si je ne l'avais pas rencontrée, je n'aurais p-ê pas ce discours...
ceci étant, comme ce que je dis paraît plus explosif à chaque nouveau post, qu'apparemment je suis suffisamment maladroit pour passer pour un dangereux fasciste à vos yeux (pourtant il me semble avoir condamné dans mes messages la violence des actes d'AD), je vais me taire. Les phrases suivantes ne sont pas de moi, mais permettent, j'espère, de comprendre ma position par rapport à la lutte armée. Et mes tiraillements, mes incertitudes et mes doutes (une fois de plus, je ne la considèrepas comme la solution adéquate, mais je m'interroge sur la forme de l'alternative).
"Quel regard portez-vous sur la fusillade de l'avenue Trudaine?
Deux hommes sont morts. Les seuls qui s'en souviennent sont leurs proches. Sans doute trop «anonymes», pas assez «nobles», pour que le système qui les mandatait s'en souciât deux décennies après. Un de mes camarades fut tué, dans des conditions assez voisines. Personne ne s'en est ému, sauf des proches. Dans ces deux cas, il s'agit de rencontres fortuites entre deux groupes de personnes armées, dont chacune, à tort ou à raison, pense qu'elle représente la légitimité et le (bon) droit. Lorsque les armes sortent, il n'est plus question de morale, de justice ou de quoique ce soit d'autre. Survit celui qui a les meilleurs réflexes, et une part de chance. C'est terrible, mais c'est ainsi.
Et sur les actes d'AD, les assassinats commis après votre arrestation ?
Pour M. Besse, là aussi et toujours, il y a la douleur des proches que le temps n'efface pas, les autres se satisfont d'autant mieux de sa mort qu'ils l'exploitent. Dans l'esprit de mes camarades, sa mort, cette action était censée, je cite «ralentir [la] marche de la recomposition bourgeoise et aggraver ses contradictions internes, et ainsi l'affaiblir dans la guerre des classes». A vingt ans de distance, force est de constater que l'hypothèse que nous défendions a failli. A moins d'obnubilation, de cécité intellectuelle et d'incapacité à comprendre le mouvement réel des choses, il convient d'accepter que le mouvement révolutionnaire et le mouvement social nous aient donné tort. Alors, lutter, ou lutter de la manière dont nous et des milliers d'autres avons lutté, était-il une aberration, un «non-sens» ? Au plan de l'éthique, on a toujours raison de vouloir combattre l'injustice et l'oppression, la misère. Par ailleurs, notre engagement fut fonction de la connaissance, de l'expérience et du patrimoine qui étaient ceux du mouvement révolutionnaire, alors. Certains affirmaient que le pouvoir est au bout du fusil. J'adhérais à cette thèse. D'autres, qui la professaient, nous ont laissé l'assumer. Cela étant, indéniable est le fait que notre pratique a eu des conséquences terribles. De part et d'autre, la mort, le poids de l'absence, des existences brisées, la souffrance des proches. Le bilan humain est lourd. Dans tous les cas, la responsabilité des morts est la nôtre et dans «nôtre» il y a aussi mienne."
Régis Schleicher, itw à Libé
"Votre absence de repentir influence-t-elle la décision des juges ?
C'est la question centrale, depuis notre premier jour de prison. Et c'est le pourquoi de nos conditions de détention extraordinaires, des restrictions actuelles sur le droit de communiquer ou de la censure des correspondances. Dans aucune des lois de l'application des peines, il n'est stipulé que le prisonnier doit abjurer ses opinions politiques. Mais pour nous, certains procureurs n'hésitent pas à affirmer que les revendications du communisme impliquent une récidive. Je sais bien que si nous nous repentions, nous serions soudainement adulés par la bonne société, mais ce n'est pas notre vision de la responsabilité politique. Notre engagement n'est pas à vendre ni à échanger contre un peu de liberté.
Vous considérez-vous comme un prisonnier politique ?
