Question aux modos ; Je ne sais pas si vous pouvez avoir des problèmes avec la copie d'articles. Comme QGJ a déjà copié des articles du monde je le mets ici.
Mais c'est peut être plus prudent par MP ?
Cosmo a écrit:
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Un droit de réponse de Michel Piron est à retrouver à la fin de cet article
«C’est quelqu’un d’important, on n’oublie pas son visage.» Devant les enquêteurs, Olivier Lahcen, dit «Oliver Sweet» dans le microcosme du porno français, évoque sa rencontre furtive mais marquante avec Michel Piron lors d’un salon de l’érotisme. Le réalisateur, dont le pseudo doucereux contraste avec les motifs de sa mise en examen – «traite d’êtres humains aggravée» et «viol en réunion» –, n’a évidemment pas oublié son face-à-face avec l’homme à la tête du système dont il n’était qu’un maillon négligeable. Dialogue lapidaire : «Bonjour, c’est Michel. Tu travailles pour moi», lui lance le fondateur multimillionnaire de la plateforme pornographique Jacquie et Michel (J&M).
Aucune image, nulle part sur la toile. Ni apparition télévisée, ni interview accordée en deux décennies d’expansion. Mis en examen mi-juin pour «complicité de viol aggravé» et «traite d’être humain», le sexagénaire, qui «conteste formellement» les charges, a toujours scrupuleusement protégé son identité. Alors même qu’il jetait cyniquement en pâture l’intimité la plus crue de milliers de femmes, chair à canon de ses sites et de son groupe, baptisé du nom du dieu grec de la guerre, Arès.
Inframonde sordide
Soucieux de protéger son anonymat au point de racheter un forum en jachère pour y supprimer quelques vieux clichés pris lors de soirées de webmasters aux balbutiements de l’Internet érotique, Michel Piron a cru pouvoir se tapir dans les entrailles du Web et au pied des Pyrénées aussi longtemps que possible, enrobant de bobards sa fulgurante «success story». A commencer par le fait que, dans cette histoire, il n’y a jamais eu de «Jacquie» et que son business n’avait d’«amateur» que l’esthétique, cradingue au possible, à mille lieues de la sophistication de ses montages financiers et plateformes vidéo.
Depuis bientôt un an, deux enquêtes en cours à Paris, confiées aux gendarmes de la section de recherches, ont ébranlé publiquement le porno hexagonal. Et mis en exergue le rôle de Michel Piron à la tête d’une organisation pyramidale, véritable parrain à poigne d’un inframonde sordide, loin du modeste instituteur du Sud-Ouest qu’il était, gérant en couple un petit site libertin à l’écho inattendu.
Le premier dossier, dit «French Bukkake» – en référence au site fondé par Pascal «OP» Ollitrault, au centre des investigations, dédié à cette pratique extrême où un groupe d’hommes éjacule à tour de rôle sur une femme – décrypte les mécanismes crapuleux de recrutement d’une douzaine de réalisateurs et rabatteurs, tous collaborateurs récurrents de Jacquie et Michel à diverses périodes. Les auditions des prévenus, que Libération a pu consulter, décrivent un système de prédation de femmes vulnérables psychologiquement et socialement, manipulées voire forcées à prendre part à des scènes traumatisantes. Un calvaire prolongé par l’impact dévastateur des vidéos, terriblement virales, sur la cinquantaine de victimes identifiées, aboutissant dans plusieurs cas à ce qui pourrait ressembler à de l’extorsion, les diffuseurs faisant chèrement payer le retrait des images aux femmes abusées. Le plus souvent en vain, les scènes étant partagées et disséminées ad infinitum sur les «tubes», ces tentaculaires agrégateurs de porno en streaming.
