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MessagePosté: 03 Nov 2019, 03:30 
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Londres, 1970. Chaz (James Fox) est un petit mafieux, au look de jeune dandy propret, spécialisé dans le recouvrement de dettes et l'intimidation. Ayant une psyché troublée, il prend visiblement beaucoup de plaisir dans ses fonctions, et son zèle et son imprévisibilité finissent même par inquiéter son propre patron, le madré Harry Flowers, en train de s'acheter une respectabilité, qui décide de l'éliminer. En fuite, et blessé il surprend une conversation d'un musicien, qui sous-loue une chambre dans l'hôtel particulier d'une rock-star déchue et recluse, Turner (Mick Jagger), une sorte de gourou déconnecté de la réalité, chez qui il pourrait se cacher, tout en coordonnant son exflitation vers les USA. Il parvient à duper Pherber (Anita Pallenberg), la maîtresse et âme-damnée de Turner, en se présentant comme un jongleur , mettant à profit la ressemblance entre son costume et des vêtements de cabaret.

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Le film a le cul entre deux chaises, oscille en permanence entre récit linéaire "classique" et oeuvre impressionniste (pas si loin de Kenneth Anger), Jagger à la limite de l'overdose et se prenant pour la réincarnation de Leadbelly joue très mal (Anita Pallenberg, en revanche, est juste et surprenante), mais est absolument fascinant. Le montage cut et le sens visuel de Roeg (couleurs hyper-baroques mais avec une forme de texture étonnament réaliste, qui donne au film une forme d'intemporalité, tenant juste par le grain de la pellicule, la lumière naturelle dans cet environnement complètement artificiel) sont remarquables. Les situations sont extrêmes, tant dans le film de gangster au début que dans le délire décadent post-68 de la fin.
Le film est à la fois complètement fasciné par la pop culture de l'époque, en immersion complète dans cet univers, et relativement distant. Les gangsters, eux-mêmes des figures de convention deviennent finalement, par un retournement dialectique , une incarnation conjointe du prolétariat et du public -le film identifie les deux, de manière consciemment problémtiques- , contre-champ au monde autarcique et hors-sol de l'espèce de Factory à trois s'enferme Jagger. Les deux univers, celui du film noir, et celui du swigging sixties, sont autant en concurrence du fair de leur prétention respective à exprimer une vérité sociale, de venger le réel par le récit, que par le fait d'être chacun en fin de course, épuisant leur contenu tout en restant à l'image : la mise en scène est alors une effort de chacun pour soi-même et se confond avec la vie, leur communication et leur ressemblance et mise en relation renvoie au contraire à une interruption, finalement à leur mort, progammée : l'utopie beatnik échoue sur l'impossibilté de l'accident (ce qui est le sens de la toxicomanie). Il n'y pas d'accident non plus dans le monde des gangsters: la violence et la mort correspondent toujours à une intention, érotisable, annulable par le comique. La reconnaissance sociale, à laquelle tous deux aspirent, annule toute notion d'évènement, elles concentre un destin dans une simple présence.



Il faudrait aussi creuser la fascination du film pour la musique noire, et le combat contre le racisme : le seul vrai artiste du film, à la fois anonyme et reconnu, est métisse, hendrixien, et accorde un répit à Fox en quittant le film aussitôt qu'il y est entré . Il possède aussi une image de Luther King qu'arrache James Fox, qui finira par prendre le look d'un prophète (seul déguisement possible car lui-même ne croit à rien). Le basculement entre les deux univers s'opère par un morceau des Last Poets : l'autre est à la fois un signe qui résume une intention complètement captée, et, un mystère lorsqu'on on recueille paradoxalement la culture et la parole. Roeg est finalement assez moraliste, il oppose encore plus qu'Antonioni l'image avec la culture : chez Antonioni l'image remplit encore une fonction de témoignage d'une vacuité qui lui préexiste, ce témoignage est en lui-même une essence et une texture, quand chez Roeg elle est le seuil séparant le vieux monde d'un "après" collectif et infigurable : elle n'est par le témoignage mais plutôt le nom propre de l'aliénation.

Lire sur Wikipédia le récit de la mort de Donald Cammell donne l'impression qu'il est resté douloureusement prisonnier de l'univers du film

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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Jean-Paul Sartre


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 03 Nov 2019, 16:52, édité 2 fois.

