Critique plus longue :
http://www.jeanclaudevandamme.fr/film/jcvd.php
Entre ses déboires avec le fisc, sa bataille juridique pour la garde de sa fille, et une carrière au point mort, Jean-Claude Van Damme quitte la frénésie de Los Angeles pour Bruxelles, le moral en berne et la carte bleue qui vire au rouge. Alors qu’il pense être à l’abri de la tourmente, c’est le coup de grâce, son avocat menace de le lâcher s’il ne lui règle pas au plus vite ses honoraires. Son agent concède à lui envoyer par mandat une avance sur cachet, Van Damme se rend dans un bureau de Poste pour retirer son argent. En vain. Des coups de feu retentissent, les portes se referment derrière lui, le rideau de fer tombe : pour JCVD, la journée va être longue. Très longue...
Quoi qu'en disent ses fans, et malgré la qualité évidente de certains de ses films (
Replicant,
L’empreinte de la mort,
Until Death, pour ne citer que les plus récents...), il manquait à Jean-Claude Van Damme Le Titre, celui qui lui permettrait de garder à tout jamais la tête haute et de marquer réellement de son empreinte l'Histoire du cinéma. Stallone peut brandir
Rocky ou
Rambo, deux personnages qui lui servent encore aujourd’hui de monnaie d’échange pour ses autres projets ; Schwarzenegger a
Terminator et
Conan le barbare pour compenser
La Course au jouet ou
Batman et Robin ; même Wesley Snipes peut se vanter d'avoir joué non seulement dans le
Jungle Fever de Spike Lee, mais également dans la trilogie
Blade (dont les deux premiers épisodes ont, bien plus qu'on ne l'imagine, remodelé le cinéma hollywoodien). Van Damme, malgré sa célébrité, son statut culte, et l'admiration que peuvent susciter des succès tels que
Bloodsport et
Universal Soldier, n’avait pas encore derrière lui ce film étendard, ce titre qui lui vaudrait à tout jamais le respect du public, de la critique, et de la profession - trois entités encore relativement divisées sur la carrière de l’acteur. Et même
Replicant, pourtant son plus grand succès critique, n’avait été que très timidement défendu par la presse, qui saluait volontiers la performance de l’acteur, mais émettait quelques réserves sur le scénario. Qu’on se le dise, c’est désormais chose faite : Van Damme vient de livrer son premier véritable chef d’oeuvre, sa première réussite incontestable ! Et c’est contre toute attente à un français qu’on le doit, le jeune Mabrouk El Mechri, réalisateur d’un premier film réussi (l’émouvant
Virgil) et l’un des rares cinéastes avec Ringo Lam et Sheldon Lettich à faire preuve d’une véritable admiration pour l’acteur, au point de le traiter avec respect et de lui proposer le plus grand rôle de sa carrière.
J.C.V.D s’impose ainsi d’emblé, dés les premières images d’un générique flamboyant, comme une date dans l’oeuvre de Jean-Claude Van Damme, et peut être même comme un événement dans le genre habituellement calibré du cinéma d’action - en admettant que ce film en fasse partie.
