Baptiste a écrit:
Citation:
ça change du rap de rue misérabiliste pseudo-militant dans lequel une grosse partie du rap français s'est malheureusement engouffré (par erreur, le rap n'ayant jamais été très militant outre-Atlantique)
Pourquoi par erreur? Si c'est pour différer d'un rap à l'américaine ultra-narcissique, matérialiste et macho... Le rap américain a la confiance et le flow pour lui mais sincèrement, c'est morbide tellement ça fait du surplace. De l'autre côté, le rap français a effectivement un peu trop ressassé les mêmes thèmes. Mais c'est aussi parce que la situation des cités en France n'a pas beaucoup changé en 15 ans...
J'aurais dû dire par accident. Ce n'est ensuite que c'est devenu une erreur.
Le rap français n'est pas né de la même façon que le rap américain. Aux USA, le hip-hop a été inventé par accident, ce sont les organisateurs de "block parties" qui ont inventé l'art du DJing, et les "masters of ceremony" eux ont fini par développer et enrichir le rap. A la base, c'est un mouvement populaire nés dans les fêtes des ghettos de New-York (ce qui en fait donc une musique à la base créée pour danser), et c'est devenu une musique subversive naturellement, puisqu'elle était faite par les exclus du système. Le hip-hop est apparu en France grâce à une tournée organisée par Europe 1 (!), est rapidement devenu à la mode avant de s'écrouler. Ce n'est qu'ensuite avec le succès de Public Enemy qu'il est revenu. C'est Public Enemy qui a tracé la voie du rap. NTM et IAM sont des enfants de Public Enemy, et de rien d'autre, et le problème vient de là. Le rap français est né sur une vision fausse du rap : on l'a d'abord considéré comme un mode d'expression, comme un mouvement engagé, avant de le prendre comme un simple genre musical. La tradition de la chanson française engagée a sûrement dû peser dans la balance. Il n'y a qu'en France qu'on entend encore, aujourd'hui, que le rap "c'est pas de la musique". Difficile pour un américain de tenir pareil discours.
Toujours est-il que le rap français des années 90 s'est donc enfermé dans le carcan militant. Ça a permis de créer de grands albums ("Paris sous les bombes" de NTM, "Ombre est lumière" d'IAM, puis, un peu plus tard, "Quelques gouttes suffisent" d'Arsenik, "Si Dieu veut" de la Fonky Family, etc.) mais ça a ensuite totalement perverti le rap. Il suffit de voir le rap français des années 2000 venant des banlieues : c'est absolument nul. C'est du rap totalement formaté, un enfant bâtard de NTM (pour le côté nique les flics) et Mobb Deep (pour le côté viens pas chez moi ou je te bute cousin) terriblement pauvre musicalement.
C'est en partie la faute à Skyrock (qui ne devrait pas être défendue en ce moment), qui a contribué à donner au rap cette image à la fin des années 90, alors qu'il aurait plutôt fallu largement diffuser "Opéra Puccino" d'Oxmo Puccino, "Mauvais œil" de Lunatic, "Conçu pour durer" de La Cliqua, ou alors du vrai rap hardcore, engagé et sans concessions comme La Rumeur ou Casey. Ces artistes ont tous cherché à faire sortir le rap de l'impasse dans laquelle il s'était retrouvé. Mais ils n'y sont pas parvenus.
Aujourd'hui, la plupart des disques de rap français sont inécoutables. Lyrics qui ne parlent pas à ceux qui ne vivent pas en cité, flows anémiques, beats pauvres. Pour le coup, je continue à penser qu'un mec comme Booba, aussi critiqué soit-il, continue à maintenir en vie le rap français, même si ses deux derniers albums sont très feignants et loin de la richesse de son rap jusqu'à 2006 (je considère l'album "Ouest Side" comme un très grand album).
C'est le seul qui essaie d'importer le rap des USA, qui contrairement à ce que tu pense, ne fait pas du surplace. Il évolue tous les ans. Un album comme "My beautiful dark twisted fantasy" de Kanye West n'aurait pas pu voir le jour il y a quelques années, ce n'est pas le cas du dernier album de Rohff. Il y a aussi Q-Tip qui continue à retaper le rap à base de samples de jazz/soul (son album "The renaissance" sorti il y a deux ans est magnifique), Lil Wayne qui contribue à casser les barrières en alternant rap sec et brutal et rap-pop, T.I., etc. sans oublier tout le rap arty underground (MF DOOM, CunninLynguists, etc.). Ces dernières années ont quand même vu l'émergence d'un nouveau style, le "Dirty South", venu du sud des USA, qui a supplanté le rap east-coast et west-coast. On aime ou on n'aime pas, mais encore une fois c'est signe de vitalité.