Bien sûr. Qui pourrait le nier aujourd'hui quand les tribunaux : affirment que nous restons en prison parce que nous sommes restés communistes et internationalistes, ou alors parce que nous nous réclamons du droit à l'insurrection! Quel militant d'extrême gauche, à l'extérieur, n'est pas partisan d'une insurrection de classe? Pour les autres détenus, nous sommes des prisonniers politiques, comme pour les- ' surveillants, les directeurs, les juges... Comme pour les RG qui surveillent tous les aspects de notre détention, qui enquêtent sur les personnes avec qui nous communiquons et qui conservent tous nos écrits. Leurs rapports de synthèse sont lus devant les tribunaux de l'application des ' peines. N'est-ce pas un magistrat toulousain qui évoqua dans son refus de voir Nathalie Ménigon assignée à résidence dans le département le fait qu'elle sera rapidement considérée par une partie de la population comme une héroïne révolutionnaire ? Nous avons été condamnés par des tribunaux d'exception pour des raisons politiques, nous avons été détenus dans des conditions tout à fait exceptionnelles - des quartiers de détention ont même été spécialement aménagés pour certains d'entre nous , et il suffit aujourd'hui de se pencher sur les ordonnances des tribunaux de l'application ' des peines pour comprendre que nous restons en prison pour des raisons tout à fait politiques."
Jean-Marc Rouillan, itw au JDD
"Comment expliquerais‑tu à un jeune qui n'était presque pas né à l'époque à laquelle tu as milité les raisons qui vous ont poussé à choisir la Lutte Armée ?
D'abord, pour l'essentiel, en rappelant cette phrase de Jean Paul SARTRE, comme quoi: « la violence révolutionnaire est immédiatement morale car les travailleurs deviennent les sujets de leur histoire » ‑ c'est ce qu'il s'agit justement d'organiser, de préparer et de développer en y étant précisément déjà soi‑même sujet de ce procès collectif et historique où, avec de faibles forces, est initié et mis en route un mouvement de bouleversement révolutionnaire d'ensemble par des actions militaires précises et minutieusement réfléchies dans leur moralité.
C'est à dire ensuite plus particulièrement en intervenant donc dans un contexte politique conjoncturel déterminé pour sa maturation et sa transformation ; que le mouvement d'ensemble prenne son propre envol. Comme cela a pu être le cas par exemple avec le contexte du début des années 80 marqué par l'implantation des missiles nucléaires américains en Europe de l'Ouest et la constitution par là de cette Europe en un bloc homogène, qui a donné naissance à l'actuelle Union Européenne dans la confrontation contre le bloc socialiste des pays de l'Est et son renversement depuis lors sous la pression de la vague néo‑libérale. Une vague qui pris alors son essort et, pour souligner la dialectique même de ce mouvement d'ensemble, qu'à l'époque, dans l'immédiat, nous ne savions alors qualifier politiquement pour ce qu'elle était : une vague néo‑libérale qui mène encore la globalisation et la mondialisation que nous vivons actuellement.
Ceci précisément pour dire que l'on ne peut pas craindre d'être dépassé par sa propre action politique et les amples conséquences qu'elle initie, mais bien la comprendre comme constitutive du nouveau terrain sur lequel s'insère cette dialectique. Une dialectique qui fait que des fractions toujours plus larges de travailleurs et de travailleuses deviennent moralement sujet de la violence révolutionnaire qui guide leurs pas, leur action. Que celle‑ci soit illégale ou, dans un premier temps, légale, comme dans des mobilisations contre les lois sur les retraites par exemple, ou autres, l'essentiel étant qu'elle soit morale pour eux et qu'ils y soient sujets dans ces formes d'application.
C'est en ceci que la dialectique de la violence révolutionnaire est en fin de compte : intégration et identification à un autre système. Un système possible où en lieu et place de l'exploitation et de l'oppression s'impose solidarité et fraternité d'hommes et de femmes se vivants sujets de leurs gestes, de leurs réflexions et de leurs paroles. "
itw avec Georges Cipriani
"Est-ce que toutes les formes de violence sont équivalentes face à la violence légitime de l’Etat ? Y a-t-il des hiérarchies dans la violence, par exemple entre la lutte armée et la violence des manifestations sidérurgistes de 1979 qui avaient mis Paris à sac ?
