C'est parti...
1 - Est-ce que vous sentez une évolution de votre plaisir et de votre enthousiasme à jouer aux jeux vidéo, depuis le moment où vous avez commencé à y jouer ?
Oui (je me suis lassé), mais ça veut pas dire grand chose. Je n'ai quasiment pas joué aux JV entre 16-17 ans et 23 ans. J'ai donc des souvenirs d'enfant-ado (où c'était le graal, le divertissement ultime, dont on restreignait l'accès et le temps), puis des souvenirs de jeune adulte (intéressés, mais moins à fond, où c'était une option disponible parmi d'autres), et ce sont des contextes tellement différents que c'est pas comparable.
2 - Est-ce que vous êtes progressivement gagnés par l'impression que le jeu vidéo de ces dernières années est de moins en moins bon - ou le contraire ? Est-ce qu'au-delà des questions de qualités, vous voyez une mutation quelconque (dans la disponibilité des jeux, le parc de machines, le nombre, dans certaines tendances ou mode de gameplay...) qui ait pu avoir une influence sur votre passion ?
Il y a des mutations qui m'emmerdent un peu, qui ont déjà été citées : l'impression d'être assisté (surtout dans les commandes en action-aventure : un bouton qui ne dirige plus un geste, mais qui déclenche une série d'actions), l'ultra-facilité, l'émergence des blockbusters un peu dépersonnalisés, cette façon de baver devant le cinéma... D'un autre côté, je suis aussi heureux qu'on soit sorti de la course stérile et usante au photoréalisme, que ce ne soit plus vraiment un enjeu à présent. J'aime aussi beaucoup la nouvelle donne qu'a provoqué l'arrivée des indépendants.
Le plus grand changement, concernant la passion des jeux, c'est la disponibilité. Il y a une différence entre un jeu que tu attends et que tu fétichises trois mois quand tu a 10 ans, et le catalogue de Steam où tu ne sais même pas quoi lancer...
3 - Est-ce que vous parvenez toujours à finir vos jeux ?
Quand je l'ai vraiment entamé, oui. Il m'arrive très souvent de ne jouer qu'une heure à un jeu pour voir, pour goûter à sa proposition, ou de l'abandonner quand je me sens largué (Mass Effect récemment), mais quand c'est lancé je vais jusqu'au bout. Par contre, je n'essaie plus jamais de faire les jeux à 100% comme quand j'étais petit (de le reparcourir pour avoir un meilleur score). D'ailleurs ça doit être général à tous les joueurs de ma génération : dans les jeux de plate-forme par exemple, les concepteurs font de plus en plus souvent des items à collecter un moyen d'ouvrir de nouveaux niveaux. J'ai l'impression que pour les joueurs qui ont à présent vieilli, il faut qu'il y ait une finalité à ce surplus d'investissement dans le jeu.
3BIS - Est-ce que vous avez tendance à délaisser les jeux longs pour les indés tout courts ou (non, tu n'as pas fait ça ?) pour le casual game ?
Plutôt tendance à aller vers les indés, oui. A part les jeux de plate-forme, j'ai pas lancé un gros gros jeu depuis un bail (d'où le fait que je rate tous les jeux AAA, d'ailleurs). Pas de casual-game, par contre, ça me tombe des yeux.
3TER - Est-ce que l'idée d'un jeu difficile, ou dur à prendre en main, vous rebute ? Est-ce que vous supportez encore les didacticiels d'une demi-heure ?
Non, ça je suis de plus en plus intolérant. Je trouve que c'est un désavantage majeur que le jeu vidéo a vis-à-vis du ciné : c'est très dur d'y faire une "ouverture", une entrée en matière qui soit déjà 100% du jeu, comme une claque qui te motive. Je suis toujours comblé quand les concepteurs arrivent à contourner cela. Limbo c'était super pour cela, Mario Galaxy aussi... Ca va quand même en s’arrangeant je trouve, d'ailleurs ça a même des répercussions de gameplay (c'est plus la première fois où je croise un jeu où je dois trouver tout seul toutes les possibilités de maniement qui me sont permises).
