inisfree a écrit:
Bonsoir à tous, je prends un peu le train en route parce que je découvre ce forum. Je voudrais surtout répondre, ou plutôt préciser deux trois choses à Tetsuo et Léo. L'interrogation morale m'intéresse et c'est même ce qui a motivé mon travail sur Inisfree. C'est bien à cause d'elle que je me suis intéressé au film de Pontecorvo comme aux textes qui en ont découlé, parce que tout ceci me semble encore très actuel et que si l'on manque un peu aujourd'hui de ce débat moral, c'est peut être aussi par le caractère dogmatique pris par les références à Rivette et Daney. Il suffit de lire le dernier éditorial de JM Frodon dans les Cahiers de septembre pour comprendre que certains n'aiment pas que l'on bouscule leurs chapelles.
En ce qui me concerne je n'approuve pas du tout la réaction de Frodon (que je n'aime pas de toute manière). Plutôt que d'argumenter par rapport à l'article de positif, il préfère se cacher derrière l'aspect historique du texte de Rivette, qu'il érige comme un dogme inébranlable, sans pour autant expliquer pourquoi. Je trouve ça nul, je ne me sent pas concerné.
inisfree a écrit:
Or, je suis en fait plutôt d'accord avec le fond du texte de Rivette. On ne montre pas n'importe quoi n'importe comment au cinéma. Mais je pense très sincèrement que ce n'est pas le cas de Pontecorvo dans Kapo (ni d'ailleurs de Spielberg dans la scène de la douche). Ce que je reproche à Rivette, c'est son ton et son attaque sur un homme qui, selon mes propres critères moraux, est très éloigné de quelqu'un d'abject. Je lui reproche de ne pas avoir cherché ce qu'il y avait dans ce plan, dans la scène, en relation avec les intentions de l'auteur, son passé et ses préoccupations.
Tu vois, ça c'est un argument que je ne comprend pas. En quoi le passé et les préoccupations de l'auteur intéresseraient Rivette ? Il n'est là que pour le film et le juge par rapport à ce qu'il en a vu. Ce n'est pas tant l'homme qu'il condamne, mais l'acte qu'il a commis et qu'il juge (pour les raisons que l'on sait) "abject". Et il trouve ça abject parce que justement il l'a mis en relation avec les intentions de l'auteur, à savoir dépeindre l'intérieur des camps de concentrations. Je crois que ce qu'il faut comprendre avant tout c'est la colère qui anime Rivette quand il écrit ces lignes, c'est elle qui le pousse à employer des mots forts. Pour certain ça peut sembler dérisoir, mais lui est littéralement indigné car c'est une cause qu'il défend.
inisfree a écrit:
Je pense qu'il est passé à côté du film parce que ce film montrait quelque chose de façon frontale qui est sans doute difficile à voir et qui peut, je le comprends, mettre en colère. Mais je reproche à Rivette d'avoir mis son émotion au service d'une théorie critique sans recul et sans une véritable analyse de son émotion.
Pour comprendre exactement de quoi tu parles je suppose qu'il faudrait que je me réfère à ton article sur ton site (que j'ai déjà lu). Tu m'excuseras si je fais l'impasse dessus ce coup là (fatigué), mais bon, je ne suis pas d'accord.
inisfree a écrit:
Je lui reproche aussi, en tant que cinéaste de n'avoir jamais abordé ce genre de thèmes sensibles.
Si je puis me permettre ça c'est son problème et sa sensibilité. Il fait ce qu'il veut, il n'a de compte à rendre à personne.
inisfree a écrit:
Et Daney a suivi et ses disciples aussi au point qu'aujourd'hui ils refusent toute discussion sur le sujet en se drapant dans la Morale.
La preuve que non puisque nous discutons !
Mais je pense que tu fais référence à l'article de Daney où il dit : "Avec quiconque ne ressentirait pas immédiatement l’abjection du « travelling de Kapo », je n’aurais, définitivement, rien à voir, rien à partager."
Je pense que cette phrase peut prêter à confusion. Ce n'est pas qu'il refuse le débat, mais c'est le constat amère (et je crois bien, hélàs, lucide) qu'il y a deux mondes différents, étrangés, incappables de se comprendre mutuellement. En gros d'un côté ceux qui trouvent ce travelling révoltant (j'en suis) et ceux que ça laisse de marbre. Je suis peut-être quelqu'un d'optimiste et c'est pourquoi je continue de disserter cette question sur ce forum, mais j'avoue comprendre de plus en plus ce qu'il ressent : l'impossibilité pour certains à voir comme je vois.
inisfree a écrit:
Je trouve étonnant que derrière l'édito de Frodon, il y ait des articles dityrambiques sur Flandre de Dumont et Les anges exterminateurs de Brisseau qui devraient poser eux aussi la question de savoir ce que l'on montre (la guerre, le viol, le sexe) mais pour lesquels la question n'est même pas posée. Où est l'absence de débat moral ? (et je ne dis pas que ces films puisse avoir quelque chose à se reprocher sur ce plan, juste qu'ils devraient susciter ce genre d'interrogations).
