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MessagePosté: 19 Mai 2010, 23:12 
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Vu y a déjà plusieurs semaines, mais ça valait le coup d'y revenir.

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Le film est une machine de guerre. Ça me rappelle l'ouverture de Shutter Island : baroque, coloré, et en même tellement maîtrisé, précis, confiant et sûr de ses effets. Les réalisateurs savent exactement où ils vont.

Dès l'une des premières scènes, où la mère supérieure offre pour la mission en terre indienne quelques uns de ses meilleurs éléments, constituant une équipe de choc façon Western, on sent déjà que ça va être grand... Le chemin tout tracé (les froides sœurs qui vont découvrir des émotions inconnues au contact des terres exotiques) est d'autant plus savoureux que les femmes en question en ont immédiatement conscience, et que tout leur problème sera de résister à cette menace qu'elles taisent et qui trône là, évidente, comme un éléphant au milieu de la pièce.

Les situations dramatiques et visuelles sont d'emblée géniales, avant même que la scène ne débute : l'insomnie nocturne dans la chambre ouverte aux grands vents, la sœur haïe pleine de sang qui trépigne d'avoir sauvé une vie, l'enfant autochtone qui se révèle un allié fidèle et lucide pour prévenir les réactions des ses camarades... Un seul arc du film, celui lié au prince, est pas spécialement passionnant, mais c'est tout au plus l'affaire de trois scènes.


Mais ce qui frappe, donc, c'est surtout cette maîtrise totale, indiscutable. Et pas que pour la perfection technique (fondus changeant les vêtements autour d'un visage, l'utilisation invisible des toiles peintes... j'ai jamais vu mieux fait et fignolé pour chacune de ces choses au cinéma).

J'ai lu que Powell était grand voyageur, et que tout le monde s'attendait à le voir filmer sur place, en Inde. Le choix de tout faire en studio laisse d'abord penser à un exercice maniériste (façon, disons, Sleepy Hollow), mais la raison phare de ce parti-pris apparaît rapidement évidente : ce réal veut tout contrôler. Il veut que la lumière de l'arrière-plan, la façon dont ces oiseaux s'envolent, la configuration de ce lieu, que TOUT participe à la force de la scène, que tout porte une idée, que tout soit artistique. En tant que spectateur, c'est un sentiment étourdissant, celui de se sentir pris en charge totalement, nourri de tous les côtés, promis au meilleur tour de force possible.
Autre truc appris après vision, et qui confirme glorieusement l'impression de maîtrise totale à la vision des dernières scènes : le final, cet étourdissant final qui ré-importe la série B en contrebande dans le film, sa folie, ses pulsions... a été chronométré. Le réal avant même de tourner a fait composer la musique, a disposé les sons, a étudié comment devait arriver chaque plan, son angle, son axe, sa durée dans le montage futur, et a donné ses directions en fonction ("tu as 1 seconde et demi pour faire ce geste"). Et ça se ressent d'une force !


Si je devais conseiller un film à un enfant (enfin plutôt à un ado) qui a jamais vu de film ancien, ce serait celui-là. C'est la preuve évidente, généreuse, de la puissance du cinéma classique.

Énooooorme 6/6


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MessagePosté: 16 Jan 2013, 22:24 
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Vaut mieux l'avoir en journal
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Beaucoup de mal avec les décors, les couleurs, le personnage de vieille folle, le côté absolument pas réaliste (je suis de toute façon assez hermétique à une bonne partie du cinéma dit classique pour cette raison), le besoin de contrôle dont parle très justement Tom et qui empêche selon moi le film de respirer, la lenteur à démarrer... Par politesse, je ne peux pas mettre moins de 3/6. D'ailleurs je préfère même ne pas mettre de note, mais globalement ce n'est pas un cinéma qui m'intéresse des masses à la base (alors que ce film m'attirait bien plus que Les Chaussons rouges, par exemple).