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MessagePosté: 03 Nov 2019, 16:24 
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La fin sur le thème du double et de l'échange d'identité rappelle celle du Shooting de Monte Hellman. Mais aussi Dillinger est Mort avec déjà Anita Pallenberg. C'est peut-être typique de l'époque : l'identité déborde le récit, même dans l'utopie et la rupture sociale. Cet excès est filmé comme un fardeau, une tâche à accomplir alors qu'il s'agit peut-être d'une essence, ce qui introduit un lien entre l'echec des utopies post- 68 et l'image chrétienne de la souillure. Anita Pallenberg rappelle Eve, Jagger Adam, et Fox le serpent. Mais c'est au moment où le tentateur lui-même doit être séduit (et est dès lors démasqué) que le film bifurque sur le couple fraternel et homosexuel de Caïn et Abel : le récit de la chute et celui de la jalousie s'excluent mutuellement, le film reste ainsi moraliste. L'utopie post 1968 partage avec le christianisme ce présupposé : la nature n'est pas la même chose que l'environnement, car la conscience est plus naturelle que l'environnement : elle est elle-même la pente et la compensation d'un abandon ontologique.

Au contraire de cette identité donnée séparément à la fois comme un excés et une conclusion, la coïncidence entre identité et rôle réside dans le retour avorté vers la psychologie, soit une forme de réalisme située en deçà du nom pour rester fonctionnelle. L'amorce d'histoire d'amour entre Fox et la groupie française*, qui pourrait changer et purifier Fox, mais est interrompue (par les gangsters issus du passé , qui prennent soin de préciser dans le mot laissé à la fille que le personnage a menti sur son prénom, mais pas sur son fantasme : les montagnes de Perse sans les assassin, l'idée d'un refuge maintenue malgré l'absence de faute et de culpabilité) est aussi étonnement réaliste.

*Ce personnage anticipe beaucoup celui de Maria Schneider dans Profession Reporter. Un type de personnage feminin qui d'ailleurs disparu du cinéma (on peut penser aussi au couple mère-fille d'Alice dans les Villes de Wenders)

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 05 Nov 2019, 22:39, édité 4 fois.

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MessagePosté: 03 Nov 2019, 16:49 
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Localisation: In the Oniric Quest of the Unknown Kadath
Excellent souvenir. Faudrait que je le revoie. La fin m'avait rappelé Fight Club. Étonnant que le film soit si peu connu. J'adore aussi Demon Seed de Cammell, chef-d'œuvre de SF en avance sur son temps.

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MessagePosté: 03 Nov 2019, 17:00 
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Oui je me rends compte que des films de gangster des années 80 que j'ai beaucoup aimés, comme the Hit de Stephen Frears, citent de façon maniériste ce film, en en évacuant l'aspect "conceptuel" et l'humour (la sexualité baroque et la culture en même temps vieille Angleterre des gangsters mevilliens, le rapport de soumission de Chaz à sa mère parodiant une fibre hitchcokienne) et en gardant la violence.
Même le procès du tout début, sur un délit d' initié boursier aussi vague et comiquement foireux que crédible ( ou le mot "merge" signifie à la fois s'allier à un rival et l'écraser) n'a pas trop mal vieilli.

Ceci dit le film a des racines dans l'actualité anglaise de l'epoque (l'affaire Profumo) et peut aussi être vu comme une farce à la Mocky.

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 05 Nov 2019, 22:37, édité 1 fois.

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MessagePosté: 03 Nov 2019, 18:12 
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Cette rencontre de deux univers, entre le square (ou le pékin normal si vous préférez) et le milieu hippie était un classique de l'époque d'ailleurs, mais surtout dans des comédies, il y a un film avec Peter Sellers comme ça qui se passe à San Francisco, un autre avec Alberto Sordi dans le Swinging London (Profumo di London, coïncidence hein), un autre qui s'appelle Joe de John Avildsen. L'originalité de Performance, c'est plutôt de se faire rencontrer plusieurs genres en même temps que des univers différents, d'appuyer sur la schizophrénie qui caractérise l'époque et de verser dans la fiction métaphysique à la Borges in fine, quoiqu'un peu fumeuse : ainsi je garde un très bon souvenir du film sans pouvoir me rappeler ce qu'il finissait par s'y passer.


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