Un petit retour sur la marche d'aujourd'hui. Attention, c'était bisounours-land !
Comme dit dans la shoutbox tout à l'heure, j'y allais super mal à l'aise et hésitant, au moins pour trois raisons, qui sont grosso-modo celles de toute le monde. 1) Parce que c'est défiler aux côtés de gens qui entendent dans ce rassemblement autre chose (un rejet des mulsulmans, par exemple), 2) Parce que les mecs de Charlie Hebdo (et les survivants l'ont confirmé) auraient détesté le "we are the world" mielleux et plein de gras de ce genre de marche, 3) Pour la présence de chefs d'état, déjà hors-sujet en soi, mais plus encore pour la présence de certaines personnalités iconiques de l'anti-liberté de la presse. C'était vraiment le plus tendax.
Puis je me suis dis que 1) j'ai de toute façon cette impression à chaque manif, et il faut se concentrer sur ce qui rassemble en l’occurrence, c'est justement ça, le but d'un rassemblement, 2) la chose avait depuis longtemps plus grand chose à voir avec Charlie hebdo le journal, mais avec la symbolique de l'attentat (et par ailleurs les survivants y étaient - quoiqu'il aurait peut-être été plus sympa de les avoir dans la foule, dans la prise de pouls du mouvement, que tout devant), 3) les dirigeants seraient finalement assez séparés de l'évènement, et ce fut que le cas.
La manif, en soi, m'a un peu réconcilié avec mes congénères. Déjà, les métros étant impraticables, il a fallu y aller à pied. Et c'était assez impressionnant, dès St Lazare, de voir de n'importe quel point autour de soi les gens avancer (traversant rues, trottoirs, à la nimp) vers le même point quelque part au sud-est. On se serait cru dans un film avec chorégraphie de figurants...
Dans la manif même (bien avant d'arriver à République - j'ai pu faire qu'un trajet total allant de Strasbourg St Denis à 300m plus loin, même pas pu arriver à mi-chemin vers République...), il y a une ambiance assez différente des grandes manifs habituelles, dans le sens où les gens semblent avant tout rechercher une sorte de sentiment d'union. C'est très familial au niveau de la variété des âges, et donc forcément ça prend un côté bon enfant, sur des détails à la con. Je sais pas, par exemple : des mecs qui montent sur des échafaudage d'un monop pour scander avec la foule (et tout le monde qui les aide), puis deux vieux flics qui arrivent à travers la foule pour les faire descendre, et un espèce de dialogue entre eux en bas et les jeunes en haut avec toute la foule qui écoute et réagit à chaque réplique : "- Ah mais non, on va pas descendre là, c'est pas pratique, c'est trop chiant ! - Bah oui mais pourquoi t'es monté aussi, Einstein ?", et les gens qui se marrent, aident à descendre... Voilà, c'est mignon, c'est bisounours, c'est mielleux, mais évidemment ça fait son effet.
Et forcément cet aspect de l'évènement mène à des choses un peu limite. Quand t'as un des apparts qui ouvre grand les fenêtre et diffuse "We are the world" à fond (littéralement, cette chanson), tout le monde commence à se regarder l'air de dire "on a quand même l'air un peu con, non ?". Dans cet ordre d'idée, il y a des choses juste INVRAISEMBLABLES. Par exemple, on a souvent au milieu de l'avenue une camionnette du SAMU qui essaie de passer, mais surtout énormément de camionnettes de gendarmes et de flics. Et non seulement, les gens s'écartent immédiatement, sans délai, sans faire chier, pour les laisser passer (pas besoin pour eux de freiner, c'est dire), mais aussi... ils sont applaudis par tout le monde. Des manifestants qui applaudissent les flics sur TOUT leur passage, avec derrière des jeune qui poussent la camionnette derrière au moment où l'une d'entre elle cale. Vous imaginez des manifestants applaudir des flics ? J'en ai vu certains flics qui étaient en pleurs, surtout les vieux, ils avaient sans doute jamais vu ça de leur vie... Pourquoi l'applaudissement, pour les flics tués je suppose, je sais pas.
Donc voilà, évènement très bizarre, très statique aussi, qui continue dans toutes les rues adjacentes (il a fallu arriver vers Stalingrad pour arrêter d'entendre des slogans scandés). D'ailleurs, en termes de banderoles et slogans, très heureux de ne rien voir de craignos. Ça allait du convenu/mielleux a des caricatures plus ou moins drôles, y avait des trucs marrants (genre une grande pancarte "Les 72 vierges pour Wolinski").
Globalement, j'avais peur d'un évènement trahissant l'esprit Charlie Hebdo, endormant les questions à se poser, récupérer le chagrin - et ce fut le cas, évidemment. Mais je crois en fait que c'était juste pas le problème, dans le sens où les gens étaient pas là pour ça : ça a été surtout vécu comme un petit rituel de cicatrisation. Tout le monde semblait plus ou moins conscient que dès demain ce serait à nouveau débats, divisions, pays en factions divisées qui s'envoie des bouses, etc. J'ai l'impression que tout le monde avait besoin d'une trève sur ce terrain-là, quand bien même ce serait autour d'un truc aussi bateau que "la liberté, c'est bien, le terrorisme, c'est mal".
On verra pour la suite, mais contre toute attente, c'était donc plutôt bien.
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