Aag (
आग) en VO.
La nuit de ses noces, un homme au visage brûlé raconte à sa jeune épouse ce qui l'a mené au désastre : sa passion pour le théâtre, et un amour d'enfance dont le souvenir l'a poursuivi toute sa vie...Je vais commencer par les défauts, et ce qui me semble être un problème narratif sérieux dans la seconde partie du film, mais qui apparemment n'a gêné que moi (l'amie qui m'accompagnait ne semblait pas surprise du tout) :
Du coup, le beau geste-climax du final, dont la démesure romanesque ne me gêne pas du tout en soi, n'est en rien préparé par une mise en tension à travers le film, et paraît très artificiel - c'est d'autant plus rageant que la scène qui en découle est magnifique. De la même façon, l'ultime coup de théâtre, qui paraît factice, aurait pu simplement être amené en faisant de la mariée une véritable auditrice, quelqu'un à qui on reviendrait entre chaque segment. Bref, clairement, pour moi, des soucis de scénar et de structure.
L'autre défaut, plus minime, c'est l'absence de danses (sinon une, toute sobre et contrite, et quelques vagues mouvements de Nargis ; et ces amorces de danses sont en fait plus frustrantes qu'autre chose). Les danses ont d'habitude valeur d'explosion, d'orgasme cinématographique, elles hurlent ce qui se jouent dans le récit. Leur absence, en plus de plonger une partie du film dans une certaine apathie (à l'image de Nargis, bizarrement éteinte pour son deuxième personnage), refoule ce besoin d'expression lyrique pour le faire ressurgir de manière maladroite dans des échanges trop sobres pour les accueillir, qui semble soudain sur-dramatisés. A force d'entendre le héros geindre "Nimmi... Nimmi...", on finit par se croire dans
Forrest Gump.
Ce sont vraiment des "défauts", pas une incapacité ou maladresse générale : ce sont des trouées dans un canevas solide.
Parce que pour le reste, Raj Kapoor est immense. La rage narrative d'
Awaara est toujours là, mais ce n'est pas tout. Lors de la présentation interminable en pré-séance, la fille en charge du cycle expliquait à la pire salle du monde (best-of de tous les cassos de la cinémathèque) que ce premier film trahissait l'influence de Welles. Elle a tout à fait raison dans le look (l'expressionnisme redigéré, la tendance au baroque, la démesure), mais le rapprochement se sent surtout dans cette niake, cette certitude d'avoir tous les outils en main pour révolutionner son cinéma national, cette confiance fière et flamboyante, cette façon d'utiliser la mise en scène comme une ostensible écriture... Le film a immédiatement une maîtrise à hauteur de ses ambitions.
Et puis si Raj Kapoor sait tellement impliquer dans la narration, faire adhérer le spectateur, c'est aussi pour une raison simple : le talent qu'il a pour filmer les visages. Le film presque entier n'est que ça, visages magnifiés et idéalisés, resplendissants en sortant de l'ombre, stoppés dans une émotion sourde, entrain de boire les paroles de la personne en face... La séparation au Lycée dans la nuit, par exemple, c'est peut-être un des passages les plus simples et en même temps qu'est-ce que c'est beau ! Le visage de la mère qui attend son fils, celui du gérant amoureux et jaloux, celui de Nargis attendant l'approbation de son metteur en scène...
Bref, le film est en partie raté, mais Kapoor devient mon préféré du quatuor. Ça vaut absolument la vision.
Concernant la copie : La cinémathèque a récupéré une copie de je ne sais plus quel ministère indien, en plutôt bon état (pas de sautes ou de coupes de plans intempestives) si l'on excepte les rayures nombreuses. Le sous-titrage a par contre encore une fois été réalisé par quelqu'un qui ne parle pas bien français, ce qui vaut son lot d'incongruités et de traductions parfois risibles (du style un personnage masculin qui, par la magie de la traduction, s'écrie à pleins poumons "je suis heureuse !"). Parce qu'un autre film a été annulé, il se trouve que
Le Feu repasse ce dimanche (8 décembre) à 14h30 : avis aux motivés.