En ce jour d'automne, les lycéens, comme à leur habitude, partagent leur temps entre cours, football, photographie, potins, etc. Pour chacun des élèves, le lycée représente une expérience différente, enrichissante ou amicale pour les uns, traumatisante, solitaire ou difficile pour les autres. Cette journée semble ordinaire, et pourtant le drame couve... Après avoir dûment vérifié, il ne me semble pas qu'il y ait de topic ouvert pour ce film (ce qui m'étonne), je me lance donc.
Je ne connais pour ainsi dire pas Gus Van Sant, hormis le sympathique Prête à tout vu lors de sa sortie et le convenu Will hunting.
J'ai donc profité de la rétrospective qui lui ait consacré à la cinémathèque pour rattraper mon retard (coup de gueule en passant sur la qualité de la copie utilisée, indigne d'une telle institution). Est-ce la peine de dire qu'Elephant m'a donnée envie d'en voir beaucoup d'autres!
Parti sur les bases d'une conduite chaotique, la caméra s'arrête de longues minutes sur quelques lycéens jouant au football américain, avant que l'un l'entre eux décide de quitter la partie pour aller retrouver sa petite amie... et c'est là que l'irréductible mouvement en avant débute (magnifiquement surlignée par la sonate de Beethoven, languide à souhait), et ne se terminera que dans la barbarie planifiée par deux adolescents dont on ne connaitra jamais les véritables raisons.
Visuellement c'est une perfection. Je ne savais pas (avant de le lire sur Critikat) que Van Sant avait repris le formalisme d'un téléfilm sur le même sujet, mais en substituant aux deux tueurs le parcours des témoins/victimes de cette tuerie. Il n'empêche, cette caméra qui déambule dans les couloirs de ce Lycée pour suivre le parcours de ces adolescents est virtuose; on connait déjà le dénouement, et la mise en scène renforce le sentiment qu'un événement inéluctable doit se passer. On avance, on bifurque, on prend des raccourcis, on revient sur ses pas, on perd tout repère géographique. La chronologie est quant à elle erratique, comme pourrait l'être un témoignage juste après un tel évènement.
Le point de vue est par ailleurs extrêmement juste, car on ne saurait expliquer l'inexplicable. Tout au plus Van Sant donne-t-il des pistes (les brimades, le jeu vidéo, la frustration sexuelle). Pis, ces deux barbares nous sont plutôt sympathiques, eux-mêmes (pas plus que nous finalement) ne prenant la mesure de la dimension horrible de leur acte. Plutôt qu'eux, Van Sant s'attache donc à décrire le quotidien de ces lycéens, certaines victimes, d'autres simples témoins, de manière à nous faire ressentir au plus profond le drame qu'ils vivront.
Définitivement un chef d’œuvre.