«Ils se passaient les filles entre eux»
A ce stade, Michel Piron n’est pas mis en cause dans cette affaire. Mais, à plusieurs reprises, les pandores soulignent que son rôle ne serait pas celui d’un simple «diffuseur» dans l’ignorance des dérives de son sous-prolétariat, comme s’échinent à le répéter ses avocats. En épluchant les échanges entre producteurs, recruteurs et «acteurs», les enquêteurs soulignent que «le travail effectué par le réalisateur répond à une demande précise de “Jacquie et Michel”». Ils ont aussi mis en évidence des traces de financement par la firme des «frais de tournage», ce qui leur fait écrire que J&M «finance la réalisation des scènes pornographiques qu’ils diffusent». Sur PV, un réalisateur explique que, après avoir envoyé une photo, «Michel valide la fille et décide si elle tourne ou pas». Auditionnée, une ex-actrice résume le marigot : «Ils étaient tous de mèche les uns avec les autres, et se passaient les filles entre eux.» Et précise : «Michel est le mec le plus pourri.»
Le second dossier, confié à trois juges d’instruction, signe que les investigations s’annoncent complexes, fait suite à l’ouverture d’une enquête fondée sur des signalements recueillis par trois associations, Osez le féminisme, les Effronté-es et le Nid. Elle concerne directement le ponte du porno, en incluant notamment la plainte d’une femme à laquelle il a donné des instructions en personne tout au long d’une longue et éprouvante «scène» aux airs de guet-apens dans une chambre d’hôtel, et qui pourrait être qualifié de viol en réunion. C’est notamment pour ces faits remontant à 2013 que Michel Piron et son épouse Araceli, 60 ans, ont été cueillis le 14 juin à l’aube à leur domicile d’Odos, dans les Hautes-Pyrénées, avant d’être convoyés jusqu’à Paris pour soixante-douze heures en garde à vue. Araceli Piron a été placée depuis sous le statut de témoin assisté, quatre autres hommes mis en examen pour «viols, complicité de viol, proxénétisme et traite d’êtres humains en bande organisée», et l’un d’eux, poursuivi pour «viol avec acte de torture et de barbarie», placé en détention.
«Barbarie, haine sexiste et raciste»
L’heure des comptes semble approcher, et Michel Piron, qui voit son patronyme qu’il a caché si longtemps s’étaler dans la presse, est entré dans un tunnel judiciaro-médiatico-politique dont l’issue reste incertaine. Pénalistes parisiens et communicants de crise en costard ont été convoqués pour assister celui qui s’est toujours présenté comme un petit chose de province. Car ça chauffe, non seulement devant la justice et face aux médias, avec l’imminence d’une émission de Complément d’enquête sur France 2, mais aussi au Sénat. Après les premières révélations sur les affaires judiciaires, la délégation aux droits des femmes, présidée par Annick Billon, sénatrice UDI de Vendée, a mis en place une mission d’information sur les dérives de l’industrie pornographique et devrait publier son rapport le 29 septembre.
Plus encore que les Dorcel, barons historiques du secteur, le clan Piron (Thibaut, le fils aîné, âgé de 34 ans, a repris les rênes de l’entreprise), se retrouve dans le viseur des sénatrices. L’une d’elles n’a pas hésité à évoquer à haute voix la «gravité» de la situation créée par ces affaires «lourdes» et ces «actes de barbarie». En réponse, les représentants du groupe entonnent le refrain d’une «vaste manipulation d’associations abolitionnistes radicales», dont l’objectif serait la prohibition de la pornographie en France. Ce dont Lorraine Questiaux, avocate desdites associations et de sept parties civiles, ne se défend pas. «Les procédures judiciaires révèlent au grand jour la barbarie, la haine sexiste et raciste et le caractère crapuleux inhérents à l’industrie pornographique française», insiste celle qui assume le qualificatif «militante». Selon elle, les deux dossiers «mettent à jour l’existence de connexions entre tous les protagonistes et de véritables réseaux de recrutement, de “partage” et “d’échange” : de traite de femmes. Contrairement à ce qu’une partie de l’industrie avance, personne n’ignorait ces pratiques illégales».