A ceux qui en doutaient encore, rappelons que
J.C.V.D n’est en effet, à l’exception de son exceptionnel plan séquence d’ouverture (sans doute la meilleure scène de combats jamais jouée par l’acteur), à aucun moment un film d’action ou de combat, et qu’il n’entretient d’autre rapport avec le reste de la filmographie de l’acteur que l’acteur lui-même. De par sa sécheresse, sa musique et son arc scénaristique,
J.C.V.D se réclame contre toute attente du cinéma américain des années 70. Plus particulièrement du tutélaire
Un après-midi de chien, quasi hui-clos cité jusqu’au travers de la coupe de cheveux improbable de Zinedine Soualem, hommage évident à celle de John Cazale. Une prise d’otages, un scénario qui navigue entre deux pôles (intérieur : le bureau de Poste / extérieurs : la foule, le dispositif policier), l’intervention d’éléments périphériques (l’émotion des parents, l’admiration du public, la sollicitude des otages, l’acharnement et la sottise des médias), autant de composantes qui rappellent, et Mabrouk El Mechri ne s’en cache pas, le chef d’œuvre de Sidney Lumet. Réalisateur dont les films traduisaient d’ailleurs, comme il le disait, «
le combat de l’homme pour une meilleure connaissance de soi face à un monde hostile », phrase qui sied parfaitement à ce
J.C.V.D… Alors Van Damme en ersatz d’Al Pacino, dans une relecture d’un classique du Nouvel Hollywood ? Pas vraiment… Car à ce modèle, le cinéaste et ses coauteurs apposent non seulement une déconstruction minutieuse du scénario (flashbacks mentaux, rêves…) mais aussi un délabrement du visuel (couleurs ternes, flottement des images, ruptures brutales et astuces de montage…) que Mabrouk El Mechri s’amuse à triturer, concasser. La pellicule saute, fait de brusques retours en arrière, est parfois surexposée… La caméra opère des mouvements linéaires ou, au contraire, est soudainement portée à l’épaule. Il ne s’agit plus dés lors pour le cinéaste de livrer un film d’action. Encore moins une comédie - ce que le film n’est qu’à de très rares instants, contrairement à un
Jean-Philippe. Mais bien de piétiner les ruines d’un genre, à partir des vestiges d’un corps, celui de l’acteur, qui en fut un jour le symbole.
Retour au premier plan. Van Damme sort d’un immeuble et atterrit en plein champ de ruines, au milieu de combats confus auxquels il participe : explosions, pistolets, couteaux, coups de pied, coups de poing, le panel habituel, l’ordinaire du cinéma d’action, celui que l’acteur a exploré jusqu’à épuisement, jusqu’à l’écoeurement. L’œil torve, Van Damme avance sans conviction. Au détour d’un mouvement de cette caméra qui balance et suit l’acteur principal en plan séquence (prouesse technique absolument ébouriffante), c’est tout le système qui se met en branle et se renverse : la caméra apparaît, les figurants se reposent dans un coin, un mur de carton pâte bascule, le réalisateur crie «
coupez ! ». Retour à la triste réalité, fin du rêve, nous sommes sur le tournage d’une production de seconde zone où le réalisateur n’a aucun respect pour son acteur même si celui-ci «
a ramené John Woo à Hollywood » (référence récurrente). Durant 1h30, le film va s’évertuer à confronter la réalité avec la vision cinématographique que pouvaient en avoir Jean-Claude Van Damme et le spectateur. Que devient le héros d’action lorsqu’il sort de l’écran – question similaire à celle déjà posée, mais sur un mode parodique, dans le
Last Action Hero de John McTiernan ? Désarme t-il le méchant d’un coup de pied retourné avant de finalement saluer la foule en délire, comme l’imagine l’acteur à un moment du film ? Pas tout à fait. Blessé, cogné, menacé, obligé d’obtempérer, Van Damme ne peut pas grand-chose face à des individus réels et armés. Et, triste ironie du sort, le seul coup de pied qu’il donne, c’est contre un otage et à la demande de Karim Belkhadra, l’un des ravisseurs fan de ses films dans l’une des rares scènes vraiment comiques du film. Ces preneurs d’otages sont d’ailleurs, eux aussi, bousculés dans leurs certitudes. Ebréchés, loin des archétypes du cinéma hollywoodien, ils doutent, pleurent, se chamaillent, et se laissent rapidement dépasser par la violence de leurs actes.
