Arrivé quasiment au bout du bouquin de Thoret qui place Mann comme le dernier réalisateur a capté l'esprit de son "Nouvel Hollywood" chéri : arrivé sur le tard, toujours en décalage et pourtant si prescient sur certains motifs du cinéma contemporain (le film de tueur en série, l'incursion de l'esthétique dans le cinéma d'action), Mann décrit, selon lui, les rouages de ce qu'il appelle le "capitalisme tardif" et la déshumanisation qui en découle (boulots et relations qui deviennent virtuels), ainsi que la domination des puissants d'autant plus dure à combattre (voire impossible) qu'elle s'organise en réseaux et non de façon verticale comme jadis. Thoret ajoute également que selon Mann cette domination prend sa source aux États-Unis dans la fondation même du pays (terres spoliées comme on le voit dans Le Dernier des Mohicans). C'est un peu, il me semble, le même point de vue que celui d'Howard Zinn dans son Histoire populaire américaine, même s'il cite plutôt Herbert Marcuse ou Thoreau... bref, je suis pas assez calé pour en parler, mais ce sont des pistes.
Du coup, en parallèle, rétrospective quasi-complète :
_ Comme un homme libre (1979) : j'arrive pas à me décider à le voir, celui-ci, juste parce que c'est un téléfilm et que l'esthétique léchée est tellement forte chez Mann que ça me bloque.
_ Le Solitaire (1981) : Top. Même les scènes de couple (pas le plus réussi dans le reste de sa filmo) fonctionnent. B.O. qui passe en boucle.
_ La Forteresse noire (1983) : complètement raté mais j'arrive pas à le détester, mais pas revu pour l'occasion. Pas la peine de se fâcher.
_ Le Sixième Sens (1986) : Top. C'est sans doute William Petersen qui apporte toute la sensibilité et la fragilité qui manquent à pas mal de héros Manniens qui sentent un peu le vestiaire renfermé. Brian Cox > Anthony Hopkins : je peux remater en boucle la scène où il mâche du chewing-gum en téléphonant.
_ Le Dernier des Mohicans (1992) : dans toute rétrospective, il en faut un où on se fait chier, et ce fut celui-ci. Même Daniel Day Lewis est un peu à côté de la plaque. Bon, ça reste sympa, mais c'est pas vraiment un réalisateur champêtre. Et pour une fois la guest-star française est pas mal avec Patrice Chéreau en marquis.
_ Heat (1995) : film de mecs qui donne envie de sortir ses Michel Sardou et son Pastis 51. La vie, la vraie, le regard perdu dans le vide, "tu peux pas comprendre, bébé, ma souffrance c'est mon moteur". A chaque engueulade de Pacino avec sa bourgeoise ou de couplet de DeNiro sur la solitude du métier, on se croirait dans la parodie de Melville par Gotlib, mais en vrai, c'est quand même chouette. Passage préféré : quand Ashley Judd fait signe à Val Kilmer de se barrer.
_ Révélations (1999) : chouchou. Encore plus d'actualité aujourd'hui puisqu'on y brasse entre autres : le poids des lobbys dans les grands médias, la mise au pilori de l'informateur par le biais des rumeurs, on-dit et autre déformations de son passé, le profit plutôt que les vies... bon, peut-être pas le film le plus joyeux durant une pandémie.
_ Ali (2001) : pas revu parce que bien en tête : d'accord avec Thoret, on évite le plus gros cliché des biopics : le trauma original qui explique tout, et on ne se tape pas toutes les périodes dont on se fout, maintenant, ça reste dans le carcan "ascension/chute/retour gagnant" même si c'est bien fait.
_ Collatéral (2004) : dans toutes les rétrospectives, il y en a un qu'on revoit à la hausse et c'est celui-ci : assez dynamique, boucle rapidement son intrigue, perso de dingue avec Tom Cruise en Terminator qui saigne. Se revoit sans ennui.
_ Miami Vice - Deux Flics à Miami (2006) : je vis avec la plus grande fan de la série tv, donc je peux certifier à 100% que c'est une excellente adaptation. Comme Heat, on nage en plein délire after-shave/gourmette/chemise ouverte sur chaîne en or qui brille, mais ça sent moins la charentaise avec le duo Colin Farrell/Jamie Foxx et leur équipe de pro. Sueurs froides lors du passage dans le trailer park.
_ Public Enemies (2009) : pas revu parce que 1/ je ne l'aime pas 2/ même quand Thoret fait des pieds et des mains pour le défendre et décrit avec exactitude chaque image, ça donne pas envie de s'y replonger.
_ Hacker (2015) : je comprends pas pourquoi on a critiqué le fait que Thor joue dedans, c'est pas comme si les autres héros de Mann n'étaient pas déjà en mode BG. Un peu comme Révélations, plein de choses décrites qui nous tombent dessus à l'heure actuelle. On sent bien les coupes dans le gras au début (ok, le hacker peut aller interroger des témoins comme ça, pépère), mais ça permet d'arriver plus vite à la mise en orbite de son film, à partir du passage à Hong Kong, c'est sans temps mort, avec une économie de dialogues jusqu'au final et sa vendetta de zonzon en plein air.
Top : 1. Révélations 2. Le Sixième Sens 3. Le Solitaire 4. Miami Vice 5. Hacker 6. Collatéral 7. Heat 8. Ali 9. Le Dernier des Mohicans 10. La Forteresse noire 11. Public Enemies
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