Plutôt que de hiérarchies, je parle de niveaux de violence. Après la projection du film de Pierre Carles [note 5], quelqu’un dans le public est intervenu pour dire que le film ne donne pas la parole aux victimes d’Action Directe. Miguel Benasayag a répondu qu’il y a tous les jours des victimes du capitalisme et de l’impérialisme celles des bombardements sur des régions entières, celles des victimes de la faim, celles qui n’ont pas accès aux traitements médicaux, etc. Ce sang-là coule aussi. Et je ne vois pas ce que cette violence a de légitime.
L’usage de la lutte armée n’a-t-il pas desservi les mouvements sociaux, joué contre eux ?
Non, je n’en suis pas du tout convaincue. Pour moi, la lutte armée est une "contre-violence". Qu’il s’agisse d’une manif de sidérurgiste ou de l’exécution d’un patron, c’est égal. La violence originelle est dans le système. Pas seulement dans l’Etat, mais dans le rapport capital/travail qui est un rapport extrêmement violent. A mes yeux, ce n’est pas du tout un hasard si, à mesure que la violence intégrée au système devient une sorte de normalité, une chose admise, la contre-violence devient, elle, un phénomène honnis, montré du doigt. Selon moi, c’est lié. D’ailleurs c’est un classique de la pensée politique que de constater cette violence intégrée au système et donc d’admettre qu’il y a en conséquence des "victimes" de cette violence. Traiter les gens de "victimes", c’est leur ôter leur capacité à être sujet. Alors que la question de la violence et de la contre-violence est liée à la récupération d’une certaine autonomie collective, la possibilité pour les personnes de redevenir des sujets – organisation armée ou une manifestation, peu importe, l’important c’est la dimension d’agir collectif pour contrer les rapports d’exploitation et d‘oppression.
Pour ceux et celles qui ont été actifs à ce moment-là de l’élan révolutionnaire, la légitimité du monopole étatique de la violence n’avait rien d’une évidence. Son articulation avec le régime capitaliste posait la question d’un usage de la violence révolutionnaire. Après, il y avait la question du dosage, de la manière de faire, voire de l’opportunité, mais il n’y avait pas de superposition entre légalité et légitimité.
Dans la foulée de notre défaite, celle d’Action Directe – et pas seulement la nôtre car c’est un phénomène beaucoup plus vaste malheureusement – la violence du système a été démultipliée. La brutalité du système est devenue une norme intégrée et la violence sociale qui en découle est mise en spectacle comme un phénomène étranger, extérieur. Un exemple, celui des jeunes de banlieue qui oscillent entre la désignation de victimes et celle de sauvageons, même si leur action n’est pas celle d’un projet politique de transformation. En 2001, lors des événements de Gênes, j’ai vu à la télévision un militant altermondialiste, bien propre sur lui, qui disait "la violence enterre l’avenir" à propos des Black Block. Mais de quelle violence parle-t-il ?
Dans les années 70, la violence a été théorisée par beaucoup de militants et certains ont refusé d’entrer dans la lutte armée. Une partie du mouvement autonome préférait organiser les sidérurgistes, par exemple… Un peu comme en Italie où il n’y avait pas un groupe qui émergeait du mouvement, mais le mouvement lui-même qui était entré dans la lutte armée. Est-ce que tu ne penses pas qu’il y a une différence en terme d’efficacité politique entre organiser un mouvement dans son ensemble et un petit groupe se dégageant du tout pour entrer dans une violence armée ?
Pour moi, c’est complémentaire. En toute sincérité, ce n’est pas facile d’assumer la violence. Je pense qu’il faut un mélange de détermination personnelle – non que tu aimes la violence, mais parce beaucoup d’éléments te poussent à dire "peut-être que là je peux faire quelque chose d’utile" – et de contexte. Je pense que les organisations spécialisées dans la lutte armée n’auraient pas pu mener leur action s’il n’y avait pas eu un mouvement général. De la même manière que le mouvement général a aussi montré ses limites. Action Directe était une organisation d’avant-garde et je dis bien "une", pas "L’Avant-Garde". Nous étions dans un tout, nous n’étions pas l’organisation qui allait guider les masses vers la révolution. Action Directe n’était pas l’élite éclairée.