«Un site olé-olé sur Internet»
Mais même avec l’audition d’un cadre et d’une avocate de Jacquie et Michel au Sénat en juin, qualifiée «d’approximative» par la présidente de la mission au regard des «vies détruites», l’enquête sur Michel Piron relève du parcours d’obstacles. Et commence par des investigations sur ceux, comme Libé, qui s’y hasardent. «J’ai vu la photo de vous devant la maison, nous informe froidement un communicant. Au moins, vous avez noté que ce n’est pas un château qu’il habite…» Quelques jours plus tôt, on s’était rendu à Odos, cette commune proprette en lisière de Tarbes, avec ses grappes de lotissements somnolents et la montagne en arrière-plan, le long d’une zone commerciale. Ainsi, la tanière de l’ogre du porno est à deux pas d’un supermarché, d’un buffet «tajine à volonté» et d’un «institut capillaire» pour chauves. Le pavillon des Piron, tous stores baissés, est facilement trouvable, avec sa boîte aux lettres au nom du couple, ornée d’un autocollant signalant des lecteurs du Figaro.
Derrière le solide portail et les hautes haies, une voix de femme se fait entendre à travers l’interphone. Sous contrôle judiciaire, Michel Piron s’est retranché avec son épouse dans son pied-à-terre parisien, à deux pas des Champs-Elysées. Ne restent que le chien et cette cerbère, «une amie» de ce «couple de gens normaux», excédée par le «buzz des journalistes». Les voisins alentours, principalement retraités, font des phrases de faits divers – «on a tout appris dans la presse», «ils sont venus à la fête des voisins une fois, très sympas». Une dame raconte que sa jeune aide médicale lui a glissé un jour, «vous savez, en face, ils sont hot, ils ont un site olé-olé sur Internet». Comme si les récentes affaires n’avaient pas écorné l’image gaudriole sur laquelle s’est construit le site, soi-disant fondé sur «le respect de la femme, la bonne humeur, le terroir vieille France, l’amour des campagnes françaises un peu à la Jean-Pierre Pernaut», comme l’a, d’après le Parisien, décrit Michel Piron devant le juge d’instruction, mi-juin.
Le fondateur de Jacquie et Michel a pris un malin plaisir à brouiller les pistes, sur l’origine de ses sites comme sur lui-même. Décrit par tous ceux l’ayant croisé comme un bonhomme trapu à l’accent sudiste prononcé, Michel Piron est pourtant né en 1958 à Villemomble, en Seine-Saint-Denis, où sa mère, institutrice gasconne, avait été nommée. Revenu dans sa petite enfance dans le Sud, il grandit entre Tarbes et Toulouse, gravitant, selon un ancien proche, dans les milieux du culturisme et du rugby, qui l’amènent à être un temps videur en boîtes de nuit. A la fin des années 90, devenu instituteur remplaçant du côté de Tarbes, cet adepte revendiqué du libertinage suit une formation de webmaster financée par l’Education nationale. Il crée alors une page web sommaire avec, selon ses dires, des contenus pédagogiques «plutôt conservateurs», rapidement remplacés par des clichés de soirées échangistes. L’adresse se refile dans la petite niche libertine, et Piron complète rapidement sa collection avec les images qu’on lui envoie.
Ainsi, selon les versions (que Piron, devant les juges, mélange), «Jacquie» aurait été soit une camarade de formation avec laquelle Piron a codé la première mouture du site, soit la toute première internaute à lui avoir fait parvenir des photos dénudées, une Américaine nommée Jackie rencontrée sur un tchat.
«Quand il a débarqué, il a sidéré tout le milieu»
Quoi qu’il en soit, l’audience du site rudimentaire grossit petit à petit, à une époque où les adresses X pullulent sur le web. «C’était déjà une manne financière, mais pas structurée comme aujourd’hui», souligne un connaisseur du secteur. En 2004, Jacquie et Michel n’est déjà plus le petit hobby honteux d’un enseignant provincial, mais une marque déposée à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). «C’était déjà un acharné de travail, qui disait à tout le monde qu’il allait se faire plein de fric», souligne un réalisateur porno. A la même époque, les figures de ce petit monde se retrouvent une ou deux fois par an lors de soirées de gala parisiennes au Plaza Athénée, au Planet Hollywood ou au dernier étage de la tour Montparnasse. A chacun sa «spécialité», son «catalogue adulte». On parle revente, noms de domaine et chair fraîche. Le «vivier» de Piron, qui se vante de recevoir chaque jour des dizaines de propositions spontanées de libertins voulant apparaître sur son site, suscite les convoitises. Un trentenaire ambitieux, Abel Elleboode, le convainc de se lancer dans la vidéo, autour d’un format pseudo-reportage low-cost où des «acteurs» déboulent au domicile de volontaires pour y tourner des scènes gonzo, sans scénario.