Après il y a tout l'apparat bling-bling, mais il faut se dire qu'il existait déjà il y a trente ans, les rappeurs ont toujours dit qu'ils faisaient du rap pour se faire du fric et pour montrer aux autres qui est le plus fort. NWA (Dr Dre / Ice Cube / Eazy-E), qui rappait à la fin des années 80, faisait du rap ultra-narcissique, matérialiste et macho. Et puis on peut remonter encore plus loin les pères du hip-hop sont des chef de gang à la base (un des piliers de cette musique, Afrika Bambaataa, était "seigneur de guerre" d'un gang dans les années 70). Après t'as eu des trucs plus pacifistes, comme la "Zulu Nation" et les "Native Tongues" (un collectif qui proposait du rap "peace and love", très orienté sur l'Afrique, avec des sons jazz), mais ça reste finalement une goutte d'eau.
On n'a jamais eu cette vision-là en France, on n'a jamais eu de battles MC ou DJ, de frime. On n'a jamais su comprendre le gangsta-rap qui n'est après tout qu'une posture. Franchement, Eazy-E était un fils d'instit, Prodigy et Havoc de Mobb Deep étaient étudiants en art, 2Pac était le fils d'une activiste noire reconnue (et s'il s'est fait buter, ce n'était sûrement pas pour une histoire de gang, plus pour une histoire de fric) et a eu une bonne scolarité. Les grands DJ étaient souvent des enfants de jazzmen. Etc. Les vrais lascars de cité n'ont jamais réussi à faire du rap. Pareil pour la France : Shurik'n et Akhenaton sont de bonne famille, et Kool Shen était bon élève, a eu son bac, n'a jamais baigné dans les trafics (il s'est juste inventé une vie de gangsta vers 1998, histoire de suivre la mode).
S'ils ont fait du rap engagé, c'est parce qu'ils étaient persuadé que le rap devait être ainsi. Le meilleur de NTM, ce sont les chansons sans vrai thèmes, les chroniques ("Tout n'est pas si facile", "Le rêve", "J'appuie sur la gâchette", etc.). Les moins bonnes, ce sont les dernières, celles écrites par deux mecs totalement déconnectés et catapultés en haut de l'affiche (y compris par Jack Lang), devenus les grands artistes engagés qu'ils n'avaient pas cherché à devenir 20 ans plus tôt, quand ils passaient encore leur nuit, dans un Paris "sous les bombes", à recouvrir de peinture les murs de la capitale. Ils se sont alors mis à parler des SDF, et c'est de loin ce qu'ils ont fait de plus nul.
Aucune sincérité, aucune personnalité, et aucune authenticité ; en comparaison, quand Booba dit "Tu vote FN, tu vote à gauche, tu vote à droite / Moi j'encule l'état j'ai le cul à l'air sur un hamac" ou "Au pays de l'argent facile combien sont morts en chemin ? / Fuck les APL, les transports en commun", "Impossible de serrer une blonde, même avec un défrisage", "On s'achète pas de BM en livrant des pizzas", "T'as pas de diplôme tu sais dire que wesh wesh ? Garde la pêche.", "Malabar, choco-BN, sale noir : ma génération", c'est au premier d'abord débile, mais c'est au final largement plus sincère et juste. Le rap egotrip et bling-bling (encore que, comme il dit, "J'suis pas bling-bling enculé, j'suis diamantaire") ne doit pas forcément être considéré comme un rap dénué de substance.
Si untel dit qu'il roule en Lamborghini, ce n'est pas que pour frimer, c'est aussi pour exprimer un nihilisme et un manque de foi dans la politique. Le rap engagé a échoué, 20 ans après "le monde de demain" de NTM, rien n'a changé : alors, on chante que "Le crime paie" et que "la richesse est dans nos cœurs ? mon cul moi j'veux de l'oseille". On pourra toujours trouver ça dégueulasse, de mauvais goût, méprisant pour les premiers auditeurs de rap, à savoir les jeunes qui galèrent dans les cités, toujours est-il que c'est selon moi un discours qui éclaire beaucoup sur la situation actuelle en France, et pas que pour les jeunes des banlieues mais aussi pour tous les autres.
Je crois que personne ne comprend le hip-hop en France. En ce qui me concerne, j'ai toujours écouté du rap pour la musique, parce que j'aime bien les beats qui tabassent et les flows qui coulent. Je peux écouter Kool Shen un jour et Booba le lendemain. Je peux enchaîner l'engagé "Qu'est ce qu'on attend" et le festival de punchlines débiles qu'est "Boulbi".
Aujourd'hui, le rap commence donc à être récupéré par des amateurs de rap américain qui n'aiment pas le rap français des années 2000 (je pense à Orelsan, Seth Gueko, Taipan, 1995, etc.), et c'est tant mieux. On va se taper un nombre considérable de chansons à base de meufs, joints et punchlines débiles, mais c'est tant mieux, ça va permettre de reconsidérer le rap comme un genre musical comme un autre, et pourquoi pas de redorer la place du DJ.
Parce qu'après tout, pour le rock, il me semble que tout le monde a oublié depuis longtemps que c'était un mouvement rebelle à la base, il est temps de faire pareil pour le rap et d'en finir avec les guignols du genre Abd Al Malik.