Très beau film de droite.
Une phrase ou plutôt un dialogue le résume : quand le supérieur du général joué par Laurent Laffite (qui se fond dans le rôle comme un gant) dit « c’est une famille compliquée », ce dernier répond « c’est une famille qui attache beaucoup d’importance aux symboles ». (Il s’entend alors répondre « Comme nous tous… comme nous tous »). J'apprécie d'ailleurs l'écriture sévère et stylisée du dialogue entre les trois militaires, contrairement à QGJ, qui touche juste dans sa manière de retranscrire un apparat, ou un côté vieille France typiquement militaire (même s'il est donc... stylisé ou idéalisé, il est présenté aussi comme hypocrite).
Et cette attirance pour l’aspect symbolique des choses permet au film de brasser beaucoup de thèmes : histoire coloniale, trauma fratricide des années noires, patriarcat, intégration, mais en restant finement allusif, sans tomber dans le manichéisme et en évitant sur le fil d’être scolaire.
C’est que le film manifeste une croyance très forte dans l’ordre, ici symbolisé par l’uniforme, les valeurs familiales et la religion. En même temps il subvertit des clichés devenus des symboles, via son décrochage à Taïwan, où le frère mort a poursuivi sérieusement ses études, apprenant le mandarin, loin du film de wesh à Pattaya (d’ailleurs mentionné dans le rap final de Mafia K-1 Fry). J’étais étonné de voir un film entièrement de deuil, un tombeau pour le personnage (j’avais zappé que le réalisateur évoquait sa propre histoire, pour être mieux cueilli par le « à mon frère » final), qui devient ensuite le récit d’une conversion, celle du frère perdu, à l’occasion d’une visite au temple. Une conversion à quoi ? C’est pas exactement précisé. A l'âge adulte. A une forme de mystère indéfinissable de l'existence.
Via ses uniformes (du père gendarme en Algérie au fils saint-cyrien étendu dans la chambre funéraire), son utilisation très belle de l’aspect rituel de la vie militaire (même le bahutage initial et tragique, complètement con, est filmé comme un entraînement pas comme un bizutage qui dégénère), des parades, en France, comme à Taïwan, le film évoque le mystère du monde actuel, mondialisé, la question de l'identité, de l'ailleurs, confrontée aux guerres ou aux tensions que l'on sait. Il réussit sa scène tarte à la crème de feu d’artifices avec des images qui m’ont remis en mémoire les fêtes de la rétrocession de hong-kong en 1997 (avec les conséquences que l’on sait) et le personnage de Karim Leklou, en même temps présent et absent, qui a touché un un truc mystique (le film le souligne encore une fois avec son geste en mode Saint Martin juste après). Comme chez Cogitore, une conversion, mais cette fois beaucoup plus belle et infiniment plus mystérieuse. Sublime scène de karaoké finale (putain le rap a bien baissé).
J’aime beaucoup Meklou depuis le Gavras. Il a un peu le défaut par contre d’un jeu monotone (je l’ai vu deux fois en trois jour au ciné) C’est pourquoi le film, très habilement, montre l’autre face de son jeu, en dévoilant, de manière différée, le changement qui s’est opéré en lui deux ans avant la mort de son frère, et en lui faisant parler un anglais facile et naturel. Maintenant, il faut qu’un réalisateur le pousse plus loin en tant qu’acteur mais bon dieu, ça change d’un ectoplasme bellâtre comme Pierre Niney.
Abyssin a écrit:
Bien aimé pour ma part. Trouvé le résultat solide et le film in fine assez émouvant. Mention pour les seconds rôles qui sont très bien développés.
Le film est émouvant dès le début, ça commence par un deuil et l'évocation d'un accident débile et évitable, et ça ne traite que de ça pendant tout le début et même tout du long, avec une sobriété qui émeut direct.
La page wikipédia mentionne la proximité de Rachid Hami avec Desplechin et le rôle de mentor de ce dernier... Eh bien, l'élève dépasse le maître.
Citation:
À l’énoncé du verdict, Rachid Hami s'adresse aux juges en leur disant : « Je vous remercie d’avoir trahi mon frère. Vous m’avez déçu et vous avez déçu notre justice »
Pour l'histoire du procès, que le film ne choisit pas du tout d'aborder, ou encore par l'allusion et la simple douleur. Immense respect pour ce sublime film et la manière dont il met en scène cette douleur.