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Anthony Sitruk - Bien sûr, nous eûmes des orages
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MessagePosté: 16 Jan 2013, 23:13 
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Bizarrement j'accroche également assez peu alors que Les Chaussons Rouges est pour moi un chef-d'oeuvre.

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CroqAnimement votre


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MessagePosté: 17 Jan 2013, 10:07 
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Tiens j'ai juste su récemment que c'était adapté du même auteur que "le Fleuve" : elle a tant détesté "Le Narcisse Noir" qu'elle ne voulait plus au départ aucune adaptation de ses romans. Sans doute le fait que ça ait été intégralement tourné en studio...


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MessagePosté: 26 Mar 2015, 12:52 
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Le plus beau des Matte painting

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MessagePosté: 27 Mar 2015, 00:17 
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Ah tiens, j'avais toujours pensé à un décor peint au sol, tout en studio. A la réflexion c'était un peu con !


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MessagePosté: 24 Avr 2020, 21:29 
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Robot in Disguise
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Pendant que je regardais le film je pensais à mon futur avis et je voulais conclure par "Blissfully doit adorer". Et ça n'a pas manqué (cf. le premier message de ce fil).

Qu'il est rare de voir un film où, au bout de 45 minutes de métrage, tu n'as aucune idée d'où ça va aller. Je m'étais abstenu de lire le quatrième de couverture du Blu et je découvrais donc le film vierge en diable. Est-ce que ça va devenir SHINING ? LES PROIES ? LE SALON DE MUSIQUE (pas vu) ? Bon, cette lenteur à démarrer est aussi un peu chiante, on va pas se mentir, mais ça en fait un authentique slow boil et rend donc le final d'autant plus puissant. Car le film devient en fait une sorte de proto-giallo, ça m'a fait penser un peu à SUSPIRIA par moments - d'ailleurs la ressemblance entre les bonnes sœurs contribue à ce trouble constant, pas étonnant que De Palma aime le film. D'abord bercé seulement par le souffle du vent et de l'étrange, le film bascule avec l'irruption du rouge dans ce monde immaculé, et donc du grotesque, avec cette lumière du fameux Jack Cardiff qui se fait subitement plus contrastée... Fort.

Visuellement, c'est superbe. Comme d'hab avec les films du passé on a du mal à apprécier le degré de parti-pris assumé vs. convention naze de l'époque, mais ces moult fonds peints, qui semblent donc voulus par les réals, participent au charme et, Tom le dit mieux que moi, à l'aspect maîtrisé de ce produit final qui inspire le respect. Et les matte paintings des plans truqués sont sublimes.

Au final je reste un peu sur ma faim car je n'ai pas toujours l'impression de savoir exactement ce que le film veut dire, mais en fait c'est pas si grave, il y a quelque chose d'irrésolu qui participe à sa modernité.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 08 Aoû 2020, 23:35 
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C'est un beau film malade, à la fois imprécis et foisonnant. Il possède beaucoup de points communs avec le Fleuve de Renoir, lui-aussi tiré d'une histoire de Rummer Godden (plutôt une écrivaine franc-tireur que classiques) : la franchise sexuelle, très freudienne, mais mais qui mène sur une impasse, car rien n'est symbolique, tout est signifié et jugé, la présence-absence d'un mal-être colonial - les personnages conducteurs du récit sont complètement déracinés et la savent trop bien et trop fièrement pour le raconter, et la manière d'utiliser la mort d'un enfant pour rendre moins sourd le choc culturel entre colons et colonisé. La présence aussi d'une certain imaginaire biblique (lié à la faute et à la tentation) dans un univers plutôt matérialiste et sceptique



