Hóng Gāoliáng (
红高粱) en VO.
Red Sorghum à l'international.
Je rejoins assez le ressenti de Bliss sur l'hybridité du film, mais en plus enthousiaste que lui, je crois. Je trouve ça moins ample, mais aussi moins programmatique qu'
Épouse et concubines : c'est bien plus lyrique, pulsionnel, énergique, très "jeune" (côté tête à claque compris). C'est en effet assez puéril par la manière dont ça court après la grande scène d'épate (faut voir l'artificialité des articulations menant au climax...), mais hey, j'aime bien aussi quand on me séduit au ciné, et là c'est une vraie parade de paon.
Au-delà de la coquetterie d'esthète (le trip "50 nuances de rouge", qui s'avère en fait plus thématique que formel : libre circulation et osmose entre le désir, la chair animale, la sublimation de la lumière, la peau brûlée des prolétaires, l'ivresse du vin, les percées de sang, la chaleur du désert ocre...), je trouve quand même à Zhang Yimou un vrai talent des situations. Le début par exemple, ce dialogue aveugle entre la jeune vierge dans le palanquin et les hommes qui la malmènent, c'est simple, puissant, sans chichi. L'hésitation fable/fresque est aussi assez fertile : on a là tous les ingrédients pour faire une grosse fresque obèse de 3h (grandeur et décadence d'un commerce, mari et amant, affirmation progressive d'un pouvoir féminin, gamin témoin qui grandit...), or c'est tout le contraire ! C'est tout petit, tout modeste, dans un mini-décor, entre 10 personnages à peine, perdus tranquilles sans personne pour les faire chier dans leur coin du désert (au point qu'on ignore longtemps où et quand ça se passe). Tout est ellipsé : le mari officiel est mort avant même qu'on l'ait vu, le jeu d'approche avec l'employé (une scène, basta) aboutit immédiatement au déflorage, l'entente patronne-ouvriers est pliée en deux secondes, l'apparition des japonais coïncide avec leur pire méfait... Du coup, même si c'est sans doute du à des questions de production, le film est sur ce plan assez surprenant et rafraichissant.
Cela a aussi ses revers : à force d'éviter (ou de manquer) la grande structure signifiante, le film ne raconte pas forcément grand chose de cohérent (le scénario est d'ailleurs rempli de trous : pourquoi l'ouvrier senior part, par exemple ?). En posant à plat le parcours de l'héroïne, de la manière dont elle est introduite à la manière dont elle finit, on a bien du mal à comprendre l'enjeu de son personnage (ou encore moins la "légende" à laquelle la voix-off l'associe au début). Cela passe aussi par des facilités et étrangetés, qui m'ont d'abord désarçonné : aucun conflit interne ou obstacle, par exemple, entre la semi-patronne et ses employés (il faut bien la romance et les beuveries de son amant, balancé au milieu de la salle de travail, pour faire illusion). Tout le monde est d'accord, tout le monde est content, tout le monde travaille ensemble. En fait, j'ai fini par me rappeler où j'avais déjà vu ce genre de fonctionnement narratif : dans le cinéma chinois des quarante années précédentes, où un petit "groupe" communiste soudé se forme dans la béatitude et l'entente, et où le reste du monde tient lieu d'ennemi unificateur. Ici ce sera le rôle des japonais, qui donnent très tardivement (et là encore, assez artificiellement : en quoi leur venue fait sens avec ce que racontait jusque là le film ?) un moyen au récit de continuer à avancer.
On peut bien sûr déceler en souterrain le projet initial (une femme incarnant la collectivisation des profits contre le patronage représenté par son ancien mari, proto-communisme qui s'affirmera face à l'envahisseur), mais ce n'est pas assez bien dessiné, et par ailleurs trop souvent prétexte aux délires de peintre, pour réellement nous atteindre.
Film bancal donc, lourdingue dans son projet esthétique, lourdingue et complaisant dans l'horreur lors de son segment japonais, mais franchement je ne boude pas mon plaisir, j'ai bien pris mon pied, je ne suis jamais resté froidement à admirer ça de l'extérieur (y a une sacré aura sensorielle/érotique là-dedans qui en empêche, de toute façon), et quelque part je trouve l'ensemble beaucoup plus digeste, dans sa fougue fière et dispersée, que certains films chinois maousses qui suivront.
Concernant le DVD : apparemment l'image du DVD Film sans frontières serait pourri ? Je vais vérifier ça dans les prochains jours. En attendant j'ai regardé un DVD NTSC dont je ne connais pas la provenance (USA ?), qui n'est pas dégueu du tout (grain préservé, pas de lissage), mais qui a plusieurs gros problèmes casses-couille si vous n'utilisez pas un logiciel sur ordi : l'interpolation du 29.97 (pas gênante avec un bon filtre de désentrelacement ou un IVTC), des noirs trop décollés (compensable en baissant un brin la luminosité), et un sifflement pénible (il suffit de couper l'égaliseur à 16 000 Hz, y a rien d'autre à cette fréquence). Bref, tout ça pour dire qu'un blu-ray serait bienvenu...