Oui, je suis d'accord. Mais ça, ça concerne plus l'orientation éditorial des
cahiers de plus en plus obscure et dérisoire.
inisfree a écrit:
Quand vous écrivez "il fait un joli plan", vous interprétez (Pontecorvo donne sa version ici :
http://www.objectif-cinema.com/interviews/322g.php). Moi je ne peux pas imaginer qu'un réalisateur comme lui, ou Spielberg, ou un autre de la même trempe, se dise, "tiens, on va faire un joli plan". Je crois qu'ils ont un style cinématographique et que, sur des sujets comme ceux-ci qu'il faut se battre pour imposer, ils essayent de donner le meilleur d'eux même, comme un peintre choisirait ses meilleures couleurs.
Merci pour ce lien. Et bien je ne suis pas du tout d'accord avec l'interprétation de Pontocorvo sur son propre travail. Je ne dis pas qu'il est hypocrite, mais qu'il est passé complêtement à côté de ce qu'il a voulu faire sur ce plan. Peut-être qu'il a voulu donner le meilleurs de lui-même comme tu dis, mais peut-être, aussi, que c'est un mauvais cinéaste. Et ça, les meilleurs intentions du monde ne pourront rien y faire : les plus belles couleurs ne feront que des taches.
inisfree a écrit:
Je crois aussi, que les réactions que nous avons sur de telles scènes viennent de nos propres limites d'acceptation (enfin, je parle pour moi). J'aurais voulu finir mon article sur inisfree par la scène de la douche chez Spielberg parce qu'elle pose effectivement ce même problème. je ne l'ai pas fait parce que ça aurait été trop long. Disons ici que je n'y vois en rien du suspense, ni encore moins quoi que ce soit d'érotique (tout est fait au contraire pour évacuer cette possibilité de lecture). Je crois que cette scène, comme pour beaucoup de films abordant ce sujet, c'est le point limite vers lequel peut tendre le réalisateur. C'est la raison d'être du film, du moins l'une des plus importante. Comment approcher l'horreur ? Jusqu'où ? Pour moi, ce que Spielberg filme à ce moment, c'est sa propre terreur et donc la nôtre. Il montre l'impossibilité de filmer au-delà parce que l'on est saisi d'effroi. Le seul qui est allé au-delà, c'est Lanzmann. Je ne l'exprime peut-être pas bien, mais c'est ainsi que je l'ai ressentit. Et la résolution de la scène, c'est effectivement le soulagement des survivants, le nôtre aussi, mêlé à ce malaise, ce sentiment de honte que de nombreux rescapés ont décrit. Forcément, ça fait mal. Et donc on peut le rejeter, en bloc. Mais y voir de l'érotisme ou du suspense, non.
Erotisme j'en sais rien. Je pense que Spielberg est le cinéaste le moins érotique qui soit, voire même le plus puritain, il y a une haine du corps humain chez ce cinéaste assez flagrante.
Par contre du suspens ! Même si je n'ai plus tout à fait le film en tête, j'ai tout de même le clair souvenir d'une attente, qui joue sur la question "gaz ou pas gaz", et d'une eau salvatrice qui arrive au dernier moment avec un petit effet de "je vous ai bien eu !", du plus mauvais goût.
Mais le plus grand danger de cette scène, pointé du doigt par Godard, c'est le détournement que pourrait en faire le
front nationnal (par exemple) en disant "Vous voyez ! Finalement on ne les gazait pas, on les lavait !" En définitive, de montrer ça de cette manière, je trouve ça assez irresponsable.
inisfree a écrit:
L'exemple de la réaction de l'adolescente est intéressant mais ce n'est qu'un exemple. Des milliers de gens ont apprécié où détesté le film et certains pour de mauvaises raisons. Je me souviens d'avoir eu un débat à la radio avec une ancienne résistante sur les films et la Shoah. Elle avait été très critique sur les fictions. A la fin, nous lui avons demandé quel était la représentation la plus "juste" pour elle. Nous attendions Resnais ou Lanzmann, elle nous a cité le feuilleton Holocauste. Ca m'a assis.
Hmm... C'est effectivement étonnant mais j'ai toujours des reserves quand on interroge des "témoins de l'histoire" sur ce qu'il pense d'un film, un peu comme si le fait de l'avoir vécu donnait une légitimité à leur opinion. Et à mon avis on peut-être à la fois un survivant de la Shoah et un piètre cinéphile.
inisfree a écrit:
Je ne pense pas non plus que le film de Spielberg ait figé une certaine représentation de la Shoah. Il n'oblitère en rien ces prédécesseurs et a sans doute aidé dans l'esprit de "l'industrie cinématographique" plusieurs autres projets à se concrétiser (La vie est belle, Etre sans destin, Le pianiste...). A la nouvelle génération de trouver de nouveaux modes de représentation.
Certes.
inisfree a écrit:
Et je n'aime pas beaucoup les films de G Noé. Irréversible est quelque chose que regrette d'avoir vu (c'est rare) mais je n'irais quand même pas jusqu'à le qualifier d'abject.
Et bien c'est la différence entre nous, car non seulement je le qualifie d'abject, mais il me pousse même à détester son auteur, et pas seulement sur le plan artistique, mais carrément personnellement. J'ai un trop grand amour pour l'image cinématographique pour tolérer de m'être fait littéralement agresser visuellement de la sorte, je ne peux pas ne pas être indigné.
Et qu'on ne me sorte pas l'argument "rien ne t'oblige a regarder son film", parce que c'est vraiment un argument à la con ! (je parle pas pour toi)
En tout cas, merci pour ton intervention et bravo pour ton site, car bien que nous ayons des divergences d'opinion, ça ne m'empêche de m'y rendre de temps à autre...