Z a écrit:
Art Core a écrit:
Je suis assez d'accord avec Lohmann et Baptiste il y a quelque chose d'un peu gênant, voire même malhonnête, dans le postulat du film. Vous parlez d'une école de journalisme, or là on est dans une formation de "présentateurs radios/tv" ça me semble quand même assez différent (et je dis ça, sans rien connaître de la formation des journalistes mais j'imagine sans mal que ce n'est pas ça du tout) et du coup effectivement très rapidement on voit que le regard est quand même assez à charge sur ces étudiants un peu ridicules (et globalement tous incroyablement nuls) qui ne s'intéressent pas à ce qu'ils disent mais uniquement sur comment ils le disent et comment ils sont perçus, dans quelque chose d'assez indécent (notamment tout le passage sur les migrants).
Bah si c'est ce que l'école leur propose d'emblée...
Je trouve ça fou d'ailleurs, tout le passage sur l'attentat d'Ankara... Les conseils de la prof, qui leur transmet l'inquiétude que le spectateur zappe, ne comprenne pas, soit distrait, n'en ait rien à foutre. La meuf t'apprend non pas le journalisme, mais comment achalander le client sur le marché ! ... Alors que bordel, c'est pas du tout leur métier ! ... Ce n'est pas au journaliste, à son niveau, de se soucier de l'audience de son média. Moi ça m'a mis en rogne.
Ils ne sont pas tous nuls. L'étudiant qui doit lire la brève sur les migrants est très bon quand il révise et met au point l'exercice (et rédige le texte ?) avec une fille qui peut être sa copine (c'est d'ailleurs le seul moment un peu externe à l'évaluation proprement dite et où il y a un rapport entre deux étudiants qui est montré), mais perd peu à peu ses moyens en situation, d'une part à cause du stress, d'une part par un phénomène d'inflation de l'information, dévalorisée avant d'être répétée, avant même d'être émise : le danger de racolage moral apparaît dès la production et avant même la diffusion. Le coup de grâce qui vide définitivement la nouvelle de son poids est bien-sûr l'escalier dans la voix sur les femmes et les enfants, théorisé. Là-dessus le film a un bon angle. Et puis il est vrai qu'il y a là un enjeu de séduction avec cette fille, elle est censée être le public, passif quant au fond moral de la situation, mais cela ne gêne pas l'étudiant qu'elle soit aussi juge de sa technique. Il ne trouvera bien-sûr pas le même rapport avec le public réel (même si malgré tout en partie là l'horizon post-moderne selon Lyotard, en remplacement des récits d'émancipation : nous somme également devenus incrédules par rapport à lui)
L'étudiante blonde qui lui sert de binôme à Europe 1, mais qu'on voit peu, paraît très bonne. C'est d'ailleurs à elle que le prof révèle comment impliciter la déontologie avec un automatisme : on peut dire bonjour au correspondant, mais jamais merci, sauf s'il court le risque de partager le sort de son sujet. Cette simple convention valorise et spécialise indirectement le reportage de guerre, au détriment de l'analyse politique. La scène trahit aussi que c'est dans le journalisme de guerre que se projette inconsciemment la jeune fille, ce qui tire de façon indirecte à la fois ses performances et son évaluation vers le haut, mais représente déjà une forme de travestissement involontaire de la situation réelle (la crise humanitaire n'est pas la même chose que la guerre).
Pour revenir au premier point, cette dévalorisation et ce relativisme moral sont des problèmes, mais comment l'école pourrait-elle les éviter ? A moins de faire travailler les étudiants sur de l'information fictive ou des marronniers expurgés, ce qui serait pire. C'est au contraire la valorisation de l'information qui se met déjà en place qui est très problématique : on voit émerger de manière complètement gratuite un storytelling autour de Marion Maréchal-Le Pen, qui n'a rien à voir avec le poids politique initial de cette dame, parce qu'il permet de réduire la montée du FN à une logique de fiction familiale dynastique plus catchy : elle donne un lieu et une tension fantasmée interne à l'innommable. Ce n'est même pas par volonté idéologique : il faut que l'information formule elle-même l'hypothèse de la mort de ce qu'elle commente, au moment où il apparaît (ici l'arrivée de Marine le Pen à la tête du RN). Mais l'espace est ainsi créé pour la projection idéologique et l'adhésion de l'audience. L'étudiante est alors perdue parce qu'elle n'a pas la technique, mais peut-être aussi par un scepticisme sur cet approche et ce nom, qui lui sont imposés, de manière quasiment improvisée. Sans elle la fadeur de sa prestation correspondrait à celle du contenu réel de l'information.
Sinon c'est marrant de comparer le film à Reporters de Depardon, où il y a encore une certaine valorisation romantique du journaliste, en même temps qu'une diversité chatoyante des sujets, au sein du même périmètre parisien, qui pour Depardon est la texture du réel et de la société. Ce que loupe l'idéologie et la limite est l'anecdote révélatrice, que seul le journaliste recueille dans Reporters. Le people qui est valorisé par Depardon, est visiblement absent de cette formation, paradoxalement axée sur le storytelling, comme s'il subissait le même sort que l'idéologie. Ici c'est exactement le contraire : l'approche est technique, coupée de l'événement qui n'intervient, unique, que dans le Bataclan (et même les sujets commentés ailleurs et les autocollants Charlie l'annoncent de manière obsessionnelle). Le journaliste vit anonymement le paradoxe du comédien, paradoxalement accru par la spécialisation des chaînes d'info et le flux continu, quand dans Reporters il était le rival érotique de Richard Gere et se permettait d'être plus réel que lui, tout en lui volant son apparence.