A Kobe, au Japon, quatre femmes partagent une amitié sans faille. Du moins le croient-elles : quand l’une d’elles disparaît du jour au lendemain, l’équilibre du groupe vacille. Chacune ouvre alors les yeux sur sa propre vie et comprend qu’il est temps d'écouter ses émotions et celles des autres…Engouement critique mérité pour ce qui est sûrement le meilleur film que j'ai vu cette année. Il aura fallu attendre 3 ans depuis son passage au festival des 3 continents pour qu'il soit enfin distribué en France, tronçonné en 3 parties (de durée trop inégale), affublé d'un titre avant tout dicté par les impératifs de sa distribution (le tout étant chapitrés - parfois artificiellement - par les 5 sens) et qui ne permet pas de retranscrire la mélancolie que sous-tend le titre originel Happy Hours, ces heures heureuses sur lesquelles s'ouvrent le film et que ces 4 trentenaires ne reverront presque plus pendant les 5 heures à venir.
Le Japon est tout de même un drôle de pays, où la condition féminine n'est pas des plus enviable, mais qui ne cesse de produire des réalisateurs qui défendent leur cause, Hamaguchi en étant le dernier rejeton. Soit la société japonaise à évoluer depuis Ozu et Naruse (la belle-mère de Sakurako est la mémoire de cette époque, habillée de manière traditionnelle, assurant la séance de contrition à la place d'un fils trop occupé par son travail), les femmes se sont partiellement émancipées mais ne sont toujours pas l'égal des hommes. Chacune des 4 figures principales en souffrent, parfois sans le savoir, de la femme adultère qui doit se battre contre une justice archaïque pour obtenir le divorce à la femme au foyer qui est circonscrite aux tâches ménagères en passant par celle qui organise des séminaires mais dont le mari éditeur semble autrement mieux considéré. Pendant plus de 5 heures Hamaguchi va progressivement mettre à jour tous les ressorts de cette société de la vexation, au travers de longues scènes de dialogues où la parole se délie peu à peu, les blessures apparaissent, la prise de conscience survient.
5 heures de verbiage, ça aurait de quoi décourager, mais c'est là où tient le principal tour de force de Senses, c'est qu'à aucun moment le film ne souffre de longueur, les dialogues sont d'une justesse constante, jouant des codes langagiers (la langue japonaise abonde de ces formules toutes faites un peu creuse), le rythme des révélations y étant savamment distillé, la caméra regroupant/faisant s'affronter groupes et individualités avec une précision clinique. Les scènes les plus marquantes sont bien évidemment ces scènes de groupe (le debriefing après le séminaire, la lecture de la jeune auteur et la scène dans le bar qui s'ensuit) où le talent d'Hamaguchi transparaît le mieux. J'ai par ailleurs découvert après avoir vu le film que les acteurs principaux n'étaient pas professionnels, je trouve cela bluffant au regard de la difficulté à assurer sur des scènes de dialogues aussi longues.
Traiter de la condition féminine sans référent masculin serait incomplet. Et on peut dire que dans Senses ils sont gratinés. Amoureux transit n'acceptant pas qu'on lui impose un divorce, cadre dont les relations avec sa femme sont plus que parcimonieuse (et qui n'est pas loin de l'abandon de responsabilité lorsque son fils, avec lequel la communication est bien évidemment nulle, engrosse une camarade de classe), éditeur qui semble traiter les activités de son épouse avec la plus grande condescendance, ils sont tous prisonniers de le geôle qu'ils sont censés garder, incapable de perdre la face tout autant qu'ils sont incapables de rendre heureux leur moitié. Et c'est là où la mélancolie se loge en filigrane tout au long du film, ces hommes contre lesquelles elles se battent, ces femmes savent qu'elles ne peuvent s'en passer.
5/6Pour les plus connaisseurs de cinéma japonais, est-ce que quelqu'un aurait vu d'autres œuvres d'Hamaguchi (hormis le dernier en compétition à Cannes cette année)? Je serais curieux de découvrir ce qu'il a fait avant, d'autant plus intrigué que j'ai rarement vu des films aussi mal noté sur IMDb que les siens...