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MessagePosté: 02 Nov 2023, 11:06 
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Michele est un étudiant romain qui a des vélléité d'engagement politiques, contredites par le fait qu'il vive toujours chez ses parents, assez aisés, et entretienne avec eux ainsi que sa soeur des rapports comiques, car marqués par un déréglement oedipien banal et médiocre. La même ambivalence se retrouve dans ses rapports avec les femmes (il semble féministe et sort avec une jolie régisseuse de cinéma, mais se montre avec elle jaloux, possessif et obsédé en parole par le sexe, ou plutôt le rapport sexuel, pas tout à fait la même chose) et la vie communautaire : il forme avec trois potes une mini communauté, qui hésite à en rejoindre une plus grande, plus radicale et politique. Tous sont bien trop égocentriques pour franchir le pas.
Par ailleurs, et c'est la clé du cinéma de Moretti, cet égocentrisme est aussi à l'origine d'un rapport spontanément critique envers les contradictions et impasses du gauchisme, et le développer jusqu'au bout devient , à la limite, un devoir moral paradoxalement collectif, où désir et confort finissent par être tragiquement opposés. Et en même temps il lui faut aussi critiquer la politique et la société italiennes, insatisfaisantes. Le film a été fait juste avant l'affaire Aldo Moro, et permet d'en comprendre sinon les raisons, du moins comment elle a dû être ressentie par la bourgeoisie de gauche italienne.


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Deuxième film de Moretti, après Je suis un Autarcique, dont il reprend (mais sur le mode du "reboot") son personnage de Michele Apicella, et l'intègre dans une forme plus rigoureuse et classique, Fabio Traversa est aussi conservé au cast. Le film est assez matriciel dans son cinéma : y sont présents a la fois le volet autobiographique, bouffon et cynique, et la tentation (avortée) de filmer un collectif politique (et/ou familial) , dimension dont le ton est alors plus sombre voire potentiellement tragique, plus ouvert à la fiction aussi. Le film annonce, comme un carrefour la veine de Tres Piani.

Cet aspect collectif repose ici sur les personnages féminins (les "conquêtes érotiques" de Michele, mais aussi sa mère et sa soeur) toutes assez fortes et touchantes, bien dessinées, mais également séparés au sein de la même aliénation consciente. De plus le dispositif comique du film implique de passer à côté d'elles, de ne pas comprendre ce qu'elles disent explicitement : elles sont terrifiantes et hermétiques comme le réel, et pourtant douées de l' épaisseur psychologique, du passé invisible et pudique de la fiction.
De plus le titre original ("le soleil de l'avenir") et même la situation de Vers un Avenir Radieux bouclent sur des répliques et passages entiers du film. Un personnage se désole que son engagement au parti communiste se traduise principalement par des activités culturelles à la con où il va voir des "clown moldaves ou échassiers hongrois", par une alternative de bourgeoisie aussi desséchée que l'originelle. Un vieil acteur paumé et médiocre tue sa solitude en appelant une émission de libre antenne d'une radio libre, pendant laquelle il lit ses poèmes, d'un ton comiquement morose et scolaire, alors qu' ils sont assez beaux, et où le soleil est un mot revenant souvent ("tu es là comme le soleil du réel", le personnage est en fait une allusion à Pavese), une image à la fois politiques et existentielles d'un monde positif, justifié et généreux, mais aussi du doute d'y participer.
De plus, le thème du tournage dans le tournage n'est pas incarné par lui, mais par sa compagne, qui finit par le quitter pour ne pas être étouffée à la fois sentimentalement et artistiquement, là-aussi comme dans son dernier film.


Le rythme du film, en saynètes organisées de façon lâche mais répétitives est assez BD (on pense un peu à Lewis Trondheim, qui a repris pas mal de son humour a Moretti) et le narcissisme du personnage sont assez crispants, et j'étais à la limite de décrocher, mais cela passe malgré tout car les dialogues sont souvent très drôles et font mouche (la femme qui explique très clairement pourquoi elle fait ne fait l'amour qu'avec les gens qui ne le lui demandent pas ou bien dès le début, tout simplement parce que cela ne peut pas être une arrière-pensée, tout en parvenant à concentrer le raisonnement en moins de 10 mots).
Par ailleurs un saut formel et moral, qui rappelle les films de John Ford, assez brutal, a lieu à la fin, qui justifie la forme cinéma, seule en mesure de le provoquer et de le justifier, sans l'expliquer. C'est peut-être le seul média ou art dans lequel l'altruisme et la sollicitude envers lui peuvent apparaître comme une dépense, des séductions pesant sur les sens comme une couleur ou une forme, rivales au discours. Et Moretti l'a compris, en même temps qu'il l'a placé à la limite extérieure de ce qu'il est capable de montrer : le seul hors-champs de son cinéma c'est l'autre, c'est le spectateur qu'il essaie finalement de justifier sans être sûr d'y parvenir.


la fin donc : désoeuvrés et démoralisés par le contraste entre leur propos politique et leur vie médiocre et ridicule, désireux de faire une B.A. pour se racheter , les membres du groupe décident d'aller "voir" une jeune fille du groupe un peu autiste et schizo, mais jolie, piégée dans des rapports de merde avec ses parents, que l'on devine bourgeois communistes. Insensiblement, l'idée circule comme un mot d'ordre et finit par toucher une cinquantaine de personnes, qui partent en voiture dans la nuit romaine, automnale. Mais toutes sont retardées et distraites par autre chose (un bal de petits vieux sur une guinguette dans une atmosphère "à la Fellini" pour les uns, l'envie de voir les putes pour les autres, avec la justification de participer a un rapport de classe visible et formulable en termes marxistes). Seul Michele arrive chez elle, mais reste muet, intimidé par la personne, qui lui ressemble tout en étant, par sa maladie moins cynique et plus lucide


C'est aussi un méta-film, qui critique et répète les situations voire les plans classiques du cinéma italien (le plan fellinien que j'ai montré, mais aussi le fait que le film contienne une réplique exacte et méchante sur l'apolitisme ou le centrisme des personnages d'Alberto Sordi tout en faisant jouer à Age, scénariste emblématique de beaucoup d'entre eux, le rôle d'un chef de jury universitaire pête-sec).
C'est aussi un de ceux qui a le mieux marché en Italie, devenant un film-culte générationnel (j'entends souvent "je n'aime pas son cinéma sauf ce film" par des gens un peu plus vieux que moi)

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


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