4 - Est-ce que certains genres vous ont lassé, ou est-ce que d'autres vous ont récemment sauvé de la lassitude ?
C'est un de mes drames, actuellement : je déteste le FPS. Si j'avais le temps j'essaierais quand même, pour voir, mais là c'est pas le cas. Je suis né dans la plate-forme, et ça reste mon genre de prédilection, mais c'est clairement plus trop l'époque (et on a toujours pas trouvé un mariage satisfaisant du genre à la 3D, c'est toujours impur d'une façon ou d'une autre). Un autre genre que j'adorais, c'est la gestion, et ça ne se renouvelle pas beaucoup non plus.
Et puis il y eu des changements : le jeu d'aventure, par exemple, je pourrais plus. Petit j'avais la patience, et surtout j'y jouais avec mes frères (ça discutait, chacun proposait un truc). Là rester tout seul devant mon ordi, sans rien faire, à chercher une solution, je trouverais ça absurde. Bon, le genre étant mort, c'est pas tellement un problème...
5 - Est-ce que vous arrivez à jouer aux jeux anciens ?Même à ceux que vous n'avez pas essayé jeune ? Même à ceux qui datent d'avant votre pratique du JV ? Et plus simplement : en avez-vous envie ?
Pas de souci jusqu'aux 16 bits. Les 8 bits sont la période où j'ai commencé le jeu vidéo, et là c'est plus couci-couca. Y a pas énormément de trucs jouables et valables sur nes, par exemple. En fait, j'ai l'impression qu'il y a une phase de transition ingrate entre l'arcade et ces premières consoles, où la volonté n'est soudain plus en adéquation avec la maîtrise des machines. On a l'impression de jeu imparfaits, plus que de jeux qui ont pleinement exploité le cadre que les contraintes techniques leur imposaient.
Les graphismes sont pas un souci, tant que c'est bien pensé. La N64 pique les yeux si y a pas d'écran cathodique, mais sinon c'est bon. Puis le décorum foisonnant inutile (non jouable) de beaucoup de jeux récents a plus tendance à m'irriter qu'autre chose.
6 - Est-ce que la théorie du JV (histoire, esthétique, analyse, sociologie...) pourrait vous intéresser assez pour contrer une éventuelle lassitude, ou est-ce que ce serait pire ?
Je pige absolument pas le rejet de toutes ces réponses. On dirait que "théorie" ça veut tout de suite dire université, muséification, momification... Tetsuo, toi-même tu écris pour Chronic'art ! On a l'impression, à vous lire, que c'est Orphée et Eurydice, et qu'à partir du moment où on va écrire dessus ça va perdre son innocence pour devenir chiant... C'est quoi l'idée, de se cacher les yeux et faire comme si ça n'existait potentiellement pas ? Comme une communauté scientifique qui s'interdirait volontairement la recherche sur un sujet ? C'est absurde.
C'est un aspect qui m'a un peu occupé il y a quelques temps, il faut peut-être que je m'arrête deux minutes sur mon parcours sur ce point-là. Pendant deux ans (2010-2011 ? je sais plus), j'ai organisé avec un ami des "soirées JV". On voulait faire découvrir le jeu vidéo à tous les gens qu'on connaissait (il y avait très peu de joueurs), et c'est très vite devenu de plus en plus gros. Une fois par mois, on réunissait dans un grand appartement toutes les consoles possibles sur plusieurs écrans TV + trois ordinateurs de trois âges différents pour faire tourner les différentes générations du jeu vidéo PC + toutes les consoles portables + du multijoueur et du jeu en réseau... On achetait le plus important (d'occasion, mais on s'est quand même ruinés), et pour le reste on téléchargeait comme des malades, tout ce qu'on pouvait, toutes les archives, histoire que tous les jeux soient accessibles en direct. Dans nos dernières soirées, on avait un aperçu assez exceptionnel de toute l'histoire du JV de A à Z, tous les genres, toutes les machines, tous les types de jeu.
