Laurentiu Ginghina vit dans la petite ville de Vaslui en Roumanie depuis 1972. Le jour, il est un haut fonctionnaire travaillant en préfecture. La nuit, il invente les règles d'un nouveau football qui devraient permettre d'augmenter la vitesse du jeu et de réduire considérablement les fautes. Et si la révolution du foot se préparait en Roumanie ?Tant ce film ressemble plus à la combinaison du Philosophers' Football Match des Monty Python croisé avec Take the Money and Run de Woody Allen qu'à un documentaire, jusqu'au bout de la projection je me suis demandé s'il en était vraiment un. Après avoir trouvé une interview de Porumboiu il semble bien que ce soit le cas, mais même en ayant obtenu cette confirmation je conserve un léger doute... probablement parce que j'ai eu du mal à concevoir que le duo Ginghina/Porumboiu puisse conserver son sérieux jusqu'au bout, les longues séquences d'interview du premier basculant rapidement dans l'absurde.
Le film débute sur un terrain de hand en extérieur, où l'interviewé s'épanche longuement sur les circonstances de la blessure qu'il s'est faite lors d'un match de foot à 19 ans. Et de nous livrer alors les détails de sa fracture du péroné, la mauvaise recalcification, l'impact que cela a eu sur sa carrière (incapable qu'il fut de courir le 3000m nécessaire à l'entrée de l’École de Sylviculture), le tibia qui pète un an plus tard et comment il se retrouve le jour du réveillon à marcher, abandonné par ses collègues qui l'ont oublié, trainant la patte sur 6km, pour rentrer chez lui. On voit sur le visage de Porumboiu que son interlocuteur s'épanche dans chaque scène au-delà de toute attente, Ginghina profitant de l'attention pour une fois portée sur lui pour effectuer la catharsis de ce trauma qu'il tient pour responsable de sa vie en partie ratée, passée depuis 20 ans dans les bureaux vétustes d'une administration dont le seul but semble être de faire transiter le courrier et recevoir les plaintes des administrés.
Mais l'homme ne s'est pas laissé abattre, et s'est nourri de cette blessure pour faire vivre son projet, sa vision de l'évolution des règles du football pour réduire les risques de blessures et fluidifier le jeu. S'ensuit les séquences qui sont au cœur du projet initial de Porumboiu, Ginghina expliquant toutes les évolutions (plus farfelues les unes que les autres) qu'il a développé, finissant par compartimenter le terrain à un point où l'on est plus proche du baby-foot que du football, Porumboiu lui offrant même la possibilité de concrétiser ses innovations, pour se voir finalement entendre qu'il s'agit d'exercices d’entraînement tout à fait classique.
Le film aurait pu très facilement tomber dans un cynisme méchant, se gaussant de l'hurluberlu, mais Porumboiu réussit à ne jamais sombrer dans ce versant. C'est drôle, parfois même hilarant, mais Ginghina conserve toujours sa dignité, on s'attache à lui de plus en plus fasciné qu'on peut l'être par l'obsession qu'il a développé, par le monde parallèle dans lequel il s'est réfugié (à la manière d'un Clark Kent ou d'un Peter Parker auxquels il fait référence). En 1h10 Porumboiu dresse le portrait d'une personnalité unique, érudit et obsessionnelle, que l'on aimerait presque voir réapparaître dans l'une de ses futures fictions.
4.5/6Très bonne idée que d'avoir sorti le film juste avant la Coupe du Monde, mais cinéma et football ne font peut-être pas bon ménage, nous étions deux dans la salle (la seule de Paris projetant le film) pour la séance de 20h30...