Z a écrit:
Quelqu'un qui sort du système de l'urgence, ce n'est pas une grande victoire, mais c'est un encouragement à poursuivre l'effort. On ne sait pas ce qu'il adviendra d'elle, puisque tu n'en entendras plus jamais parler, mais ça permet d'avancer. C'est déjà ça.
peut-être qu'elle n'en sort jamais, cette personne... Comment le pourrait-elle? sur les bases d'un travail social aussi démuni de moyens à accueillir ou secourir... Peut-être aussi que cette personne n'a pas grand-chose à voir avec ce système de l'urgence, c'est ce que dit Paul Virilio dans un texte fort(
Le jugement premier) qui traite de l'épreuve de force qui s'engage avec l'imaginaire social. C'était l'idée d'un film récent de Sylvain Georges de "faire bouger les perceptions d'une espèce de bonne conscience de gauche"(
Qu'ils reposent en révolte).
Deux archives qui me paraissent très importantes pour essayer de répondre et d'argumenter ce débat sur ce qu'on désigne comme "une fonction sociale généralisée" bien à l'oeuvre dans ce film
Les arrivants. Ce qu'on peut voir, c'est que la position "héroïque" du travailleur social a beaucoup perdu de sa crédibilité, tout le système de conditionnement de l'aide frôle l'odieux, c'est à mon avis ce qui ressort le plus des échanges entre le travailleur social et l'immigrant dans
Les arrivants.
Il s'agit d'archives qui viennent de deux numéros historiques de la revue
Esprit, et elles proposent ces deux questions : "Pourquoi le travail social"(avril 1972) et "A quoi sert le travail social?" (mars 1998)
http://esprit.presse.fr/archive/review/ ... 5&folder=0Citation:
Le problème du délit n'est plus celui de l'exaction, vol, crime, etc., mais celui de l'adaptation, le principe de la normalisation : imposer une exigence à une existence, coiffe l'ensemble social. Les délits ne sont que les épiphénomènes d'un mal unique : l'inadaptation, l'inadéquation au statut culturel et social, à un ordre qui repousse sans cesse les limites du système normatif...
On assiste ainsi, à travers le politique-fiction d'une normalisation généralisée, à l'apparition d'une technologie sociale, comme si les sciences humaines, faute de mériter leur nom, pouvaient être cataloguées comme autant de techniques de pointe.
...
Cette détection des anomalies réveille en effet le modèle colonial, comme si, après avoir abandonné la dimension géographique de ses conquêtes, l'impérialisme culturel poursuivait sa percée "à domicile". Aux peuplades sauvages et barbares succéderait l'anormalité intérieure, l'inadapté ne serait plus seulement celui qui vient d'un autre horizon mais celui qui surgit du sous-sol de notre propre culture. Dans ce pseudo-colonialisme, les travailleurs sociaux répéteraient les Services des Affaires indigènes ; il s'agirait cette fois de civiliser et de pacifier ces groupes marginaux, si semblables aux inquiétantes tribus de l'ancien empire.
Il y a parmi nous trop de professeurs de foules, trop de clandestins pédagogues ; la critique du savoir ne saurait s'arrêter aux portes des écoles et des universités. La culture dominante a depuis longtemps produit son espace et quel espace ! saturé, pollué d'ordres et de messages...
L'idéologie sanitaire obstrue l'issue de secours,
le jugement premier qu'elle inflige aux peuples par la normalisation sociale est la caricature du jugement dernier de l'idéologie religieuse.
Il est temps d'abandonner ce regard moralisateur, d'oublier la perspective vitaliste qui sert d'horizon lumineux à l'interprétation des déchéances et de l'abjection. Il nous faut maintenant contempler les obscures limites du monde, pour que chaque atome prenne enfin sa valeur, pour que l'épaisseur accède à l'existence. Sinon, l'opération de vivisection sociale qui s'engagerait et qui serait le fait, comme la dissection coloniale, non d'un simple pouvoir politique mais de l'ensemble d'une culture, perpétuerait sur la matière sociale ce qu'elle a accompli dans la matérialité de l'environnement naturel : la normalisation du vécu répéterait l'extraction et la pollution des ressources de l'imagination populaire, à l'épuisement des différentes matières premières s'ajouterait celui des possibilités même de l'invention et donc, du renouvellement de la vie.
Paul Virilio :
Le jugement premier (avril 1972)
Texte en entier ici:
http://depositfiles.com/files/cbm8lpo0b http://esprit.presse.fr/archive/review/ ... de=1998_3#Citation:
Une fonction sociale généralisée (Mars 1998) - A quoi sert le travail social? - Table ronde avec Jean Afchain, Christian Bachmann, Jacques Donzelot, François Dubet, Jacques Ion, Joël Roman, Denis Salas.
Nous avions intitulé notre numéro de 1972 consacré au travail social "Pourquoi le travail social?", alors que l'on soupçonnait la fonction sociale de servir de nouvelles formes de contrôle des classes dominantes sur les classes populaires. Aujourd'hui, le cadre de la réflexion s'est inversé. On est passé de la dénonciation d'un travail social normalisateur à une critique de son inadaptation. La question est alors : cette inadaptation est-elle conjoncturelle, produit provisoire d'un chômage massif auquel la formation des travailleurs sociaux ne leur permet guère d'apporter de réponses satisfaisantes?
Aujourd'hui, on connaît une forme de désenchantement qui s'exprime par le fait que cette profession de travailleur social est en train de découvrir qu'elle est condamnée à gérer des stocks. Les travailleurs sociaux avaient naguère le sentiment qu'ils étaient là pour opérer le passage de l'exclusion à l'intégration. Ils se retrouvent soudain à gérer les stocks et leur problème consiste seulement à limiter ces stocks.
L'archive complète ici:
http://depositfiles.com/files/uwzymzpsw