Billy Budd a écrit:
Notre fille nous a annoncé qu’elle allait passer le confinement avec nous, « à la campagne » parce que celui lui semble plus adapté que le studio parisien que nous avons loué le temps qu’elle termine ses études.
Nous lui avons dit nous réjouir de la voir un peu plus longtemps, puisqu’elle ne vient plus que quelques heures par mois depuis qu’elle est montée à Paris pour effectuer son master en sociologie, ou psychologie, je ne sais plus, il y a sept ans.
Elle est arrivée hier après-midi, pestant contre les gens qui ne respectaient pas la distanciation sociale à la gare et dans le train.
Il est maintenant 13 heures et nous l’attendons pour déjeuner, comme nous l’avions vainement attendue pour le petit-déjeuner ce matin. Nous décidons de manger seuls.
Il est 19 heures, j’ai proposé d’ouvrir une bouteille de champagne pour fêter nos retrouvailles, mais elle me fait sans doute justement remarquer que je dis cela pour cacher mon alcoolisme et qu’en toute hypothèse, boire du champagne alors que des gens meurent tous les jours, c’est obscène. J’ai essayé une plaisanterie « Justement, nous allons boire pour oublier », mais elle a de la répartie ma fille : « Il ne faut rien oublier ».
Sachant ma fille cinéphile, je lui demande de nous concocter un programme de films à voir sur le bouquet canal plus, mais elle me dit être dégoûtée par ce petit monde de violeurs racistes impunis. Tout fier, je lui rappelle que j’avais été juré aux assises il y a deux ans et qu’il y avait justement eu une affaire de viol. Elle m’a demandé si j’avais pris mon pied et j’avoue ne pas savoir su que répondre – c’était un viol d’un garçon efféminé un peu folle par des jeunes du quartier qui voulaient le punir, pas vraiment le genre de vidéo que je cherche sur les internets.
Le soir, je fais des recherches sur ces histoires dans le milieu du show-biz et je m’endors en me disant que j’avais peut-être un argument à lui opposer le lendemain.
Lorsqu’elle descend petit-déjeuner, je lui lance, pas peu fier : « mais regarde Cantat, il a bien été condamné ». Bon, je ne savais pas ou je n’avais pas fait attention, mais il n’a apparemment purgé que quatre ans de prison « alors qu’un clodo qui meurt de faim fait deux ans fermes s’il vole un sandwich ».
Après déjeuner, je lui propose de m’accompagner faire les courses, mais elle me rétorque à juste titre que cela fait prendre plus de risques au foyer que de sortir à deux. Je lui dis « mais il faut bien utiliser ces bons carrefour, sinon ils seront perdus », mais son regard me fait comprendre que non. J’y vais quand même, mais je lui achète ses yaourts préférés, enfin ceux qu’elle préférait lorsqu’elle avait onze ans. Elle m’a reproché de ne pas avoir acheté assez de produits frais, elle a sans doute raison.
J’ai l’impression qu’elle m’évite, plus que sa mère, restant dans sa chambre, pourtant plus petite que le studio que nous lui avons acheté à Nantes. Du coup, elle ne voit pas lorsque j’ouvre des bouteilles, mais j’évite le champagne.
Excellent, voire même un peu émouvant.