C'est super riche. Deborah Kerr est un personnage vif et intelligent, mais en même temps plutôt antipathique (ce qui est un pari narratif extrêmement fort) : croit-elle vraiment au vu de sa lucidité sur la nature de la frustration sexuelle qui l'a amenée dans les ordres ? Le concept de vœux renouvelables annuellement introduit déjà une belle ambiguïté. Elle s'efforce de revivre sur un mode mystique, et jusqu'au martyr, qu'elle impose de surcroît aux autres, ce qu'au point de vue sexuel et individuel elle a pourtant déjà parfaitement compris et épuisé. Les rapports humains sont tous âpres et conflictuels, tous se jaugent, se provoquent et se jugent en permanence, dans l'espoir d'avancer simultanément dans la compréhension de soi-même et dans une forme d'apparat grandiloquent et théâtral lié à l'autorité catholique, (s'accepter serait accepter de renoncer à ce qu'une des deux démarches aboutissent : il faut le détour d'une sorte de rapport direct au transcendant pour arriver au pouvoir qui, contrairement à la foi, ne peut être simulé).
Le film est aussi (un peu comme le Fleuve, mais de façon plus accusée) plutôt anticolonialiste dans le fond (les religieuses comprennent que ce territoire n'est pas et ne sera jamais le leur, qu'il n'y a personne à convertir car la conscience religieuse "traditionnelle" du Narcisse Noir bute sur la même facticité et les mêmes névroses que leur propre catholicisme : mais c'est cela qui est à la fois artificiel et avoué avec une légère honte qui ne permet pas d'hierarchiser les croyances , cette honte tisse un rapport de ressemblance et de projection en l'autre où la différence culturelle s'efface dans un doute moral commun à tous). Mais il est très cliché (plus que le Renoir) dans la représentation des Indiens (blackface du père du roi, joué par un acteur anglais, quand son fils c'est joué par un indien mais accentuant encore d'un niveau son acculturation, ce qui est très ambigu). Il réussit à formuler quelque-chose de juste en terme d'altérité morale, mais le rate considéré sous l'angle de l'identité historique du groupe. Ce ratage semble étrangement conscient de lui-même, tout comme la vie passée de Deborah Kerr : le regret devient une forme de jouissance, une possibilité temporaire de s'absenter de la dureté du couvent pour revivre des situations pourtant tout aussi frustrantes et ambiguës que celles du présent. C'est que frustration collective, liée au groupe et à sa règle et mémoire individuelles s'équilibrent et se neutralisent de façon singulière. Cet équilibre est à la fois le prétexte et l'épuisement de la violence , qui interprète un sens mais le détruit aussi, la fin du film rapproche sexualité et herméneutique : elles liquident tous deux pareillement leur objet, l'humiliation du personnage du mâle dominant ressemble à la position d'un témoin, d'un narrateur potentiel, mais est toute entière ramassée et concentrée dans le regard final de surprise et de défi, peut-être même de mépris. C'est une forme de lucidité tellement immédiate que la parole en devient facultative, introduit le risque d'une atténuation morale ("le problème n'est pas que vous croyez au Christ, mais on n'en parle pas si familièrement"). Aucunes des nonnes ne distinguent ce qui relève de l'amour de ce qui relève de la morale (la scène où Dean laisse apparaître une brèche dans sa muraille de rustrerie et son cynisme et remercie Ruth d'avoir sauvé une ouvrière indienne est confondue avec une avance érotique, d'autant plus que les Indiens n'existent pas comme sujet pour les religieuses , ils ne sont n'investit que comme objet, enjeux d'une morale à créer ex-nihilo, difficile mais intégralement reproductible). Seul Dean perçoit cette différence (et le film, de manière remarquable, fait de ce cynisme l'occasion paradoxale d'une plus grande sensibilité envers le sort des Indiens, montrant de manière particulièrement convaincante une aporie du colonialisme - la cynisme place aussi cette attention à l'extérieur de ce dont on peut témoigner).

Les scènes langiennes (dignes du Docteur Mabuse, mais on pense aussi aux hallucinations du Saint Antoine de Flaubert) où la soeur Ruth apparaît se détacher de Deborah Kerr pour en devenir le double négatif et fantomatiques, différencié par l'habit seul (d'autant plus facile à liquider que sa violence est visible, implacable mais aveugle) sont extrêmement marquantes : ce qui résiste est inévitablement aussi ce qui ressemble et ce qui provoque.

