. Aujourd’hui, alors que le spectateur est nourri abondamment d’ultra-réalisme, la tragédie lyrique un peu lourde ne passe plus, surtout enrobé du style naïf d’autrefois. Et à cause des limites imposées par ce style très opératique, les acteurs ont dû se débrouiller tant bien que mal avec une approche très intellectuelle et conceptuelle de la direction d’acteur. Selon moi, ils ont fait des miracles malgré quelques fausses notes. Mais l’élément le plus casse-gueule de cette nouvelle trilogie, c’est le personnage antipathique d’Anakin. Il faut donner mérite à Lucas d’avoir eu l’honnêteté et le courage d’en avoir fait un personnage détestable. En traitant précisément de la genèse du légendaire Darth Vader, avant qu’il ne devienne ce méchant et grotesque colosse, Lucas savait qu’il n’allait pas pouvoir rassembler autant de fidèles. Il savait aussi que le personnage d’Anakin allait être détesté pour son côté arrogant, antipathique, immature, mal à l’aise, pourtant il n’a pas essayé d’en faire un personnage attachant. Il le présente comme un anti-James Dean qui a tout du look rebelle, mais qui manque incroyablement d’assurance. Ce qui est un exploit pour un film « mainstream » sensé nous rassurer avec un personnage principal attachant. Et c’est probablement pourquoi le public a détesté le jeu de son interprète, Hayden Christenssen. Son personnage est dépourvu de charisme, car il s’agit d’un ado mal dans sa peau, la reproduction parfaite du californien moyen qui veut grandir trop vite et emballer la fille. Il est fort possible que le personnage ait été détesté bien plus que la performance. Quant à moi, le jeu de Christenssen est parfait, si on accepte le ton de Star Wars et cet aspect théâtral, un peu affecté, que l’on retrouvait dans les vieilles séries de sci-fi. Mark Hamill, Harrison Ford, Carrie Fisher, jouaient tous de la même manière dans les originaux… mais la camaraderie et l’humour du scénario était plus rassembleur. Bien sûr, la nouvelle trilogie raconte une autre histoire, plus tragique.
The Attack of the Clones est une drôle de créature, un peu maladroite et empoté. Mais, il n’en demeure pas moins que le monstre est bien vivant. Lucas aurait pu rester dans sa zone de confort, à nous resservir la même soupe d’il y a 30 ans, avec ces mêmes courses poursuites entre chevalier et soldats impériaux. Mais il nous aurait servi un cadavre. Au lieu de ça il a décidé d’explorer. Il s’est lancé en chirurgie. Et même si on perd le côté organique d’antan au profit du numérique, même si la camaraderie entre Han Solo et Luke Skywalker manque à l’appel, The Attack of the Clones est une œuvre parfaitement vivante, preuve du désir de Lucas d’expérimenter, de se renouveler sans cesse. Un beau film artisanal, ludique et intemporel, qui témoigne d’un processus créatif admirable et franchement émouvant. Mais la réussite n’en serait rien si Lucas ne se racontait pas à travers son univers. Et c’est ce qui élève ce film au-dessus de la moyenne des blockbusters habituels, et surtout au-dessus de l’Episode I – The Phantom Menace (1999, dramatiquement très faible). Avec American Graffiti, The Attack of the Clones constitue l’œuvre la plus personnelle de George Lucas. À travers le personnage d’Anakin, Lucas exulte son adolescence à Modesto en Californie, et ce jeune garçon arrogant qu’il a été jadis. Ce p’tit gars qui voulait grandir trop vite, cueillant les filles dans la rue investi d’une voiture sport, disputant des courses dans les rues de la ville et frôlant la mort de près dans un spectaculaire accident de voiture qui lui valu un séjour dans le coma et des mois dans un lit d’hôpital connecté de partout. Et c’est cela Star Wars, l’histoire d’un ado qui finira par se brûler, terrorisé par la solitude et aveuglé par la réussite instantané. Celle d’un ado apeuré et impatient dont le destin sera scellée à l’intérieur d’une armure médicale noire et un masque respiratoire, ceux du méchant Darth Vador. Tout l’essence de Star Wars se retrouve là. En ce sens, The Attack of the Clones et sa suite Revenge of the Sith, aidés de leurs maladresses charmantes, sont les segments les plus purs et viscéraux de toute la saga, envers et contre tous leurs détracteurs. Et l’Episode II en constitue l’œuvre maîtresse, ma préférée à moi tout seul.
(si l’univers de Lucas vous intéresse, vous pouvez lire une splendide analyse de la saga Star Wars par Corinne Vuillaume, particulièrement concentré sur l’Episode III – The Revenge of the Sith. Cliquez
ici).