Indéniablement son meilleur film (pas vu Meek' s cutoff). Il y a même (pendant deux minutes sur 1h40 ) des éléments d'humour et de comédies bienvenus
qui font exister un peu plus les personnages que dans ses autres films, sans atténuer la finesse de l'observation sociale
.
Pourtant j'éprouve toujours une forme de réticence. C'est très (trop) programmatique. Tous ses films constituent un réseau, l'un fonctionnant comme la clé de l'autre . L'indienne qui parle sa propre langue dans First Cow prolonge ici le veilleur samoan pris en otage qui doit mentir pour rendre à l'histoire une dimension d'anecdote qui la fait dériver d'un trop grand tragique. Son identité ethnique est une transparence opposée à la charge fantasmatique de la situation (le vieux, plutôt sympathique qui se fantasme en Clyde Barrow) , l'altérité est opposée au code et au cliché qui sont ici de manière singulière plutôt des modalités du regard sur soi-même. La palefrenière rappelle Wendy de Wendy et Lucy, mais assume peut-être une sexualité que Michelle Williams refoulait voire méconnaissait, et n'a plus besoin de dériver vers le Nord mais Michelle Williams est présente dans ce film, , presque avec le même visage, le même entêmment esseulé, en mère de famillle apparemment bien entourée mais mal comprise. Il n'y a pas vraiment de rencontre, la compréhension de l'autre est le déclencheur du transert (d'où l'humour du film). Une tonalité est donnée dès l'entame du film (comme le bateau de First Cow, ici la route devant la montagne blanche, qui sera parcourue de manière complète et décevante par le personnage le plus adulte, qui est ensuite déployée entièrement (un peu comme Farhadi, mais sans le goût du paradoxe moral et social).
Ici la thématique centrale semble être celle de l'investissement (dans on parallélisme éthique et économique - comme dans First Cow - finalement peut-être mal compris-ce qui intéresse Reichardt c'est justement l'idée que l'investissement peut être séparé du marché, rester autonome, ne structure rien, il est preque une parole), développée un peu comme un plan de dissert en trois parties.
Laura Dern investit un concept et une valeur (la loi, prise comme garantie incertaine de la justice sociale, neutralisant la colère de l'autre en la reconnaissant), Michellle Williams un objet ou un lieu (ses briques autour desquelles elle fantasme un foyer), esthétisé et secret (son confort le rend impénétrable, il n'a même plus besoin d'être construit dès lors que la matériau symbolique est capté, inaliénable ) et la palefrenière une femme qui ne va rien lui rendre, par honte ou fatigue. Le courage d'assumer l'enjeu érotique va isoler celle-ci encore plus et le film va alors se replier sur des vignettes à la fois évocatrices et atmosphériques : la radio finale qui parle à la fois d'une peine de prison pour un faux chèque (et du crime d'un malheureux, un peu comme dans la première histoire, l'illégalisme est un peu trop facilement replié sur le désir de fiction du subalterne), qui se confond bizarrement un périple devenu superflu vers le nord.
Toutes sont confrontées à une même fatigue, une même fragilité dans ce qu'elles valorisent, séparément. La première histoire est la plus intéressante et la plus drôle, avec son personnage, assez beau, de preneur d'otage un peu à la Fargo (avec un truc aussi Eastwoodien de gauche dans ce personnage du vieux vengeur), c'est aussi celle où il y a une réponse, un dialogue, l'autre répond, mais cela prend d'abord la forme d'un forçage, d'un préjugé misogyne voire d'une violence . Mais cette violence se perd elle-même, d'où l'espace un rapport presque égalitaire et désintéressé, mais il est le devenir minoritaire de l'ordre social, recouvert et menacé par une bêtise extérieure (assez coenienne).
Il y a un regard minoritaire mais incisif anti-conformiste et discret, mais sans lutte : l'énergie nécessaire à le connaissance de soi est pour Reichardt du même ordre que l'énergie requise par les luttes politique, voire à celle de la lutte des classes, et c'est a
par là que l'on rejoint le care et l'idée de réparation. Mais cela suppose aussi, et Reichardt a l'intelligence de l'assumer, que les concepts moraux sont eux-mêmes du simulacre et de l'apparence potentiels, que la fiction commence vraiment lorsqu'on le perçoit ainsi. C'est comme cela que j'interprète le râteau que la froideur de Kristen Stewart (ici sosie de Najat Vallaud-Belkacem) impose violemment à la palefrenière (en donnant l'impression d'un jeu de séduction alors qu'elle ne parle que d'elle, et sur le mode de la plainte permanente), ainsi que l'insistance sur le fait que les animaux ont un comportement plus finalisé que celui des hommes :ils broutent, courent reniflent et s'en trouvent immédiatement contents, et cette immédiateté est valorisée, pour autant ce n'est pas de l'écologisme, c'est exactement le point de vue d'Heidegger : cette finalisation rend la conscience de soi superflue, l'être animal comme son milieu sont pareillement extérieurs à l'homme et cette égalité les justifie par le regard seul que l'on porte sur eux.
J'avoue ne pas complètement me retrouver dans cette vision du monde.
Pour autant ce n'est pas un mauvais film, cela va plus loin que le dernier PT Anderson, rappelle un peu l'atmosphère des nouvelles de Carver (tiens d'ailleurs René Auberjonois, acteur clé d'Altman, mort l'an passé, joue ici, un beau rôle plus développé que celui de First Cow). On peut penser à une sorte de croisement entre Gregg Araki, Barbara Loden et les frères Coen, en plus discrètement cynique, et les personnages sont assez beaux.
Et en effet, en sortant du film, j'ai eu envie d'un hamburger avec des grosses frite salées (que l'on trouve dans les restoroutes du Montana mais ici dans les restos vaguement chicos de l'axe Stalingrad-De Brouckère de Bruxelles), mais finalement, comme la palefrenière (qui n'a pas de nom) je me suis rabattu sur un surgelé réchauffable au micro-onde du carrefour par fiérté.