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Erving Goffman


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MessagePosté: 09 Aoû 2020, 08:07 
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Mr Chow a écrit:
Tiens j'ai juste su récemment que c'était adapté du même auteur que "le Fleuve" : elle a tant détesté "Le Narcisse Noir" qu'elle ne voulait plus au départ aucune adaptation de ses romans. Sans doute le fait que ça ait été intégralement tourné en studio...


C'est aussi plus misogyne et plus colonialiste (même si d'un certain côté le catholicisme des sœurs est lui-même exotique pour une partie des Anglais - Kerr est d'ailleurs irlandaise et insiste là dessus et au moins une des sœurs est française, la représentation du rapport de pouvoir est assez complexe, les dominants sont déjà extérieurs à l'Empire, assez marginaux. Le personnage de Dean a l'air d'avoir subi un déclassement, il rappelle beaucoup le Consul d'Au-dessous du Volcan, ainsi que certains personnages de Graham Greene). Renoir lui-même a du se justifier pour le Fleuve. Si l'on conçoit que Satyavit Ray ait pu se retrouver dans le Renoir, je ne crois pas qu'un réalisateur indien aurait pu faire de même en ce qui concerne le Narcisse Noir. C'est d'ailleurs moins une Inde d'Épinal qu'un support pour un fantasme très personnel (le film est sceptique sur le colonialisme, à la fois mal-pensant et tendant vers l'épure), mais le studio contribue à accentuer ces stéréotypes.

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Erving Goffman


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MessagePosté: 18 Oct 2021, 07:52 
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J'ai pris du plaisir à regarder ce film, mais j'ai trouvé ça un peu trop démonstratif peut-être. Le film ne se contente pas d'annoncer la folie qui va s'installer (très tôt évoqué avec la scène de la vieille folle qui court partout quand on nous présente l'endroit) mais les personnages le répètent à plusieurs reprises. On ne s'étonne donc pas quand Ruth pète son câble à la fin, on attend même plutôt que ça arrive.

Je suppose que c'est un film précurseur néanmoins j'ai pas trouvé ça aussi fort que ce qu'on pu faire Polanski ou de Palma par la suite, et j'imagine que voir Le Narcisse Noir après ces films là lui enlève injustement une certaine force. On peut citer Herzog aussi...

Après je suis d'accord pour dire que c'est très beau, mais je crois que j'aurais préféré un film plus intimiste, il y'avait peut être trop de personnages secondaires (le Prince, comme ça a été dit plus haut).

4/6


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MessagePosté: 06 Avr 2023, 08:14 
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Formellement, c'est à tomber. On dirait du Michael Bay. Pas tant dans les valeurs de plans ou les compositions de cadre mais dans l'idée que chaque plan doit être le plan le plus ouf visuellement. Le nombre de tableaux qui impriment la rétine, c'est assez dingue. Jamais eu de problème avec l'aspect clairement studio et matte-painting de l'ensemble.

Par contre, j'ai eu plus de souci avec l'écriture de ce film où il ne se passe quand même pas grand chose tout en s'éparpillant un peu (la trame secondaire du prince). Je lis The Xcapist qui parle d'un "film d'une sensualité rare" mais je peine à ressentir quoi que ce soit pendant près d'une heure. Le vrillage final est mortel, on bascule quasiment dans du film d'horreur, et j'aime bien ce que ça dit in fine de l'échec du christianisme (à s'imposer sur des terres impies) et de la chrétienté (à s'imposer dans le coeur des femmes) mais le chemin parcouru pour en arriver là me laisse un peu sur le bas-côté.

