(
शोले), parfois traduit en français (
Les braises).
Au cours d'une attaque de train, les inséparables Jai et Veeru sauvent la vie de l'inspecteur qui les escortait en prison. Quelques années plus tard, celui-ci retrouve les deux bandits, et leur propose un marché...Pour être tout à fait honnête, je m'attendais à un truc foireux : le cas Italien excepté, la greffe du western sur une cinématographie étrangère a je trouve toujours la gueule d'un dispositif distant, aussi soigné soit-il. Le Far West en chantant, j'y croyais donc moyennement... Or je dois admettre ici que le mariage fonctionne. L'Inde rurale contemporaine et sa pauvreté offrent déjà un trait d'union vers le village de pionniers du XIXème, mais je crois que l'idée forte du film a surtout été de remplacer la figure du cow-boy par celle du bandit, et ainsi de se débarrasser de l'icône la plus imposante du genre (et avec elle des thématiques phares parasites, comme la question de la fondation du pays).
La réussite de ce métissage est néanmoins le résultat d'une influence plus imposante encore : celle de Leone. Et ce jusqu'à parfois virer au remake pur et simple (le son du train substitué au meurtre de l'enfant, directement repiqué à l'une des scènes les plus célèbres du modèle italien). Mais globalement, malgré le nombre de situations voisines, ce que Sippy repique à Leone c'est un style : le plan fier, le silence architecturé, la tension, qu'il a compris et digérés, et qu'il redistribue intelligemment à travers des personnages qui vont pouvoir incarner ces rapports : la jeune fille muette et celle qui parle constamment, l'homme extravaguant qui chante et son ami détaché. Sur un canevas adapté des
Sept samouraïs (le film qui aura décidément circulé par tous les pays...), il recompose un univers ancré dans l'Inde et ses rituels, sa fête de la couleur, ses filles à marier, son exaltation de la danse (danse que Sippy prend justement toujours soin d'intégrer de façon autoritaire au scénario : relâchement après la peur, tension crescendo avant l'explosion, torture féroce...).
Hormis une facture parfois plus maladroite (qui tient surtout à un montage pas assez confiant, trop haché), c'est donc souvent aussi passionnant et prenant que du Leone, le film ayant de plus la qualité de ne pas s'épuiser dans sa seconde partie. Le style hérité semble à chaque moment menacer d'exister pour lui-même, de bouffer le film, mais Sippy nous rappelle régulièrement qu'il ne fera pas n'importe quoi de cette histoire. Par exemple, dans une scène là encore très inspirée de Leone (l'harmonica...), une jeune femme est forcée de danser jusqu'à l'épuisement pour les bandits, l'homme qu'elle aime étant tenu en joue, prêt à être tué si elle cesse une seconde ses mouvements. On voit alors venir une scène limite, où sous le prétexte du tragique, le film viendrait confortablement épouser le regard sadique des tortionnaires, se délectant avec nous de la danse sensuelle : mais Sippy retourne le postulat, et la danse devient une déclaration d'amour à l'amant attaché. C'est ce genre de petites choses salvatrices qui ramènent régulièrement à l'idée que ce réal tient réellement aux personnages qu'il met en scène (tous hauts en couleur et réussis). C'est aussi l'affaire d'une capacité à narrer qui dépasse largement l'influence Leone : le père qui se rend compte que sa fille est amoureuse par une simple descente d'escalier, l'homme qui joue en direct, à l'harmonica, la musique de la scène romantique que vit son ami...
De l'ensemble, au-delà d'une forme parfois brouillonne et de quelques relâchement (notamment l'épilogue, insatisfaisant et bâclé), je ne tiquerai que sur l'humour, rarement à la hauteur quand il est l'affaire de scènes lui étant entièrement dédiées (le directeur de prison bouffon, les bruitages et accélérés), grosse tâche feignasse sur un film qui tente pourtant par toutes ses pores de hisser son ambition au plus haut. On peut également regretter l'influence Leone aussi imposante, qui empêche parfois de voir se dessiner un style propre à Sippy, mais la simple rencontre avec le cinéma indien offre déjà des choses riches : ça ose beaucoup, ça va très loin, c'est parfois à la limite du ridicule (le final qui, conditions obligent, semble presque intégrer le kung-fu), c'est aussi souvent l'occasion de fruits intrigants (ce même final qui, conditions obligent, donne au combattant l'allure d'un fantôme).
Sans hurler au chef-d’œuvre, c'est en tout cas agréable de constater, après
Mother India, que les grosses légendes du cinéma indien tiennent haut la main le prestige de leur réputation.