Le concept est simple : Jacquie et Michel réalise vos fantasmes les plus trash, d’où le slogan «Merci qui ? Merci Jacquie et Michel !» qui va s’imposer petit à petit dans l’imaginaire public, à rebours de l’esthétique «pornochic» (dialogues, décors kitsch, seins siliconés) de Marc Dorcel. Le genre a son étiquette : le «pro-am», qui mêle, en théorie (la pratique semble prouver le contraire), amateurs enthousiastes et professionnels chevronnés et rémunérés. Jusqu’à leur brouille en 2020, Elleboode devient le bras droit de Piron, chargé de la production des vidéos et de la gestion des réalisateurs sous le parapluie de sa société Yves Remords. L’arrangement permet à J&M de se présenter comme simple diffuseur, sa défense de toujours. Un nouveau site, «Jacquie et Michel TV», est lancé en 2007, sur la promesse d’une vidéo inédite par jour.
«Michel, on ne l’a pas vu venir, se souvient l’acteur-réalisateur HPG, vieux routier du porno français, passé des théâtres érotiques rue Saint-Denis à la fin des années 80 aux années fastes Dorcel puis à l’auto-production gonzo, dont une poignée de “scènes” vendues à Piron. Quand il a débarqué, il a sidéré tout le milieu. Il osait tout, il filmait dans la rue, en plein jour, sans rien flouter…» Un ancien de J&M poursuit : «Au début, on n’avait aucun problème de casting, ni côté amateurs, ni côté pro. Puis, au tournant des années 2010, tout le monde du porno s’est effondré avec la montée en puissance des tubes. Il fallait faire toujours plus de volume, il n’y avait plus d’argent, et on a ouvert le business à des gens qui n’étaient pas très pros, pour le dire gentiment. Des gens qui ont fait n’importe quoi. Le début des ennuis…»
«Tous les matins, il lui fallait sa dose»
En garde à vue, un producteur décrit l’ambiance d’abattage qui régnait sur les tournages du groupe : «Michel, le chauve, le gros […] valide les budgets, les équipes. […] La partie financière, c’était […] Abel. […] Il y avait une armée de réalisateurs. […] Ça arrivait qu’Abel m’appelle pour venir faire une scène pour “J & M”, j’arrivais dans la maison, y’avait déjà d’autres tournages pour eux. Il y en avait partout en France.» HPG confirme : «Il avait un maillage territorial avec une trentaine de producteurs qui draguaient des nanas dans leurs terroirs et qui lui servaient de fusibles, alors que le cahier des charges, qui se résumait, en gros, à “toujours plus”, il venait de lui…»
Ludovic Dekan, ex-réalisateur de la vitrine «Elite» de J&M, assure avoir incité le groupe à revoir «radicalement» ses méthodes. Avec sa compagne, la médiatique pornstar Nikita Bellucci (témoin dans le dossier «French Bukkake»), le couple s’est érigé fer de lance du «porno éthique» et dénonce ces «petites mains [devenues] prédateurs que “J&M” a enfantés», aujourd’hui tous incriminés par les juges d’instruction.
Parmi ces «historiques», on trouve «Rick Angel», qui fit un passage éclair au cabinet du secrétaire d’Etat aux anciens combattants Alain Marleix en 2008 et se prétendait organisateur de parties fines pour Dominique Strauss-Kahn. Aux dernières nouvelles, le hardeur serait en vacances prolongées au Mexique («en fuite ?», se demande un avocat) et sous mandat d’arrêt. Autre lieutenant, Mathieu Lauret, dit «Mat Hadix», bombardé «ambassadeur» officieux du groupe quand les premiers médias s’y sont intéressés. Et le sulfureux Pascal «OP», qui «mutualisait» certains tournages et œuvrait comme cadreur chez J&M sous le pseudo de «l’Abominable David Grumeau», comme l’a révélé le journaliste Robin D’Angelo, auteur du livre Judy, Lola, Sofia et moi (2018), immersion dans le cloaque «pro-am» où l’on retrouve la plupart des protagonistes des affaires en cours. En juin, le cadre maison envoyé répondre devant le Sénat aux questions de la mission d’information a réitéré que le groupe n’avait eu «aucun contact», et encore moins travaillé, avec Pascal «OP», désormais en détention provisoire. Le même qui, dans un PV d’audition, apparaît se vanter d’envoyer à Piron «surtout les filles moches». «Jacquie et Michel prennent tout le monde», explique-t-il crûment aux gendarmes.