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MessagePosté: 06 Avr 2023, 08:40 
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Tout d’abord, je voudrais dire que j’ai trouvé le film formellement absolument somptueux. Le travail sur les couleurs, la lumière, la bande son (bruitages et musique) ont été pour moi un ravissement de tous les instants.
Le film est structuré autour de la tension entre deux injonctions temporelles :
• Un facteur d’instabilité : la nécessité pour les nonnes de réitérer leurs vœux chaque année
• Une deadline : Dean qui prédit aux nonnes qu’elles auront quitté les lieux avant les premières pluies
Cette mise en tension va se matérialiser sous la forme d’une mise à l’épreuve au cours de laquelle chaque personnage se révèlera face à lui-même et face à la communauté.
Sur un mode que j’ai trouvé souvent comparable aux schémas du cinéma de type « survival », le film montre le délitement d’une petite communauté par contamination progressive de ses propres membres.
Le retour du refoulé, opérant par vagues successives, par bouffées qui emportent les personnages, sous les effets d'un vent omniprésent, couplé à un traitement visuel qui en exacerbe tous les traits, porte presque le film dans les contrées du cinéma fantastique. A certains moments, le film m’a même assez bizarrement fait penser à certains élément du Solaris de Stanislas Lem.
Basculement dans la folie (Ruth), refuge dans la poésie (la sœur qui plante des fleurs à la place des légumes prévus), retour du passé, tensions sexuelles,… personne n’échappe à ce lieu qui se transforme, sous la forme d’une parenthèse hors du temps, en une projection mentale de leurs désirs.
Trois figures masculines vont également révéler les contradictions de cette petite communauté et particulièrement de sister Clodagh, jeune nonne hésitante, rapidement dépassée par les évènements et tiraillée de toutes parts.
Une partie du film relève de la tension sexuelle formée par le triangle Clodagh, Ruth et Dean. C’est évidemment un élément central du film (le désir féminin me semble d’ailleurs traité de manière assez frontale pour l’époque).
Mais ce rapport se double à l’autre extrémité du spectre par l’incompréhension face à l’attitude du vieux sage immobile sur sa montagne.
D’un côté comme de l’autre, Clodagh se trouve devant une contradiction insoluble : d’un côté, impossibilité de retour au monde séculaire et de l’autre impossibilité tout aussi grande d’habiter pleinement un monde spirituel apaisé comme y parvient le vieux sage.
Cette contradiction, Clodagh ne pourra la lever que par l’évitement.
Le troisième personnage masculin important du film, le jeune prince insouciant, va quant à lui servir à replacer le film dans son enjeu temporel. C’est cet aspect qui, par-dessus tous les autres, va, à mon sens, élever le film à un niveau plus universel que celui d’une simple communauté de nonnes qui part en sucette.
C’est la manière que l’on choisit (ou que les circonstances nous imposent) d’habiter le monde que va mettre en jeu la mise en tension des personnages de Clodagh et du prince.
Là où la mission de Clodagh est de pérenniser la présence de sa petite communauté dans un lieu isolé, de s’inscrire durablement dans un espace défini, le prince (et au-delà, l’environnement local dans son ensemble) est présenté comme une personne qui vit dans un éternel présent, une présence dégagée des contingences liées au passage du temps.
En creux, il montre le renoncement de Clodagh à l’instant présent et la soumission de toutes ses actions au seul objectif de maintenir sa communauté dans ce couvent réaménagé.
Face à l’échec de plus en plus prévisible de cette mission, Clodagh opposera un refus obstiné de céder qui parait motivé par un orgueil bien trop banalement humain.
Le film se termine dès lors là aussi sur un constat d’échec, avec le départ de la communauté sous la pluie et la réalisation de la prophétie de Dean.
Au final, cette histoire de nonnes dans un couvent isolé dans des montagnes indiennes de carton-pâte me semble plus universel qu’il n’y parait au premier abord.
Ce sont nos choix d’appartenance au monde qui y sont reflétés. Les contradictions des personnages dépeints dans le film sont-elles si éloignées des nôtres ?
Après tout, ne sommes-nous pas un peu tous les acteurs de notre propre «survival » ?


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MessagePosté: 06 Avr 2023, 09:24 
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Film Freak a écrit:
Formellement, c'est à tomber. On dirait du Michael Bay.

Ta meilleure critique ever.


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