DIEU EN PERSONNE de Marc-Antoine Mathieu, éditions Delcourt.
Dieu descend sur terre. Est-ce bien lui ? Qu’en faire ? Quel impact sur le monde de la communication ?
Un MAM sympa, en dehors de ses livres autoréflexifs, qui s’amuse à dénombrer les paradoxes de l’existence physique de Dieu, et qui surtout tourne autour d’une seule question, sa représentation. C'est-à-dire ne jamais figurer directement le visage de Dieu (et les différents moyens de ne pas le faire), mais aussi imaginer quel trajet pourrait avoir l’image du divin avéré, du sacré ultime, dans une société de consommation et de communication.
C’est donc tous les modes de représentation qui y passent (télé, art contemporain, théâtre, littérature, bande dessinée…) avec pour chacun la même manière d’aborder le sujet finalement, sous son angle le plus putassier.
C’est tout de même un peu trop proche de la dissertation. MAM a une folie bien maîtrisée, développe ses jeux dans des espaces formels et conceptuels précisément délimités, et plus cet espace est confiné, plus il semble à son aise. Ici le sujet est trop vaste, la structure trop libre pour qu’on n’ait pas une légère impression de vacuité. Mais ça reste un livre plaisant et élégant.
LE MAGICIEN de Lucas Méthé et Lionel Tran, aux éditions Terrenoire
Constitué de deux parties, « Abracadabra, mon cul » et « Les bébés, ça sort pas du trou du cul », parus séparément dans la revue Lapin. Lionel Tran a écrit les histoires de plusieurs personnages perdus dans la société moderne face aux problèmes du travail, de l’insertion, de la filiation et de la paternité. Le récit se fait en courtes scénettes entremêlées sèchement, dans un collage de moments ou de monologues à la fois poétiques et violents. Le dessin de Lucas Méthé est parfait, un trait tremblé, en déséquilibre, avec une douceur dans la forme et une exécution agressive.
On est bien loin des petites chroniques sages de Dupuy et Berberian. Le livre est dense, jamais contemplatif, avec un ton entre une sorte de réalisme poétique (les personnages commentent souvent leur situation à haute voix dans une étonnante lucidité, se comportent parfois comme sur une scène de théâtre) et une rudesse dans la description des violences sociales. C’est assez désespéré aussi. Si l’écriture fait se percuter les différentes situations, les personnages ne se rencontrent pas, et leurs histoires ne communiquent que dans un écho tragique. C’est beau aussi.
Livre rare (qui au niveau de l’écriture libérera Lucas Méthé et lui ouvrira la voie pour son autre grand livre « Mon Mignon »), émouvant et essentiel.
Et puis on a tendance à oublier qu’auteur de BD, c’est pour la grande majorité un statut précaire, et Tran et Méthé, de par leurs choix de vie, de travail et d’esthétiques, sont proches d’une certaine marginalité. C’est pas souvent une BD qui a une conscience de classe (là où la plupart s’évertuent à faire des livres « sympas » déconnectés de leur réalité).
LES LARMES D’EZECHIEL de Mattias Lehmann, chez Actes Sud.
Les histoires croisées de Bette, Michel et du mystérieux auteur de BD Adelphi Gaillac.
Matthias (je l’appelle par son prénom, c’est un copain) laisse de côté sa technique de carte à gratter pour revenir à l’encre. Du coup, deux changements principaux : Le livre s’est fait plus rapidement (trois ans là où son précédent avait mis huit ans à aboutir), et surtout apparition spectaculaire du blanc dans ses pages qui se font plus aérées et qui ouvrent des perspectives de mise en pages plus libres.
Du coup le récit est plus aéré, plus dynamique. On perd un peu au niveau de la beauté plastique des cases (et encore) mais on gagne fortement en richesse narrative.
Bon ça reste un univers assez dur, mort, alcoolisme, déception amoureuse, mais il y a quelque chose de très vivant là dedans, une énergie nouvelle, une douceur sans ironie, et pas mal d’humour aussi. Le changement de technique déporte aussi l’intérêt vers les personnages, ce qui donne un récit sensible, jusqu’à la fin particulièrement émouvante (j’y ai vu une allusion à la fin de vie de Nietzsche, apparemment non mais bon quand même).
Et comme c’est mon copain (je l’ai déjà dit ?) je lui fait de la pub avec la page sexe qui pousse à l’achat :