Est-ce qu’une violence personnalisée ne légitime pas la violence de l’Etat tout la renforçant ?
Je ne suis pas d’accord avec toi. On a été arrêtés en 1987 et il n’y a plus eu d’organisations de notre type sur le territoire français après, pourtant les outils de la répression ne se sont pas émoussés… Ce n’est pas moi qui fais la démonstration, c’est l’Etat lui-même qui la fait il n’y a pas eu d’organisations de lutte armée pendant vingt ans, le niveau de la répression a-t-il décru ?
Ne penses tu pas que l’action de Gandhi a été bien plus efficace contre l’impérialisme britannique que des expériences plus récentes de violence "terroriste"
Pratiquer le terrorisme, c’est faire de personnes ou de masses entières des pions à utiliser en fonction d’intérêts entre puissants. Je ne nous désigne certainement pas comme terroristes, ni les camarades italiens, allemands ou états-uniens… Et je reste très prudente face à l’usage de ce terme. Humainement, on ne peut jamais justifier la mort délibérée d’un être humain, mais on peut essayer de comprendre la situation qui amène de telles actions dans un conflit.
Quant à Gandhi, il a obtenu la libération par rapport à la Grande Bretagne dans le cadre particulier de la grande restructuration post-coloniale. On ne peut pas séparer l’efficacité de sa stratégie de ce contexte. Je me méfie des comparaison ahistoriques. De mon point de vue, il s’agit d’avoir le sens de la complémentarité des luttes et des formes de lutte."
itw de Joëlle Aubron à la revue EcoRev'
"Quel regard portez-vous sur les actes d'AD ? Sur les assassinats ?
Ethiquement et humainement, il n'est pas question de justifier la mort de quiconque. Mais je ne peux formuler ni regrets ni repentir, je trouverais cela indécent par rapport aux victimes et à ceux qui restent. Ce serait une posture. Je porte en moi cette responsabilité, et pas seulement parce que j'ai été condamnée, mais parce que j'appartenais à cette organisation. A l'époque, ce fut un choix, ce fut la réalité du combat. Nous pensions, je pensais qu'il était possible de faire émerger un contre-pouvoir. Nous pensions pouvoir défendre la barricade. J'ai bien conscience de rester là dans le vague. Il manque le contexte historique et politique du milieu des années 80, je peux bien expliquer mais ça prendrait plusieurs pages. Alors, juste, AD n'a pas surgi de nulle part. Nous appartenons à une longue histoire et nous fûmes nombreux à penser, à compter sur un élan qui finalement ne vint pas. Notre hypothèse a échoué. C'est clair. Mais de toute façon, je ne peux pas m'asseoir sur dix-sept et même vingt-cinq ans de ma vie. Je me dirais : «Tout cela pour rien ?» Néanmoins, je n'ai pas à me renier. Serait-ce, seulement, parce que ce chantage au reniement a été beaucoup trop présent pendant ces dix-sept ans dans nos conditions de détention. Aujourd'hui, mes camarades y sont toujours confrontés."
itw de Joëlle Aubron à Libé
Voilà, le pb c'est qu'ici, on débat peu, on attaque surtout, et on accable même. On ne discute pas, on labellise. On dit : terroriste, fasciste. On n'essaie pas d'expliquer, on assène. Chacun a la vérité et la fait tomber sur la tronche de l'autre (moi aussi, hein, je ne suis pas à l'abri de ça). Voilà pourquoi j'hésite toujours à entrer dans ce type de considérations ici. On n'éclaircit pas les maladresses: on les pointe, on les moque - à la limite on s'en réjouit, on en jubile d'avance. C'est effrayant comme on tue le débat dans l'oeuf. C'est le dernier message de ce type que je poste ici.
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