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MessagePosté: 11 Avr 2014, 23:56 
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Un poète russe, Gortchakov, est à la recherche d'un compatriote compositeur qui a séjourné en Italie au XVIIIe siècle. Il est accompagné dans son voyage par une jeune interprète, Eugenia. Dans un village où se trouve une piscine thermale dédiée à sainte Catherine de Sienne, il fait la rencontre d'un ermite, Domenico, qui lui confie une tâche originale [wiki]

Les vingt premières minutes d'un Tarkovski plongé en plein territoire italien fascinent forcément, des premiers paysages de brume à une scène d'église particulièrement saisissante, au-delà de la différence notable apportée ici par une nouvelle langue (en version italienne du moins). Ensuite, une fois repris l'errance de cet intellectuel "double" (encore un Andrei), on plonge je trouve dans un dispositif assez pénible, celui de l'artiste qui témoigne de sa condition (déracinement, doute manifeste) et qu'on va écouter religieusement, qui ici parasite tous les autres gestes artistiques, jusqu'à la dédicace finale.

Plusieurs séquences du film ont suffisamment de puissance pour rattraper le spectateur qui se serait perdu en cours ( clairement, une fois de plus il y a des choses qu' on ne verra et qu'on "n'entendra" qu'ici...), mais d'autres marquent peut-être un certain épuisement dans la forme, le problème de se focaliser sur cet écoulement" du temps que le cinéaste a lui même expliqué de A à Z (concept qu'il avait moins réfléchi dans ses premiers films peut-être). Surtout, il y a un aspect démonstratif et symbolique assez patent mais aussi une forme d'humour qui nterpelle bizarrement par moment (la séquence de 9ème symphonie
qui déraille et s'interrompt lors de l'immolation
, qui m'a laissé bien circonspect). Le personnage féminin principal , tout autant que le "fou" joué par un acteur de Bergman, Erland Josephson, sont utilisés tour à tour comme des figurations assez fantomatiques, des échos d'humanité, qui me semblent ici peut-être un peu trop au service du créateur Tarkovski (quelques dispositions picturales appuyées pour saisir l'actrice, mais aussi tout ce qui se dit sur la folie, les frontières et partition du monde, des mots distillés qui agissent parfois comme des remarques de plomp dans un petit carnet...).

Du coup, j'ai eu du mal sincèrement à être touché par la dernière scène du film, sensé être particulièrement clé, mais qui m'a perdu au choix entre une démonstration d'absurdité totale, et une dernière touche d'espérance très sincère mais dépourvu du vacillement, de l'émotion qui vous attraperai à la fin de la quête du voyage d'un Andrei Roublev. Ici c'est plus dérisoire, et comme appuyé légèrement dans le pathétique. Il y a un petit quelque chose de Shyamalan dans l'espace réduit de la séquence et ce qu'elle implique d'ailleurs j'ai presque envie de dire (la décadence de mon échelle de valeur cinéphile...)

Si le film me laisse souvent sur le carreau comme Le Miroir, il y a toutefois cette intime conviction que c'est bien plus faible.


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MessagePosté: 12 Avr 2014, 00:02 
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Il paraît effectivement très ingrat ce film, j'ai l'impression que dans la filmo c'est le seul qui ne soit le préféré de personne... Je serais tenté de dire que ça rejoint un peu l'idée (dont on avait parlé ensemble, je crois, d'ailleurs) que les cinéastes financés par des pays d'accueil secourables, et non plus confrontés à leur cadre de production contraignant, se diluent dans des œuvres moins conséquentes. Mais le suivant, réalisé dans les mêmes conditions, vient jouer le contre-exemple en or.

C'est parce qu'en fait il faut inventer une contre-règle : si t'es financé par l'étranger sur ton simple prestige d'artiste, tu fais du caca, SAUF si c'est le film juste avant ta mort. Le film testament prévaut sur la faiblesse de l'exilé financé, y a tout un jeu de carte avec priorités de certaines sur d'autres qui est à inventer !!