Tous se seraient pliés aux demandes de l’insatiable patron, toujours plus pressant. «Michel ne pensait pas qu’en termes financiers : ce business, ça lui servait avant tout à réaliser ses fantasmes de vieux libertin libidineux, assure un ancien de la boîte. Tous les matins, il lui fallait sa dose, sa nouvelle vidéo dans les serveurs, c’était comme le gosse avec son album Panini, il fallait toujours de nouvelles images, et si on n’avait rien à lui envoyer, il faisait un caprice.» Ses obsessions sont connues de tous : il faut des scènes d’exhibitionnisme en extérieur, des talons hauts impératifs, surtout pas de tatouages, et, dès que possible, une sodomie. «Michel s’en fout du scénario ou du site, il veut juste les filles», conclut un réalisateur dans un échange de SMS versé au dossier «French Bukkake». Quelque 7 000 femmes se sont livrées aux caméras de Jacquie et Michel, selon leurs propres chiffres.
«Leurs vies grillées, il n’en avait rien à foutre»
Pour tenir le rythme, le milieu se professionnalise à bas coût. Des «actrices» sont payées une misère pour chaque scène – quelques centaines d’euros, ardemment négociés – pendant que les rabatteurs perçoivent une commission pour chaque nouvelle recrue. Conscient de flirter avec le proxénétisme, Piron trouve la parade : ceux qui «trouvent deux-trois filles» sont payés officiellement pour des frais de «consulting» ou «webmastering», selon un enregistrement révélé par le média Konbini en 2020. Dans le même reportage, Elleboode lâche entre deux rires gras : «On travaille beaucoup avec des débutantes – c’est “je ne veux pas faire d’anal, je ne veux pas faire de double [pénétration]” – et puis le jour du tournage, on tente. Neuf fois sur dix, ça passe.» Dekan confirme : «J’entendais des choses remonter de ce qui se passait sur les autres tournages. Toujours la même histoire de la fille qui vient faire du “papa-maman” et se retrouve avec cinq mecs… Ils n’en avaient rien à foutre, au contraire, c’était leur ADN.»
Au cœur de l’identité du groupe, il y a aussi l’anonymat. «[Dévoiler notre] nom de famille, on déteste ça», insiste l’héritier Thibaut Piron dans le livre de Robin D’Angelo, prétextant la peur de «prendre une balle dans la tête par un mec pro-islam». Durant notre enquête, les avocats du groupe ont menacé à plusieurs reprises d’attaquer en justice si une photo d’un des membres de la famille était publiée. A l’inverse, les femmes qui tournent pour Jacquie et Michel n’ont pas le droit à ces égards, bien au contraire. «[Michel Piron] nous disait qu’il fallait montrer les visages absolument, utiliser les vrais prénoms et donner le vrai nom de leur ville, détaille un producteur. Après, elles se retrouvaient avec leurs vies grillées, et il n’en avait rien à foutre. Même un floutage sur la bande-annonce en home du site, il n’en voulait pas. C’est là qu’on a commencé à avoir beaucoup de demandes de retrait.»
Un juriste explique au duo Piron-Elleboode qu’ils peuvent facturer la suppression des vidéos, sous prétexte d’en rembourser les coûts de production. Généralement, la somme de 1 500 euros est demandée sous forme de rachat de droits, tarif prohibitif pour la plupart des concernées, aux profils sociaux précaires. «Une fois, on a eu le cas d’une actrice dont “Dorian” [un des réalisateurs mis en examen] avait tiré douze vidéos en un tournage, raconte un ancien collaborateur. Michel a pris sa calculette et lui a dit : ça fera 7 000 euros. Elle pleurait, expliquait qu’elle n’avait pas les moyens, qu’elle avait perdu son taf, que son fils avait fait une tentative de suicide…» Inflexible, il répond invariablement : «La fille rembourse, et puis c’est tout.» Les fois où la transition aboutit, la somme est virée à la société Yves Remords, d’Abel Elleboode, afin de ne pas remonter jusqu’à Michel Piron.