Tout est affaire de point de vue. Celui de l’acteur, celui des policiers, celui des otages, mais aussi celui de la presse face à celui des fans, réduits comme peau de chagrin mais venus malgré tout en masse soutenir leur idole (les figurants sont d’ailleurs de vrais fans invités par la production pour apparaître dans le film). «
On pense toujours que devenir une star altère la perception qu’on a des autres, explique Mabrouk El Mechri,
mais le contraire est valable : votre entourage change d’attitude. J.C.V.D étant basé sur ce principe, la multiplication des points de vue est devenue non seulement cohérente, mais aussi jubilatoire ». En arrivant au sommet alors qu’il était parti de rien, en devenant l’incarnation de la réussite et du rêve américain, puis en subissant une chute médiatique sévère, Van Damme est simplement devenu une icône, un objet de culte, et il en paye aujourd’hui le prix. D’une scène à l’autre, le point de vue sur l’acteur et sur l’homme change : forcené pour les policiers ; idole absolue pour un des preneurs d’otage ; père indigne pour l’un des otages ; guignol pour les journalistes qui en profitent pour racler les fonds de tiroir et ressortir les interviews les plus célèbres de la star ; responsable des moqueries qu’elle subit à l’école pour Bianca, la propre fille de l’acteur ; fils incompris pour les parents apeurés dans une des plus belles scènes du film… Lui-même ne sait plus. Il y a ce plan incroyable dans lequel Van Damme se retrouve confronté aux images d’archives retransmises par les chaînes de télévision : «
Moi je suis aware », «
1+1=1 »… Autant de répliques qui, sorties de leur contexte, on fait les beaux jours des enfants de la télé. Autant de répliques qui entraînent le point de vue du public auquel Van Damme doit aujourd’hui s’opposer : «
le Jean-Claude Van Damme public face au Jean-Claude Van Varenberg privé ». Et c’est là la principale force du film, de ne pas chercher à soustraire sa star à ses démons, ses échecs, ses erreurs. L’image déliquescente que le grand public a de lui, l’acteur devra non pas l’assumer jusqu’au bout, mais plutôt la renvoyer en petits morceaux, noyés dans ses propres images mentales (son procès perdu pour la garde de son fils, ses contrats qui tombent les uns après les autres…).
Il reste un dernier point sur lequel il faut bien s’attarder : Jean-Claude Van Damme lui-même. Celui qui donne son titre au film. Wam Bam Van Damme, Van Dammage, The Muscles from Bruxelles, corps d’action aujourd’hui vieillissant… Qu’on le dise sans plus de suspens : on n’a simplement jamais vu un tel revirement, un tel bond en qualité chez un comédien. On savait qu’en tant qu’acteur, il était capable du pire (
Derailed,
Streetfighter,
The Order,
The Shepherd…) comme du meilleur (
Until Death,
Replicant,
L’Empreinte de la mort…). Avec
J.C.V.D, son jeu, alternant jusqu’ici intensité et absentéisme, acquiert subitement une nouvelle dimension. Comme si en jouant son propre rôle, Van Damme, écorché par ses erreurs, était soudainement parvenu à dégager toutes les émotions, toute la sensibilité, dont il avait encore du mal à faire preuve dans une bonne partie de ses films précédents.
J.C.V.D, le film, va surprendre. Et JCVD, l’homme, va émouvoir. Parce que le film fait office de psychanalyse expérimentale (ce qui lui sera probablement reproché, à tort), et que l’acteur livre une performance absolument unique à laquelle, il le dit lui-même, il se prépare depuis vingt ans. Une mise à nue, portée par un courage exceptionnel, qui reste aux frontières de l’indécence sans jamais les franchir, et qui culmine dans La scène centrale, la fameuse « scène X » qui porte l’émotion, la sincérité, à un degré rarement atteint. A fleur de peau, se déplaçant au ralenti, investi corps et âme dans son rôle, Van Damme parvient à dépasser en intensité tout ce qui a été vu sur un écran ces derniers mois. Sous forme d’excuse à lui-même et à ses fans, Van Damme confesse ses erreurs dans des scènes autobiographiques, bouleversantes d’humanité, et regarde littéralement le spectateur dans les yeux à deux reprises. Pour s’entretenir avec lui quelques instants, lui dire qu’il regrette, qu’il a échoué, mais aussi qu’il a compris. Une renaissance, pour le personnage et pour l’acteur, voila la proposition de cinéma éblouissante faite par Mabroulk El Mechri. «
Dans la vie, explique Van Damme,
on fait des conneries, on déçoit les gens. J’avais envie d’inverser la tendance, mais c’est difficile de remonter la pente quand on est tout en bas ». Difficile peut être. Mais Van Damme vient de réussir l’impossible.