les films dossiers de l’écran à la base ce n’est pas vraiment mon délire, mais c’est devenu l’air que l’on respire en france. alors il faut vivre avec son temps, et dans l’absolu ça permet assez d’approches avec des thèmes assez variés pour faire de belles choses. a deux conditions, il me semble : d’abord, mettre du cinéma dedans, et ensuite ne pas l’utiliser comme pur et dur moyen de propagande politique.
film dossier de l’écran, ça l’est, chimiquement pur. un film sur ce sujet de société, tout entier nourri par la recherche et pas le désir de coller à la réalité jusque dans les petits détails. dans le déluge de films de migrants en europe ces dernières années, c’est peut-être celui qui m’a paru le plus juste, celui que l’on pourra regarder dans 20 ans ou dans 50 ans pour comprendre ce qu’il s’est passé à ce moment-là. ce témoignage du moment précis a deux aspects : d’un côté ces migrants zonant autour des restaurants ou a vélo est devenu un incontournable de toutes les grandes et moyennes villes de france en quelques années à peine, on peut aller où on veut dans ce pays il y en a. donc ce sera un témoignage de ça pour l’avenir, autant que une plongée percutante pour les spectateurs d’aujourd’hui dans ces vies qu’on voit mais qu’on ne connait pas. d’un autre côté, je ne doute pas que tout ça finira régulé / interdit à un moment, et que ça disparaitra comme c’est arrivé. ne serait-ce que les comptes désactivés, les demandes de selfies… ça n’était pas le cas il y a 2 ans. ça l’est aujourd’hui. et dans un an ils trouveront un système plus radical pour empêcher les sous locations de compte. donc le film sera très rapidement obsolète dans ces aspects-là.
et du cinéma y en a plein partout. sur une approche de mise en scène déjà bien connue (dans l’absolu ce serait réalisé par les dardenne ça ne changerait pas mille choses) c’est très bien fait, les cadres sont très beaux, le travail sur le son est puissant. le scénario est formidablement construit, en intégrant toute sa recherche dans le récit, qui ne stagne jamais alors que dès la dixième minute je me demandais si on n’allait pas bientôt faire le tour. la représentation de la communauté africaine m’a paru incroyablement réussie, bien observée, précise, riche, et ça prenait authentiquement vie. impressionnant, vus les acteurs non pros et les conditions de tournage, comme il n’y a pas une seule scène qui fait mise en scène, jouée, comme on ne voit jamais les consignes de jeu . et c’est très bien joué, de l’acteur principal parfait à la fille de la fièvre que j’adore à la fin. la construction du personnage par touches, sans approche psychologique, est une masterclass.
et la propagande politique. c’était intéressant, en vous lisant, de voir à quel point le point de vue personnel sur l’immigration impacte la vision du film. un vrai test de rorsach. dans teaser, ils disent que le film montre que la société française ne sait pas si elle a besoin de ces nouveaux esclaves ou non. ici ça s’indigne de la simple possibilité qu’il ne reste pas en france. et le portrait est assez complexe pour que n’importe qui puisse trouver un point d’accroche intellectuel qui correspondra à sa pensée sur le sujet. impressionnant.
j’ai lu vos critiques et débats sur l’entretien, et j’avoue ne pas bien comprendre. mais là aussi, c’est un test de rorsach. dans le sens où je connais très bien le sujet - je n’ai pas appris une seule chose pendant tout le film - et quiconque connait ce sujet sait que le mensonge fait partie intégrante du parcours des migrants subsahariens en france, que ce soit au niveau de l’asile ou en se déclarant mineurs isolés (ils appellent ça « couper l’âge »). ce n’est pas exclusif aux subshariens, mais c’est caractéristique et massif. et le film le contexualise parfaitement : de fait un grand nombre de leurs situations de relèvent pas de l’asile, et de par la réalité de leurs pays et de leurs communautés il y a une culture de la débrouille qui fait que chacun cherche à se sauver, que ce soit en exploitant l’autre ou en mentant. le film le pose dès le début, pour moi c’était parfaitement intégré.
en revanche, là où j’ai un petit problème de malhonnêteté, et vous lire renforce cette impression, c’est dans l’impression que donne le film qu’il joue sa vie et qu’on va le renvoyer chez lui, etc. ce n’est pas le cas. dans la vie, des subsahariens expulsés, il y en a 300 par an et ce sont ceux (enfin, une partie de ceux) qui ont violé quelqu’un ou qui se branlent devant les écoles. sinon tout le monde reste. donc sa demande sera rejetée, il fera appel, il aura sa décision un an et demi plus tard donc à la fin du film il y a encore un an et demi à vivre comme dans le film. après ce sera rejeté, il aura une oqtf, qui sera périmée un an plus tard et n’est jamais appliquée puisqu’ils se concentrent désormais à 100% sur les gens qui sortent de prison (sans réussir et même eux finissent à 85% par ressortir et rester), et qui n’empêche ni l’accès à l’hébergement d’urgence ni aux mille astuces pour travailler quand on a pas le droit (au lieu d’un compte uber sous-loué, on loue une carte d’identité d’un membre de la communauté pour se faire embaucher en tant que cuisinier ou agent de sécurité, je pourrais citer 500 fraudes et astuces de ce style, etc). bref la débrouille continuera telle quelle, et la france et le pays européen qui finit par donner des papiers à absolument tout le monde, que ce soit au bout de 1 an, 3 ans, 5 ans ou 10 ans. donc il y a, je trouve, une malhonnêteté autant narrative qu’humaine à faire croire qu’il joue sa vie alors que ça n’est pas vrai. et la question devient alors, pour le spectateur, de savoir si c’est intelligent d’avoir ces 2600 règles et processus - que ce soit dans le droit de la migration ou le celui du travail - qui prennent des années et coutent des milliards et qui au final ne sont respectées par personne. et c'est un débat complexe et parfaitement légitime, en soi. est-ce qu'on ne torture pas inutilement souleymane alors qu'il finira bien évidemment par avoir ses papiers et son logement social ? pour moi c'est ça la question que pose le film, sauf que ni les gouvernements ni les militants du sujet n'assument cette réalité, et boris non plus donc.
mais c’était très bien, un beau puissant émouvant complexe et riche film. un des meilleurs films français de l’année, et peut-être le meilleur film de migrants depuis 2015 ?
Dernière édition par FingersCrossed le 09 Nov 2024, 11:01, édité 2 fois.
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