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MessagePosté: 12 Avr 2014, 00:14 
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Faut que je le revois le suivant car vu il y a longtemps... Mais là tu as sans arrêt le commentaire de l'idée même que c'est son premier film à l'étranger. Enfin Tarkovski c'est barré à cause de soucis de compatibilité avec les tenants de la prod et les autorités culturelles en URSS je crois, c'est pas non plus comme les taïwanais qui tournent au Musée d'Orsay. Il y a une certaine gravité dans le fait même de tourner à l'étranger ici, dans la démarche (et d'ailleurs le personnage principal en soit est assez incompris dans sa recherche sur le musicien Russe, dans vson oyage...). En soit ça ne "dilue" pas je trouve pour Tarko... En terme de politique des auteurs on dirait peut-être qu'il y a une "crise" à cette "étape" :mrgreen:

Mais le réal est un peu confronté aux limites de son esthétique, au-delà de la durée ici toutes les scènes en sépias font un peu caricaturales... on dirait presque que ça annonce déjà clairement le côté un peu épuisant et formaliste de Sokurov.


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MessagePosté: 12 Avr 2014, 00:17 
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Mr Chow a écrit:
on dirait presque que ça annonce déjà clairement le côté un peu épuisant et formaliste de Sokurov.

Heeey c'est très bien vu. Le film donne vraiment cette impression là de loin, mais même dans les autres, la filiation entre les deux filmos semble en effet se faire sur ces connexions-là.

C'est assez rare quand on y pense la limpidité de cette ligne que tu peux tracer dans le cinéma russe, Dovjenko > Tarkovski > Sokourov.


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MessagePosté: 12 Avr 2014, 07:55 
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Inscription: 07 Oct 2005, 10:23
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Tom a écrit:
j'ai l'impression que dans la filmo c'est le seul qui ne soit le préféré de personne...


Vu par personne ici en tout cas. 3 votes sur le film de Captain (j'arbitre Orange et TBA :lol: ) : il ne faut pas le présenter à la Coupe

Tom a écrit:
Dovjenko > Tarkovski > Sokourov.


comment tu vends tes deux topics sans réponses sur le premier!


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MessagePosté: 12 Avr 2014, 09:15 
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lol, tout à fait !
J'ai jamais pigé que Dovjenko soit pas vu, de manière générale, par rapport à d'autres (Vertov, Poudovkine) infiniment plus patauds...


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MessagePosté: 12 Avr 2014, 09:36 
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Antichrist
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Inscription: 04 Juil 2005, 21:36
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J'avais jamais lu son nom avant.


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MessagePosté: 12 Avr 2014, 09:38 
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Même pas La Terre ?
Bah merde, je le croyais plus célèbre que ça.


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MessagePosté: 12 Avr 2014, 09:43 
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Antichrist
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Inscription: 04 Juil 2005, 21:36
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Les deux associés, ça me dit quelque chose. Je ne crois pas en avoir vu, après j'ai beaucoup de mal avec le cinéma on va dire d'avant 1960 à de belles et rares exceptions près. Il faudrait que je les voies sur grand écran mais à la télé ou sur un ordi, je décroche.


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MessagePosté: 12 Avr 2014, 10:58 
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Inscription: 23 Juil 2011, 12:46
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Mr Chow a écrit:
Tom a écrit:
j'ai l'impression que dans la filmo c'est le seul qui ne soit le préféré de personne...


Vu par personne ici en tout cas. 3 votes sur le film de Captain (j'arbitre Orange et TBA :lol: ) : il ne faut pas le présenter à la Coupe

Tom a écrit:
Dovjenko > Tarkovski > Sokourov.


comment tu vends tes deux topics sans réponses sur le premier!


Si si je l'ai vu il y a longtemps. C'est pas son meilleur mais j'avais trouvé que le style Tarkovski fonctionnait. Trop peu de souvenirs pour en parler plus.


