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« Il manque le Corsini ! » Ce jeudi matin, les habitués du petit jeu des pronostics cannois ont partagé leur étonnement. La veille, de nombreux distributeurs, producteurs et journalistes avaient échangé les noms des cinéastes pressentis pour figurer dans la sélection officielle. Parmi ceux-ci, celui de Catherine Corsini, la réalisatrice de « la Nouvelle Ève », « un Amour impossible » ou « la Fracture ». Pourtant, jeudi à 11 heures, lors de la conférence de presse organisée à l’UGC Normandie (Paris VIIIe), les films des cinéastes françaises Justine Triet et Catherine Breillat sont annoncés comme concourant pour la Palme d’or… Pas « le Retour », douzième long-métrage de Corsini.

À minuit, le délégué général du Festival de Cannes Thierry Frémaux avait appelé la réalisatrice de 66 ans pour lui dire qu’elle serait en compétition. Catherine Corsini, sa productrice, Justine Triet et une quarantaine d’amis avaient alors improvisé une petite fête pour célébrer la nouvelle. Mais peu avant 11 heures, jeudi, nouveau coup de fil de Frémaux. Et douche froide, cette fois-ci : « Le Retour » ne sera pas évoqué face aux journalistes.

Que s’est-il donc passé dans la nuit ? « La sélection du film n’a pas été annulée, mais le Conseil d’administration a souhaité en savoir plus sur la situation de l’œuvre », nous expliquait vendredi le Festival. La « situation », ce sont des accusations portées contre des membres de l’équipe, dont la réalisatrice elle-même, et une sanction financière du Centre National du Cinéma.

Harcèlement et gestes déplacés…
À la fin du tournage, qui s’est déroulé dans les environs de l’île Rousse en Corse, entre le 14 septembre et le 8 novembre derniers, le comité central d’hygiène et de sécurité des conditions de travail de la production cinéma (CCHSCT) a été saisi. Selon nos informations, un ou plusieurs membres de l’équipe ont dénoncé des faits de harcèlement de la part de la réalisatrice, ainsi que des gestes déplacés de la part de deux autres membres de l’équipe sur deux comédiennes. Le CCHSCT a diligenté une enquête, rédigé un rapport. Peu après, un signalement a été effectué auprès du Procureur de la République.

Dans le même temps, un autre « incident » a été mis au jour. La production était tenue d’envoyer le scénario de l’ensemble des scènes impliquant des mineurs à la Commission des enfants du spectacle afin que celle-ci émette un avis auprès du préfet chargé de délivrer une autorisation administrative. Or, elle a déposé auprès de cette commission un scénario qui ne comportait pas l’une des scènes que la comédienne principale, âgée de 15 ans au moment du tournage, a tournées. Une séquence à caractère sexuel, finalement coupée au montage. Le CNC a donc décidé de retirer la subvention de 580 000 euros qu’il avait attribuée au long métrage (sur un budget de quelque 4,5 millions d’euros).


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« Il est interdit au CNC d’aider une entreprise qui est en infraction avec le droit du travail et le droit social », déclare-t-on au Centre national du cinéma. Qui précise que, dans ces 580 000 euros, il laissera à la production la somme strictement nécessaire pour que tous les techniciens, comédiens et prestataires qui ont travaillé sur le film soient rémunérés… « et pas un euro de plus ».

Subvention retirée pour ne pas avoir déclaré une scène
Un tel retrait de subventions, prévu par le règlement, « n’est pas fréquent » reconnaît le CNC dans un euphémisme. C’est ce retrait très inhabituel et les dénonciations autour du « Retour » qui, dans la nuit de mercredi à jeudi, ont amené le conseil d’administration du Festival de Cannes à convaincre Thierry Frémaux de retirer le long métrage de la liste des œuvres en compétition… Temporairement, au moins.

« On a fait une erreur administrative en ne déclarant pas la scène d’intimité », reconnaît la productrice du film, Élisabeth Pérez. Selon elle, la séquence a été « réécrite à partir d’une première version et rajoutée au moment du tournage » et elle a oublié de la déclarer. « C’est une scène que les comédiens, âgés de 15 et 17 ans, ont jouée de manière totalement consentie et entièrement simulée, précise-t-elle. Dans celle-ci, le personnage féminin caresse le personnage masculin, mais on n’a filmé que les visages donc en réalité, les acteurs ne se touchent pas. » En ce qui concerne cette scène comme les autres accusations, la productrice souligne qu’elles n’ont donné lieu à « aucune plainte au pénal ».

Selon Élisabeth Pérez, les accusations visant Catherine Corsini sont le résultat de la « malveillance » d’un ou plusieurs membres de l’équipe. « Des mails anonymes diffamatoires ont même été envoyés à plusieurs festivals de cinéma pour nuire à Catherine », ajoute-t-elle. « Il y a eu des tensions sur le plateau, comme sur tous les plateaux, mais aucune violence verbale ou physique de la part de Catherine ni en général sur le tournage », certifie la productrice…

« Des gens malintentionnés »
Avant de nous montrer les messages de soutien qu’elle a reçus de la part de techniciens ou comédiens du film. À propos des « gestes présumés inappropriés », elle assure qu’elle a immédiatement appliqué la procédure prévue par le CNC dans ce genre de situations en éloignant les personnes impliquées les unes des autres et en réalisant des enquêtes internes « dont le CCHSCT a pu vérifier la teneur ».

Élisabeth Pérez estime « insupportable » l’idée que « des gens mal intentionnés aient droit de vie ou de mort sur un film ». Elle veut donc continuer à croire qu’elle présentera son long-métrage à Cannes. « Priver ce film de cette exposition serait injuste et dramatique pour sa carrière, d’autant qu’il n’y a pas d’acteurs connus », argue-t-elle. Les premiers rôles du « Retour » sont assurés par Esther Gohourou, révélée par « Mignonnes », et Suzy Bemba, vue dans la série « l’Opéra », autour d’Aïssatou Diallo Sagna, l’aide-soignante césarisée pour son rôle dans « la Fracture ».

Cette dernière incarne une femme retournant en Corse le temps d’un été avec ses deux filles, des adolescentes qui vont vivre leurs premières expériences amoureuses. En attendant la décision du Festival, la production apporte ses ultimes finitions au film, qui devrait sortir en salles cet automne. Ce vendredi, Catherine Corsini planchait encore sur sa musique, composée par Benjamin Biolay.