Alors qu'on suit un braqueur qui rentre chez lui après un braquage violent, on apprend que c'est un jeune artiste qui volé cet argent car sa gamine est malade et passera peut être pas la nuit.En partant de cette prémisse simple mais efficace, le réalisateur nous met dans un huis clos forcé lorsqu'un flic arrive et accepte que le père passe la nuit avec sa fille et sa femme en attendant le médecin qui arrive le matin.
Un flingue braqué sur le spectateur, des travellings à gogo, un braqueur dans la nuit qui se détache à peine des rues sombres dans lesquelles il fuit... je ne savais pas qu'Ozu avait touché au genre de manière aussi frontale tout en l'inscrivant dans ses thématiques à venir sur toute une autre partie du film.
Ozu a souvent été décrit comme le plus japonais des réalisateurs japonais, mais là on est encore chez Ozu l'américain qui s'inspire des premiers films de gangsters et même de westerns pour livrer un film qui a du mal avec ce qu'il est vraiment: un drame familial.
C'est intéressant de voir Ozu filmer les causes là où plus tard il s'attachera plutôt aux conséquences. On est face à un idéaliste qui finalement donne pas encore assez de relief à ses personnages et les voit un peu trop comme des outils moraux. Ce qui est dommage car même dans la réal, on se retrouve souvent extérieur à ce récit pourtant intéressant et qui se veut poignant.
Je ne sais pas où se situe la limite d'Ozu à ce moment ou la limite de ce que l'industrie japonaise permet, mais l'autre souci du film est que cette nuit passe bien trop vite et la temporalité sur 1h05 de métrage ne correspond ni à la tension de ce qui se passe, ni à celle des enjeux.
Malgré ces défauts, on a tout de même un grand nombre de qualités.
Déjà, je trouve ça vraiment mortel de faire du flic un mec ordinaire presque, quelqu'un qui agit comme le ferait n'importe quel humain face à cette situation. Il est compréhensif, pas violent, s'endort parc qu'il est crevé et l'admet. C'est fort parce que justement, ce conflit est là juste parce qu'il doit l'être et à aucun moment il s'avère être autre chose que doux. C'est de là que naissent pour moi les moments les plus forts du film, quand on le voit observer le couple et l'enfant. Son regard est salvateur et le personnage en est presque conscient.
Formellement, comme je le dis au début, on est face à un proto-film noir avec des cordes et des nœuds coulants qui tombent de chaque plafond ajoutant à l'expressionnisme voulu par le genre. Les mouvements de caméra sont permanents et ajoutent à l'action comme à l'observation. C'est pas moderne non plus, l'expression ayant ici peu de sens, mais c'est dans son temps, c'est réfléchi, c'est malin.
L'appartement de l'artiste en mode atelier foutraque avec du surcadrage de partout, des affiches de films cainris etc., c'est clairement une valeur ajoutée. La grande force du film est le huis clos, et c'est dommage qu'il ne soit pas sur toute la durée. Tu sens qu'Ozu est travaillé par le fait d'apporter les problèmes extérieurs dans le foyer, mais ne sent pas encore assez ce qui sont ses points forts et ses points faibles donc créé une rupture de ton plutôt qu'une continuité entre le dehors et le dedans.
Ça tâtonne, ça tâtonne, mais on y est presque. C'est fascinant de commencer une telle filmographie depuis le début parce que mon but était vraiment de voir comment Ozu est devenu Ozu et voir comment moi même je peux m'améliorer et mieux digérer mes références. Je cherche à comprendre pourquoi sur mon dernier film j'ai communiqué ce réal en réf à mon chef op et ça ressemble pas à ce que j'avais dans la tête. Pour l'instant, je trouve ce questionnement et ce début de filmographie passionnant.
[EDIT] J'apprends que c'est un projet qui n'est pas né d'Ozu mais une adaptation qui lui a été proposée. Ça peut donner un peu de contexte.