Pendant cette période, on avait très envie de communiquer notre passion pour la chose à l'écrit, et donc on s'est mis à présenter les genres, et puis à les réfléchir, à regarder la proposition de chaque jeux, et donc petit à petit à les analyser, à interroger l'histoire du JV, ses périodes, etc. L'ami en question, bien plus spécialisé que moi, voulait aller beaucoup plus loin, créer un site spécialisé ou écrire un livre. Je n'ai pas suivi, parce que ça aurait demandé de rattraper trop de jeux (je reste assez inculte, au final), et que je n'avais pas le temps (et déjà à l'époque l'impression d'en jeter beaucoup trop par les fenêtres, du temps).
Mais je restais halluciné par deux choses :
1- La richesse théorique à portée de main. Même pas dans une logique de recherche de légitimité (prouver que c'est un art dans une logique de défense du média...), ou de branlette intellectuelle qui chercherait péniblement à tirer plus du matériau qu'il ne peut offrir. On est vraiment à la toute première étape, la plus passionnante, celle où l'on est pas entrain de capitaliser sur un sujet d'étude, mais où il y a un travail qui a besoin d'être fait, un vrai trou, une béance. Comme un théoricien à qui on demanderait, en 1950, "ah et en fait, ça se présente comment, l'Histoire du cinéma ?".
2- Le fait que ce terrain soit totalement vierge. Pas de littérature intimidante abondante : c'est le terrain de jeu de notre génération. Je reste halluciné que personne ait pris les rennes. Alors bien sûr il y a des choses depuis dix ans, des articles par-ci par-là, des forums, des publications américaines plus sérieuses. Mais c'est tellement éparpillé, et au final ceux qui ont fait le plus de bruit restent les sociologues, et c'est un peu triste. Un peu - encore une fois - comme si le cinéma n'avait été interrogé que par des sociologues... Ce serait terrible, non ?
Bref, tellement à faire.
7 - Quelle place (en importance, en temps, en sérieux avec lequel vous les considérez) prennent les Jeux vidéos dans votre vie culturelle, ou dans vos divertissements ?
Actuellement, c'est totalement secondaire. Dans le domaine artistique (ou culturel, comme on veut), le cinéma prend toute la place, même au-delà de mon envie (par ce que le boulot l'exige). Le jeu vidéo c'est vraiment à côté, très rarement (5 jeux en entier par an ?), quand j'ai vraiment ultra le temps (même si par ailleurs je me tiens informé de ce qui sort). C'est aussi un domaine dans lequel je ne me force pas si je ne prend pas de plaisir.
J'ai quand même, à chaque fois, cette sensation aiguë de perdre mon temps. Quand on est plus jeune, le temps semble infini, on peut décider de consacrer une semaine à finir un jeu à 100%, ou même à le refaire. Maintenant, si je n'ai pas l'impression constante de me confronter à une vraie proposition, si je n'ai pas la sensation que jouer à ce jeu vaut le coup, j'ai vraiment l'impression de foutre mon temps en l'air - et encore, contrairement au ciné, le jeu vidéo à l'avantage de tenir actif, on a une manette à gérer tout de même.
Il y a aussi une différence, dont certains ont parlé : j'ai eu une pratique du jeu vidéo, dans l'enfance, qui consistait à jouer entouré (3 frères, forcément, ça aide). Par forcément en multijoueur (pour lequel j'ai un amour moindre), mais de jouer avec quelqu'un qui regarde et participe à sa façon - ou, au pire, avec quelqu'un à côté qui fait autre chose. La vision de soi, tout seul, une manette à la main devant un écran, ça a un parfum un peu absurde qui me bloque.
Bonus : quel regard portez-vous sur la pratique du JV autour de vous (néophytes, nouvelle génération, etc.)
J'ai envie de tuer quand je demande à quelqu'un s'il joue aux Jeux vidéo, et qu'il me répond par je ne sais quelle misérable casual-game facebook, qui a autant à voir avec le Jeu vidéo que Joséphine ange gardien avec le cinéma. Pour le reste, pas vraiment d'avis.
M'en vais vous relire plus attentivement, maintenant.
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