Mr Chow a écrit:
Sinon pour prendre des exemples récents, est-ce qu'une forme profondément conventionnelle ne retourne pas fondamentalement contre elle un propos qui se veut de gauche?
Pour rebondir sur ça : je pense que ça tient pas tellement d'une forme conventionnelle ou pas (qui ne relève que d'une indigence artistique), que d'une forme qui ne se positionnerait pas dans la façon dont le milieu du doc aime à se voir (= fragile, résistant, etc). Michael Moore par exemple est un repoussoir dans le monde du documentaire, mais pas seulement parce qu'il est devenu de moins en moins bon : c'est aussi je crois parce qu'il a repris à son compte une forme issue du spectacle et du divertissement, et une rhétorique qui s'assimile en tout point à celle de FOX news. Là effectivement, il y a un discours de gauche et une forme qu'on reçoit comme étant "de droite" : peut-être par sa façon de se penser comme une force de frappe qui en oublie les contingences ; plus probablement parce qu'elles s'assimile à la forme du pouvoir actuel. Je ne cherche pas à en faire un simple problème de réception, je pense qu'il y a effectivement là un hiatus réel qui pose problème dans cette filmo (ou qui, c'est selon, fait toute son originalité). On retrouve un peu le même truc chez YHB, oui, bien que j'ai du mal à vraiment considérer ses films comme du doc de création...
Zad a écrit:
Parce que le documentaire "de création" (drôle de terme tout de même)
Je ne sais pas, il existe un autre terme ?
Le terme documentaire, trop large, peut prêter à confusion, et le but est simplement de mettre de côté tout travail journalistique qui se réduit à sa mission de documenter (qui se trouve avoir eu recours à une caméra, mais dont la nature ne changerait pas tellement s'il devenait un article papier, ou une émission de radio...). C'est autre chose (pour résumer très caricaturalement) que la rencontre entre une forme et un sujet.
Par défaut, je continuerai à l'utiliser dans la conversation du coup, même si je suis pas fan du terme non plus.
Zad a écrit:
est censé être en rupture avec les formes et représentations et idéologies dominantes de l'audiovisuel prétendument documentaire, notamment télévisuel ?
Mais là il y a une confusion que j'ai toujours trouvée bizarre. Pourquoi diable le documentaire de création devrait-il se comparer à des choses (les reportages) qui n'ont rien à voir avec ce qu'il est, par nature ? On ne parle même plus de bord politique ou d'idéologie, là. C'est comme si je disais, en faisant une fiction, être en rupture avec les sitcom de France 3... La réponse a un reportage "de droite", c'est un reportage "de gauche". Et quand bien même on voudrait mordicus opérer cette comparaison bizarre, elle est invalide : le documentaire de création n'est absolument pas une alternative crédible à ces reportages, tout comme Straub n'est pas une alternative crédible à Plus belle la vie : ce sont deux publics différents et hermétiques.
Tetsuo a écrit:
Le discours réac et dominant s'exprime en force et de façon discontinue à la télé par le biais du sensationnalisme et du journalisme, il n'a pas vraiment besoin de passer par la voie plus confidentielle et économiquement fragile du documentaire
Le besoin n'est pas le même. Je suppose que les grandes documentaristes "de gauche" n'ont pas qu'à cœur de nous transmettre des informations. J'imagine que quand Zad (je vais supposer que tu es plutôt à gauche, Zad
) va voir un de ces films, ce n'est pas un tract filmé qu'il a envie de voir. Il n'est donc pas uniquement question de discours, et je ne vois pas pourquoi un individu réactionnaire (ce qui, rappelons le, n'est pas un gros mot) ne serait pas frustré de ne pas trouver, dans le cinéma, d'expression artistique correspondant à ce qu'il ressent.
De manière générale, je trouve toujours ce genre de séparation invalidée par la comparaison avec la fiction. Personne ne présume que les fictions résonnant d'une idéologie de droite se résument à du non-cinéma : à des blockbusters limités à leur sensationnalisme, ou à des téléfilms où ne réside aucune trace d'art... Pourquoi cela deviendrait-il différent dans le documentaire ?
Zad a écrit:
(ça va être ça le CDV sur le documentaire ? zut je suis très déçu)
Où est le problème ?
Et quand bien même, la question n'est qu'une porte vers d'autres choses (toutes les questions jusqu'ici ont digressé). Et le documentaire n'est pas sécable du reste du cinéma : en quoi par exemple la première question, sur le cinéma anglais, interdisait de parler de documentaires ?