Forum de FilmDeCulte

Curieuse carrière que celle de Sebastián Silva, sorte de Dupieux chilien gay, dans la manière dont il arrive à rameuter des stars américaines dans des productions de petite envergure. Comme Dupieux, il a un parcours plus louvoyant que celui d'un réalisateur classique, un peu touche-à-tout (musique, art). Première fois que je découvre l'un de ses films après le matraquage publicitaire organisé par Mubi, notamment via Facebook.
Et c'est plutôt bon, même si ça vire rapidement un peu trop à la farce hénaurme en mode un cadavre encombrant. Sebastián Silva, à travers une stupeur alimentée à la kétamine et Emil Cioran, obsède sur l'idée de suicide, avant de rencontrer un envahissant influenceur angelinos qui voudrait lui collaborer avec lui pour un show télévisé. Le film voudrait offrir un commentaire sur les différences de classes, entre son héros artiste déphasé avec son lévrier débile, sa femme de ménage à la fois simplette et criminal mastermind, son influenceur américain hédoniste et friqué entouré d'une clique du même acabit, son propriétaire entrepreneur mexicain sans doute plein aux as, qui veut faire dans la location airbnb estampillée arty, mais qui appelle les américains des gringos, ses fliquettes amerindiennes... Dans son filmage au débotté, le film est plutôt séduisant, tout en offrant également un commentaire devenu incontournable sur les réseaux sociaux et la tiktotisation. Imaginez un croisement réussi de Michel Franco et de Radu Jude, sans la lourdeur, la prétention du premier, sans l'excès ou la tendance au trop plein, aussi prétentieuse du second : le film est malgré tout un peu long.
Ce que réussit en définitive surtout le film, c'est le rôle qu'il offre à Jordan Firstman, un influenceur jouant son propre rôle, et la façon dont celui-ci se l'approprie comme un gant : il joue aussi lui-même, mais également une version plus complexe, plus profonde qu'il n'y paraissait au premier abord, tout en conservant une énergie qui lui est propre.

Je ne vois absolument rien qui fasse penser au cinéma de Jude dans ce film. A Franco, beaucoup (trop). C'est pareillement totalement misanthropique, tous les persos sont absolument insupportables, le pire restant le perso de cette femme de ménage maltraitée et humiliée du début à la fin. Le seul pour lequel on peut ressentir un minimum d'empathie c'est celui incarné par Silva lui-même (évidemment). Sinon la réalisation est, à l'image du reste, usante de par son systématisme, caméra collée à 20 cm de la gueule de tout ce qu'il film, on comprend trop rapidement le principe pour que ça ne soit pas juste sur la longueur irrespirable.

Disons que les films de Jude et celui-ci se déroulent dans le même milieu de hipsters bossant dans la culture et l'audiovisuel. The Comedy de Rick Alverson annonçait un peu ce nouveau nihilisme ou pessimisme sarcastique, qui continue de se développer chez l'un et chez l'autre (ici et là Cioran peut d'ailleurs faire office de jonction), et qui trouve un conduit de choix dans la satire des réseaux sociaux. Bon Jude c'est un peu la version roumaine cheap, car même si Silva ne fait que graviter autour de (ou parasiter) la prodigalité américaine, comme le suggère ce film, le milieu qu'il présente semble un peu plus privilégié. Rotting in the Sun appartient à ce genre qui a fait florès au cinéma et déjà exploré par Silva avec La Nana (aka La Bonne) - celui du film de bonnes ou de domestiques - du Journal d'une femme de chambre à Une séparation et Parasite - le côté est un peu éculé mais donne lieu à des scènes plus intéressantes de comédie (le comportement d'office suspect de la femme de ménage aux yeux de l'américain) et à un panel de types plus larges que la comédie coréenne qui était franchement limitée. Il paraît évident que la sympathie de Silva va du côté de la femme de ménage, qu'il sauve de manière un peu facile tout en la maltraitant en effet - ce qu'il fait aussi avec les autres personnages. J'aime assez la forme à l'arrache de Silva, la sexualité décomplexée qu'il met en scène surtout dans les premières scènes (et qu'il a le bon goût de mettre un peu en veilleuse par la suite) mais je comprends que ça puisse aussi participer à l'aspect superficiel du film.

La différence majeure c'est que Jude choisi toujours un camp (et je ne trouve pas son cinéma nihiliste). Silva met trop facilement tout le monde dos à dos, c'est du pur cinéma misanthrope qui déteste tout le monde (sauf soi-même).


C'est clairement la première partie que je préfère, y compris sa totale décomplexion dans sa représentation de la sexualité, jusqu'au twist au premier tiers. Après c'est juste une version poussive de Mais qui a tué Harry ?