Dans les années 1850, au Portugal, l'écrivain Camilo Castelo Branco et son ami José Augusto tombent amoureux des deux sœurs Owen. José Augusto est épris de Marie, mais c'est Fanny qu'il enlève une nuit.Film de jeunesse de Manoel de Oliveira qui vient clore sa tétralogie des amours frustrées, seulement le 4ème film du cinéaste que je découvre (et encore je suis généreux, je ne pense pas être allé au bout de
Val Abraham à l'époque) et que j'avais rechigné à aller voir lors de sa ressortie en 2023, le souvenir de son cinéma d'une raideur certaine ne m'ayant pas encouragé à me déplacer en salle pour cet opus long d'un peu plus de deux heures trente. Il aura donc fallu que le film arrive sur la plateforme Arte.tv, accompagné de 4 autres de ses films, pour que je me replonge enfin dans l'univers du maître portugais.
Première confirmation, le vague souvenir que je pouvais avoir de son cinéma n'était pas infondé, et il nécessite un petit temps d'adaptation avant de réussir (ou non) à faire abstraction de son très fort particularisme. Le hiératisme dans le jeu des acteurs est effectivement très prononcé, mais (alors que c'est aussi une impression que j'en avais) nullement théâtral. Chez de Oliveira on ne déclame pas, les dialogues se délivrent sur un ton feutré et neutre, sans être pour autant totalement désincarné comme chez les modèles de Bresson. Intéressant de voir par ailleurs l'opinion que de Oliveira peut avoir sur la direction d'acteur, qui sans l'amener à se défier d'eux totalement limite tout de même ses indications, les laissant maître de la manière dont ils jugent appropriés d'incarner leur rôle, pleinement assuré que le cadre (rigide) dans lequel ils seront amenés à évoluer lui permettra d'atteindre l'effet recherché. Aussi éloigné que leur cinéma respectif puisse être, j'y vois aussi un certain rapprochement avec la direction d'acteurs chez Albert Serra...
Ce dont je ne me souvenais par contre pas, peut-être parce qu'à l'époque mon attention n'était pas particulièrement portée sur cet aspect, c'est la précision de sa mise en scène, ou pour être plus précis son épure, une austérité qui aura probablement fortement contribuée à un certain rejet lors de ma découverte initiale. Et qui joue maintenant totalement en sa faveur depuis que j'ai pleinement embrassé le camp des anti-fun. Plutôt que théâtral, c'est vers l'art pictural que le film renvoie, les scènes se succédant comme des toiles de maîtres classiques, finement composées, les acteurs se tournant régulièrement face caméra comme il l'aurait fait s'ils avaient posés pour être peint (ajouté à cela qu'il y a toujours un subreptice moment où l'action se fige, renforçant l'impression d'être non plus devant un film mais face à un tableau). D'une certaine manière cela rappelle le plus récent
L'Anglaise et le Duc, si ce n'est que le film de Rohmer renvoyait à une autre époque (ou un autre style) picturale. Entre ces scènes/tableaux, toujours dans un but d'économie narrative, l'action est succinctement résumée au travers de multiples cartons (l'héritage du muet qu'il a côtoyé), évacuant toutes scènes de transitions inutiles et permettant à de Oliveira de se concentrer sur l'essentiel de ce conte philosophique, une joute spirituelle entre deux jeunes hommes fortunés qui ont plus de considération sur la rectitude de leurs principes et l'image que ceux-ci donnent d'eux-mêmes au sein de leur société (idée absolument géniale où certaines scènes sont "doublées", une fois du point de vue de celui qui se met en spectacle et une seconde depuis son auditoire) plutôt qu'aux sentiments véritables qu'ils peuvent être amenés à ressentir. Le hiératisme de la mise en scène rentre alors en parfaite harmonie avec l'humeur de ces deux jeunes hommes, que de Oliveira parvient progressivement a dépassé avec l'utilisation d'une musique contemporaine toute en rupture et aux intonations inquiétantes, qui ferait presque basculer le film dans sa dernière partie mortifère dans le cinéma de genre.
Tout en ayant conscience que le film n'est pas des plus faciles d'accès (pour autant on n'est pas non plus chez Huillet/Straub ou Duras), une fois passé un premier temps d'adaptation je l'ai tout de même trouvé très fluide et assez envoutant, et en fait au moins pour moi une parfaite porte d'entrée chez un cinéaste dont je me réjouis dorénavant de découvrir le reste de sa filmographie (et je reverrai cette fois Val Abraham en entier).