Mouai bof. Inconséquent, léger et en même temps travaillé par un fond misanthrope (post-féministe, post-avant garde) de la même manière que certains Jim Jarmusch période
Patterson (le caméo d'André Benjamin accentue l'impression de fausse modestie chic), oui si on est plus gentil les nouvelles de Raymond Carver (aussi de l'Oregon) ou celles plus comiques, plus longues , plus lyriques mais aussi plus misogynes de John Cheever. Il faut certes concéder Michelle Williams est jolie quand elle boude,.
Le film prend à rebours de manière amusante et masochiste Wendy & Lucy : la
loneuse mère à chien nomade, perdue mais pleine de désir se transforme ici en chieuse à chat petite bourge, à la fois solitaire et trop entourée, il y a jusqu'à l'Honda Accord à l'agonie de Wendy qui se transforme en superbe Subaru Lugacy, youngtimer attentivement entretenue. Il y aussi une inversion assez curieuse de First Cow (liée aussi a l'abandon de la figure canine, empathique et terrienne) : ce n'est pas le chien qui déterre un corps, mais le frère schizo qui creuse son jardin pour mettre à jour une pure absence, l'acmé de sa folie mime de façon tragi-comique à la fois les discours artistique et écologique (sa soeur est une vraie artiste, dans la mesure où elle n'espère plus de rencontre entre les deux :
je ne savais pas que tu étais dans le Land Art persifle-t-elle méchamment : l'art tout autant qu'elle, est contraint à l'autonomie : il connait les crises, sans le vivre, il ne s'agit pas de s'identifier à la faiblesse d'autrui - celle-ci est exploitée comme une forme, la part du réel la plus voisine de la fiction : il n'y a qu'au voisin un peu plouc de son frère qu'elle peut mentir et raconter qu'elle a soigné le pigeon, qu'elle a quand-même balancé par la fenêtre dégoutée). C'est assez curieux : Kelly Reichardt a le droit de faire une comedie aigrie, mais celle-ci contredit de manière particulièrement féroce le sens de ses films précédents.
Le film m'a rappelé ainsi, sur un mode ironique, un des aspects déplaisants de Night Moves : une forme de manque d'empathie pour la communauté qu'elle filme, inconsciente de sa solitude, et où tout est en permanence enjeu de pouvoir interne, violent mais virtualisé aussitôt que le mode extérieur intervient. Il 'agit quand-même d'une école d'art de seconde zone, et personne n'est dupe de la condescendance polie de l'artiste new yorkaise ( s'adressant aux personnes qui vivent à plus de 100 km de chez elle sur le même ton que l'on prend avec de grands convalescents rescapés d'un attentat avec un vocal fry de réacteur d'Airbus en train d'absorber un troupeau de bernaches) qui semble effectuer une forme de tourisme utilitaire et rénumérateur chez les ploucs post-grunge de Portland ou Seattle. L'idéologie, qui fonctionnait comme une négativité pure dans Night Moves, est ici remplacée par la famille, trop tôt artiste, trop tôt feministe (il ne reste plus que le post-féministe et le post-post moderniste, post-gauche, post-care, post-numerique, post-couple, post-sexe) avec ses parents rivaux, mais divorcés mais douçatre et désincarné envers leurs enfants, toujours couvés, comme s'ils étaient une cause politique de substitution (la vie professionnelle de Lizzy, qui n'a sans doute pu intégrer l'école que parce que sa mère y est directrice, et ne donne vraisemblablement aucun cours, tout en ayant la star femelle-alpha de la promo comme proprio, ne doit pas être facile) .Le ton du film et plus particulièrement la mise en scène du rapport à la famille rappellent beaucoup
la Femme de Mon Frère de Mona Choukri tiens.
Maintenant ce n'est pas nul. J'ai été touché par l'arc narratif du frère psycho
. Il y a aussi une certaine justesse sociologique, qui est poussée jusqu'au trouble esthétique, dans la fait montrer ces quarantenaires paumés et à la limite de la désinsértion habitant des maisons correctes, mais sans âmes, qui ne tiennent que par l'aide des parents. Une sorte de post-precarité, qui montre une sorte d'Americana éternelle à la Hooper comme contrechamps autonome de la crise économique : l'idée que l'aliénation économique est plus permanente que l'identité des personnes, qui prend à rebours de façon assez agressive disons le discours disons du feminisme MeToo et intersectionnel
Il y a quand-même une jalousie de classe entre Lizzy et sa proprio, que l'on sent compliquée à ses yeux par le fait qu'elle apparait à une minorité (ainsi que sa meilleure reconnaissance artistique, le ton qu'elle emploie pour dire qu'elle a pu retaper la barraque et se constituer un capital avec l'aide de ses frères est aussi particulièrement envieux) même si elles se rapprochent à la fin, mais de manière ambigüe : la catharsis finale est sursignifiante autanr qu'accidentelle, issue de la balourdise du frère, et ce rapprochement compense l'hypocrisie des artistes new yorkaise, fausses et feignant l'admiration - comme si le racisme ne pouvait être déjoué que localement. On dirait presque la vision du monde de certains Clint Eastwood.
Je me.souviens avoir vu à la Cinémathèque de Bruxelles Certain Women (de loin son meilleur film), introduit par une conférencière comme un manifeste queer et intersectionnel, je me demande comment elles pourraient recevoir ce film disons beaucoup plus à droite, en tout cas conservateur. Rétrospectivement l'aspect progressiste de Certain Women apparaît plutôt lié à une forme d'hermétisme, de secret formel du paysage américain (ces petites villes désertes aussi telluriques et fragiles que la nature elle-même) que la réalisatrice subissait au même titre que ses personnages.
Ici on retrouve, via la comédie, un surplomb démiurgique assez classique de la part du réal, où les personnages sont jugés de façon beaucoup plus nette (c'est d'ailleurs un film en espace clos, sans paysage, même si les personnages bougent beaucoup, ils ne sont confrontés à aucune autre extériorité que celle de la camera).