Goodies
Au mitan des années 2010, on est encore loin du mouvement #MeToo, la marque explose. Son slogan («Merci qui…») devient une blague, des cours d’école aux présentations PowerPoint d’entreprise, et finit parodié dans une pub de l’opérateur Free, en 2017. Consécration. «On a découvert l’impact de Jacquie et Michel quand les actrices ont commencé à être reconnues dans la rue», se souvient HPG. «Il a rempli un vide dans le marché, celui du porno franchouillard quand tout le monde faisait du chiadé, se souvient Dekan. Le succès lui est tombé dessus. Piron n’était pas un stratège, il était là pour se branler. Beaucoup de gens se pinçaient le nez, mais tout le monde a fini par en diffuser, Dorcel compris.»
L’argent rentre, Piron développe à toute berzingue et crée un groupe dont le périmètre reste encore nébuleux. Au Sénat, le cadre chargé de porter la bonne parole de Jacquie et Michel s’est borné à répondre ne pas savoir «combien d’entreprises» composent Arès. A l’entendre, la vidéo ne représenterait que 15 % des 20 millions de chiffre d’affaires actuel du groupe, qui s’est diversifié tous azimuts. Sex-shops, sites de rencontres, expériences avec un casque de réalité virtuelle, rachat du magazine Hot Vidéo, soirées en boîtes de nuit, produits dérivés – des boules de pétanque à celles de geisha… En 2015, textiles et bières à la gloire du site se retrouvent même dans les supermarchés. «A l’époque, ils avaient déjà une image dégradante, souligne la documentariste Ovidie. Et tout le monde avait l’air de trouver ça très rigolo…» On parle désormais «retail» (vente dans les boutiques ouvertes dans une demi-douzaine de villes) chez Jacquie et Michel, dont les bureaux et la cinquantaine de collaborateurs sont désormais dispersés entre Levallois, Pau, Barcelone et Budapest.
De nouvelles plateformes ont vu le jour, telle «Porneverest», un site de VOD, ou «Elite», vitrine soi-disant haut de gamme, créée en 2015 depuis la Hongrie. «Du sous-Dorcel avec des Tchèques à la place des Américaines», commente Dekan, qui a tourné quelques pornos pour cette filiale. Des noms de domaine ont été réservés sur Internet pour une éventuelle déclinaison internationale, où les femmes seraient chargées de prononcer le fameux gimmick dans la langue de Shakespeare : «Thank you, Jacquie and Michel»… Officiellement, ce slogan est là pour imprimer la marque et décourager les copies. «Mais en réalité, plus ils étaient piratés, plus ils étaient contents, résume HPG. C’était du marketing pour vendre leurs goodies en magasin.»
«Tes conneries, ça va nous amener en taule»
A Paris, ses affidés sont rincés dans les palaces. Michel Piron fascine, le nouveau nabab se prend une suite au Warwick, près des Champs-Elysées, où il monte le week-end sans madame, «pendant qu’il mégote à 50 euros près le cachet des actrices», soupire un ex-recruteur. Il a désormais sa petite cour d’actrices en vue et de réalisateurs, boit des coups au Fouquet’s. Des salariés estomaqués fantasment même sur la location d’un jet privé pour monter à Paris – lui dément…
Grisé par le succès, Piron met la pression sur ses équipes pour passer à deux nouvelles vidéos par jour. «Tourner une scène par jour est déjà excessivement difficile, alors deux… Résultat, les réalisateurs vont raconter n’importe quoi aux filles pour les recruter», se désole une connaissance. Idem pour les tests de dépistage aux MST : dans le dossier «French Bukkake», un «acteur-cadreur» assure que «chez Jacquie et Michel, il n’était pas rare qu’un mec me demande de faire des Photoshops». «Impossible de savoir, botte en touche le groupe. On est juste diffuseur.» Défense immuable.
