Qui-Gon Jinn a écrit:
J'aimerais parler d'un truc qui me tiens à cœur et que j'ai du mal à comprendre qui est, pour la faire courte, la disproportion des peines lorsque la victime meurt, nonobstant le degré des violences commises. Je m'explique:
Esteban Morillo a pris 11 ans de prison pour le coup de poing à la tête qui a tué Clément Méric.
Avait-il l'intention de tuer ? Manifestement non - rien dans le dossier ne l'indique et les parties civiles n'ont pas plaidé ça. C'était une bagarre entre débiles qui aiment s'engréner.
Mais lorsque d'autres personnes s'y prennent à plusieurs sur un mec, le passent à tabac, "prennent sa tête pour un ballon de foot" comme on peut le lire dans certaines descriptions d'agressions, les peines sont beaucoup plus clémentes. Enfin, ça va jamais taper dans le 11 ans de prison, en tout cas. Alors que la gravité des violences est identique, voir pire (coups répétés vs. un seul coup de poing).
Je précise pour les éventuels idiots que je ne dis PAS que Morillo aurait dû avoir une peine plus clémente (quoique ?) mais plutôt que les autres devraient avoir des peines plus graves. Disons que je trouve qu'il y a un équilibre à trouver.
Bref, je trouve que notre systéme légal met un trop grand poids sur les conséquences (souvent imprévisibles) plutôt que sur les intentions. Discuss.
Pour avoir été juré aux assises (pour trois affaires, deux viols et un meurtre), moi qui avait confiance en la justice, j'ai été estomaqué par le caractère hautement amateur, subjectif et panurgien des délibérations. Les jurés ne s'expriment pas tous (c'est leur droit), et quand ils le font, il leur arrive de balancer des jugements hasardeux et/ou péremptoires, parfois déjà contredits lors du procès. On est vraiment dans "12 hommes en colère" quoi... ou au bistrot. Dans mon cas, j'avais entre autres le droit à une petite vieille qui disait "ça se trouve la victime était homosexuelle, et l'assassin un homo refoulé, on sait pas... en tous cas moi je suis sûr que c'est lui, il a une mauvaise tête". Bref, les gens sont cons et on leur confie la graduation des peines. Bien sûr, ils sont encadrés par trois magistrats, mais ils peuvent manipuler facilement un tel auditoire. Par exemple, lorsqu'on vote, le juge commence par "coupable / non coupable". Un tour pour du beurre histoire de bien capter le principe. Et puis le vrai tour. Une fois que la culpabilité est votée, il explique la loi, la graduation des peines, et soumet plusieurs votes aux jurés. Genre pour un homicide volontaire, un premier vote "entre 5 et 10 ans". Un autre "entre 10 et 15 ans". Etc. Et puis ensuite plusieurs tours pour fixer "la bonne peine", puisque la saisie est libre pour chacun ; certains mettent 20, d'autres 18, d'autres 15, et on revote tant qu'on a pas une majorité d'accord sur une peine.
Ok, sauf que c'est de la manipulation pure et simple ; on est tout le temps encadrés par l'avis personnel des magistrats, leur expertise, leur expérience... on est guidés en permanence par une figure d'autorité... les gens ont envie de "bien" voter... et on est plus DU TOUT dans les preuves objectives, mais dans le RESSENTI total. Moi ça m'a profondément dégoûté. Sur le meurtre, le mec a pris 18 ans alors que très objectivement, aucun élément physique, aucun témoignage ne venait prouver sa culpabilité. Le doute devant revenir à l'accusé, c'était pour moi impossible de le condamner. Même s'il était peut-être coupable, je n'en avais aucune preuve ! Tu sentais qu'ils préféraient tous condamner un "innocent" étant donné que l'accusé était un petit connard mutique et qu'il était forcément coupable de quelque chose... "si ce n'est pas le meurtre, c'est pas un saint de toute façon". Le juge a lancé le vote "coupable / non coupable" avec cette phrase : "bon, on y va ? Cette affaire ne devrait poser aucun problème ! Et puis il est bientôt midi, je commence à avoir faim ! Pas vous ?". Pas de bol, j'ai fait traîner les délibérés pendant trois heures, obligeant les gens à faire des tours de table, à prendre la parole, à réfléchir, échanger. J'ai relu toutes mes notes à haute voix, me suis appuyé sur la loi. J'ai donné mon point de vue à charge et à décharge. Au bout d'un moment, j'avais juste des têtes fatiguées face à moi qui me regardaient d'un air "ouais t'as raison y a aucune preuve, c'est vrai... d'un point de vue légal ça devrait lui profiter... mais il refuse de parler, il refuse de jouer de jeu, c'est qu'il y a un truc quand même... quand t'es innocent tu t'insurges... et puis on est fatigués, on a tout dit." Et ça s'est joué au ressenti.
C'était pas du tout la recherche de la vérité, pas du tout le respect de la loi, pas du tout le respect de la victime ni de l'accusé. C'était juste un vote sans émotion, dans un bocal, sans prise avec le réel, pour "on va bouffer oui ou non ?", en caricaturant bien sûr. Tout ça pour dire que s'il y a mort d'homme, ça ne m'étonne pas que les jurés retiennent d'emblée une fourchette haute dans la peine encourue. Dès lors, ce n'est plus possible de revenir en arrière.
Bref, c'est de la merde.
Je suis définitivement contre le jury populaire, et depuis cette expérience, je comprends mieux les décisions de justice aberrantes et/ou déconnectées du monde réel.