1985-1988, de Manchester où elle s'est installée à Ibiza où elle décédera, en passant par Anzio, Paris, Nuremberg et Prague, la légendaire Nico sort du trou noir et essaye de se reprendre en main. Arrêter l'heroïne pour la méthadone, assumer son vrai nom, Christa Päffgen, rompre avec la mythomanie qui lui avait fait réécrire l'histoire de sa famille pendant la guerre (ce qu'elle a à dire sur la réalité est peut-être plus singulier que la légende), prendre ses distances avec la période Velvet (à laquelle le public l'identifie toujours, un peu le même problème que Bowie avec Ziggy Stardust) et surtout renouer avec son fils Ari, et tenter de sortir ensemble de l'engrenage dope-tentative de suicide-H.P.
Le point aveugle de tout cela ce sont les tournées : Nico commence à fatiguer un peu de cette vie dont elle n'est plus dupe de la part d'imagerie superficielle, mais ne peut pas non plus exister hors de cet univers. Le point d'appui possible, c'est que son groupe et son manager partagent cet état d'esprit, mélange de lassitude et de maturité artistiqueDes petits problèmes de rythme, mais un film très attachant, qui défend le personnage. Moi qui connaît plutôt le versant Lou Reed et John Cale du Velvet et de l'apres-Velvet, j'ai appris des choses, qui font de manière inattendue de Nico la face humaine et accessible de ce mythe.
Le film trouve un équilibre imparfait, fragile mais légitime entre le côté narratif exhaustif du biopic et une dimension plus visionnaire et élégiaque. C'est l'histoire de pied-nickelés plutôt sympathiques rattrapés par l'imaginaire à la Nibelungen, wagnérien, tragique et inévitablement kitsch, qu'à la fois ils produisent et auquel ils veulent échapper. La chronique de l'époque est aussi bien cernée (c'est le contenu des Ailes du désir de Wenders, l'idée que la chute du Rideau de Fer confirmé et achève une idée de la culture européenne et une sorte de romantisme politique qui réunissaient Thomas Mann et le Punk, mais avec une forme de modestie critique, parfois assez humouristique). Le film n'est pas mal mis en scène, la réalisatrice arrive à transformer les communes et routes du bassin liégeois en Manchester ou Prague lors des derniers mois du régime, on pense alors parfois à André Delvaux.
La démarche est à la fois parente et opposée à celle d'Amalric pour Barbara (Trine Dyrholm chante elle même, et s'approprie images d'archive et interviews, mais ressemble beaucoup plus à Maurane qu'à Nico). Un peu le même regard que Despentes sur la mort du rock dans les meilleurs pages de Vernon Subutex. Le film plaira aussi bien aux amateurs de the Spinal Tap qu'à ceux de Velvet Goldmine (mais n'égale pas Control de Corbijn dans la densité tragique, alors qu'on sent que c'était la référence initiale de la réalisatrice).
Les passages avec Ari sont très bons et trouvent le ton juste, alors qu'ils auraient pu être racoleurs. Le film rend aussi bien hommage aux textes de Nico.