A partir de 2016-2017, à l’aune des campagnes sur le porno éthique, Jacquie et Michel tentent néanmoins de ripoliner leur image. «Michel a été un peu écarté par son fils, confie un réalisateur. Thibaut lui aurait dit : “Tes conneries, ça va nous amener en taule.” Presque trentenaire, il prend la direction générale du groupe en 2017 tandis que le fondateur est cantonné à son rôle d’actionnaire, interdit de se rendre ou de participer sur les tournages, ce qu’il a longtemps fait, pendant que sa femme suivait «comme un zombie, avec une valise bourrée de lingerie pour les scènes…», décrit un ex-collaborateur.
«Thibaut n’est pas issu du milieu du porno, ni même du libertinage, c’est un mec du monde de l’informatique», estime cette même source. Un fils à papa avec le même goût de l’ombre, qui s’installe lui aussi dans le triangle d’or des Champs-Elysées et épouse une chargée de publicité chez Lagardère. Le développement des goodies, les ouvertures à l’international, le lancement d’une cryptomonnaie, c’est lui. Mieux encore, en juin 2020, la chaîne de Jacquie et Michel pénètre les foyers français en étant diffusée par Canal +, et distribuée par les boxes Orange, SFR et Free. Ultime signe de normalisation, auquel la mise en examen de Piron a mis un coup d’arrêt, la diffusion étant «mise en pause» cet été par la chaîne cryptée, acteur historique du porno français.
«Intimidation judiciaire»
Procédurier, le groupe a rendu coup pour coup ces dernières semaines. Une plainte pour diffamation a été déposée contre la socialiste Laurence Rossignol, rapporteure de la mission sénatoriale, qui a entre autres traité l’entreprise de «salopards» sur BFM TV. Nikita Bellucci est elle aussi visée. Se basant sur une story Instagram où l’actrice se vante d’un canular scabreux aux dépens d’un réalisateur de Jacquie et Michel, ce dernier se serait rendu à la PJ de Cannes pour la dénoncer. Depuis, des articles basés sur cette supposée plainte ont fait surface sur le web, tous rédigés dans un langage très corporate afin de souligner que «ces propos remettent en cause la crédibilité de l’actrice». Pour son avocat, Eric Morain, «on essaye d’utiliser une blague potache sans qualification pénale pour faire de l’intimidation judiciaire qui confine à la menace». Dans le même temps, la page Wikipédia de l’actrice aurait été «vandalisée» selon cette dernière, qui entend porter plainte à son tour. «Ces derniers jours, des adresses IP basées à Pau ont tenté d’ajouter mon vrai nom de famille ainsi que celui de mon compagnon pour m’identifier publiquement et me mettre en danger», s’indigne Bellucci. No comment du côté de Jacquie et Michel, qui, récemment, a effectué une grande purge dans ses contenus.
Dans tous les cas, Piron ne pourra pas compter sur l’omerta de ses anciens fournisseurs. En septembre 2020, quand la couverture médiatique commençait à prendre un tour aigre, Pascal Ollitrault et Mathieu Lauret se gaussaient, comme le montrent des SMS recueillis par les enquêteurs. «Michel doit faire la gueule /avec ses (sic) histoires», textote le premier. «J’adore le sentir en souffrance», répond «Hadix».
Droit de réponse de Michel PironCitation:
Michel Piron, fondateur du site Jacquie et Michel, n'a jamais été à la tête d'une organisation pyramidale dont il serait le «parrain» mais d'un groupe français régulièrement contrôlé par l'administration fiscale et comptant plus d'une quarantaine d'employés, dans le cadre d'une activité parfaitement légale qui est celle de la pornographie. Toutes les femmes qui ont été diffusées sur les sites du groupe étaient consentantes et ont elles-mêmes candidaté pour tourner des scènes porno avec leur mari, leur amant ou des acteurs. C'était leur choix et les plaignantes dans ce dossier sont celles qui le regrettent aujourd'hui. Michel Piron n'a jamais eu la moindre relation sexuelle avec elles. Il n'a jamais souhaité diffuser son image et cela est son droit le plus absolu. Il est tout à fait serein quant à l'issue de l'information judiciaire en cours.