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MessagePosté: 21 Avr 2025, 11:35 
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Dans le Temps Scellé il me semble que Tarkovski évoque avec une certaine distance ce film, affirmant que l'enjeu était moins de développer un récit que de produire par tentatives successives une métaphore parfaite, qui rendrait justice aux moyens du cinéma, confirmerait sa puissance d'incarnation quasi-religieuse.
Ce qui m'a retenu dans le film est la confrontation entre le monde orthodoxe et le catholicisme, et leur forme esthétique : l'icone et le portrait en perspective. Il me semble que Tarkovski ironise avec une certaine cruauté sur le monde catholique (le monologue sur les chaussures), le film retrouve son aversion de Raphaël, considéré comme bourgeois, sentimental et matérialiste (ici le point de vue de Tarkovski reste compatible avec à la fois les valeurs marxistes et le nationalisme russe, c'est aussi par ce dénigrement qu'il possède une forme d' à l'humour). Après tout, son double dans le film refuse de voir la Madonne del Parto de Piero della Francesca, sans doute l'oeuvree la plus proche dans la tradition italienne d'une icône par son dépouillement, mais sans non plus l'être (pour Descola la présence de la perspective sexualise la vierge, fait de l'immaculée conception une donnée qu'elle subit elle-même physiquement, comme dans l'ascension d'Enguerrant Quarton à Avignon). Son nationalisme culturel installe ainsi une opposition entre l'eschatologie du salut de l'humanité (objet politique de la folie de Domenico, dissident par rapport à l'Eglise comme Tarkovski lui-même l'était envers l'URSS), et le pardon et la rémission de nos pêchés, geste individualisé par le catholicisme. Mais le fait que Tarkovski mêle toujours à la nostalgie pour son pays l'image de la mère l'empêche de verser dans le nationalisme radical, le mouvement où le deuil s'avoue comme difficile est celui par lequel il veut communiquer avec la culture de l'autre, s'y plonger, son extériorité fait le monde, quand la Russie semble morte avec sa mère (au contraire son père l'accompagne en Italie, sa fonction d'artiste lui permet de passer à l'ouest avec lui, ses mots sont même annexés par la traductrice, un peu inquiétante et vampirique).

Le film impressionne par une forme de radicalisme moral et religieux apparent, transféré sur le cinéma. Tarkovski voudrait que l'image filmique puisse incarner le sacré, devienne un art ayant le même statut que la peinture d'icône ou celle de la Renaissance. Mais c'est peut-être plus retors et mêlé de réserve ou de restriction. La poésie transforme en technique personnelle ce qui est collectivement idéologie ou mystère religieux. Le cinéma reproduit et même répète chronologiquement la foi plutôt qu'il ne l'accompagne (les personnages du film imitent chacun une figure religieuse Eugenie l'interprête Marie-Madeleine, l'écrivain Saint Jean-Baptiste, le fou le Christ). L'objet esthétique est celui que la religion avait déjà expliqué, saisi dans une herméneutique efficace. On lui donne une valeur qui redonne une apparence mystérieuse, une prise pour le sentiment, mais là où le message religieux a déjà été explicité un contenu. Tarkovski ne se désole pas du recul du religieux, l'objet de sa crainte est face à celui-ci, dans la caméra - celle-ci ne parvient pas à célébrer le monde sans contribuer à le tuer, le circuit entre la transcendance et l'icone qui la rend manifeste est une usure, il fatigue ce qu'il essaye de sauver. Son doute dans l'austérité orthodoxe le ramène au même point que ce qui dans le catholicisme de Raphael est emprunt de luxure et d'une dimension quasi-libertine, raisonneuse et sensuelle. C'est en fait la religion qu'il faut justifier devant l'homme, ce que le cinéma ne réussit pas tout à fait (alors qu'au départ, il avait techniquement plus de chance d'y parvenir que la littérature : Tarkovski dit qu'au cinéma le sang n'est pas une métaphore - et ici c'est sa maîtresse, la femme qui fait saigner l'homme au lieu de saigner elle-même avec la scène de la gifle à l'hôtel, il faudrait que Dieu lui-même ait une ambition esthétique pour le cinéma, prémédite la part de lui qui nous échappe, pour montrer directement dans le film une crucifixion). Tarkovski semble conscient de la défaite du sérieux qui se joue aussi chez lui, ce qui le rend, au sens fort, supportable, accessible à notre force. Dans le doute religieux que Tarkovski éprouve lui-même, l'image est crucifiée à la place du Christ.

Je me demande si ce n'est pas avec Solaris mon préféré.

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