Je connaissais un peu le travail de
Kiyota Tsurisaki, un photographe japonais taré qui ne photographie que des cadavres, souvent de morts violentes (meurtres, accidents etc...). C'est très glauque mais forcément fascinant et souvent paradoxalement très beau. Pour les curieux ici une interview avec pas mal de photos :
https://www.boumbang.com/tsurisaki-kiyotaka/J'ai voulu tenter son documentaire le plus connu, où il suit un embaumeur de Bogota dans son travail quotidien. Oh boy, je n'ai pas vu De humanis corporis fabrica mais sur le gore documentaire c'est vraiment le film le plus horrible que j'ai vu de ma vie. D'une part parce que c'est un documentaire donc tout est réel, les cadavres, filmés sans ménagement, sont de vraies personnes et qu'ensuite le travail de l'embaumeur est mis en scène comme on filmerait un cuisinier faire une recette. Tout y passe, du corps d'un nourrisson aux corps d'adultes, malmenés dans tous les sens, découpés, vidés, reremplis (souvent par de vulgaires chiffons), rafistolés tel des poupées (de chiffons) paradoxalement pour être rendus présentables à leur famille. J'ai dû plusieurs fois passer la scène, parce que trop insoutenable.
Tout le film suinte une pauvreté et une tristesse assez poignante. Le territoire filmé est d'une misère effarante, c'est assez saisissant, car même si on peut avoir une image dégradée de l'Amérique du sud, là on est proche du tiers monde. Et le travail de l'embaumeur est
ad hoc, dans un local miteux, avec des outils de fortune et des techniques totalement artisanales, travaillant le plus souvent sans masque et sans gants.
Ce n'est pas un très bon documentaire, c'est construit un peu n'importe comment, il y a même de grosses maladresses comme ces espèces de séquences montage entre deux scènes d'embaumement où le réal filme toute la misère du monde ou même des scènes de meurtre sur des chansons dansantes de cumbia. Cela crée un décalage presque dégueulasse. Le film vaut surtout pour cette description de territoire abandonnés et cette violence sous-jacente qui semble partie intégrante de la vie de cette population pas plus surprise que ça de voir le cadavre d'une jeune femme au milieu de la rue.
Ce qui a aussi rendu ce film un peu plus connu c'est l'histoire de l'embaumeur qui a été assassiné par un gang avant la fin de la production du film (qui a été étalé sur 7 ans). Je n'ai pas vu les dernières minutes (problème avec mon fichier) donc je ne sais pas si et comment c'est intégré au film mais forcément ça a rajouté une couche à la réputation glauquissime totale du projet.
Bref, une expérience. Très désagréable, mais une expérience. Le film assume son regard totalement fasciné par la mort, par la chair sans détourner les yeux et sans non plus l'esthétiser. Je pensais le film totalement underground et visible uniquement sous le manteau, mais j'ai découvert qu'il a été disponible sur Mubi. Le réal a fait d'autres docu, tous un peu sur le même mode "mondo" mais je doute qu'ils parviennent à être pire que celui-là.
3/6