The Barefoot Contessa en VO.
Une matinée pluvieuse, un cimetière, où l’on enterre Maria Vargas. Un de ses proches, le réalisateur Harry Dawes, se souvient… Avec le producteur Kirk Edward , ils avait découvert Maria en Espagne dans le cabaret où, danseuse de flamenco elle se produisait. Protégée par Dawes des manigances du producteur, elle devient en trois films une vedette internationale…
Mankiewicz me met à terre.
Ce n’est que le troisième film que je vois de lui, c’est la troisième fois que c’est absolument parfait, en équilibre total. Des scènes ingérables, des tunnels de dialogue durant lesquels l’attention ne remarque aucun cadre, aucun mouvement, aucune coupe… Et après une bobine à voir deux types discuter, quand c’est enfin fini, on a l’impression d’avoir vécu une épopée avec son cheminement complexe, toute une aventure avec coups d’éclats et revirements, une grosse séquence d’anthologie. Qui s’enchaînent ainsi comme des petits pains...
Je crois qu’on a là le type dont la mise en scène doit être la plus impossible à analyser qui soit. Je saurais pas expliquer le pourquoi du comment… Un découpage a priori si terne et sobre (ça n’a même pas le côté baroque et élégant de
Muir : quand on prend un extrait au hasard, ca donne juste pas envie), qui a au final un effet surpuissant, à la fois narratif, émouvant, poétique… C’est juste épatant.
Du coup, sur l’effet que laisse le film, faute de savoir comment…
C’est un nœud à clichés qu’affronte Manckiewicks, limite un genre à part entière : l’insertion d’une jeune première dans le monde hollywoodien, sa montée fulgurante, le dégoût progressif de son statut de star, un final tragique (c’est pas spoilé, le film débute au cimetière), etc. C’est ce que raconte le film en surface.
Concrètement, c’est surtout occupé à approcher le monde comme un repaire de sociopathes. Univers inquiétant et terne, peuplé de gens morts à l’intérieur, imprévisibles, dangereux, puissants. Ca frappe d’emblée : à un couple tranquille près, personne dans ce film n’est heureux... Cela peut là encore sembler vu et revu, mais la peinture qui en est faite est très inhabituelle (explicitée d’emblée dans les dialogues, bizarrement calme, sourdement en colère). On est d’ailleurs souvent à la limite de l’onirisme, avec ses trois ogres rencontrés, ses contes évoqués... Mankiewicz peint très posément ce cauchemar paisible et éteint, déjà vainqueur et oisif, gagnant tranquillement la partie : de la misère dépressive du quartier espagnol du début aux villas nobles du final, on court après la promesse de sortir du glauque dans lequel l’univers décrit est embourbé – ce qui n’arrivera jamais.
Ce que j’ai préféré dans ce film, c’est qu’au lieu de cantonner à ce constat, il produit sous nos yeux une étincelle, celle qui lance le récit sur les rails : au milieu des zombies atones, deux authentiques humains se rencontrent, se reconnaissent comme tels, s’associent pour survivre. Voilà, pour moi le film, c’est avant tout l’histoire de ça, d’un "contrat" passé entre les deux :
On peut la juger un peu idéalisée (bien que vu l’époque, où Hollywood commençait à sombrer, elle prend un sens plus amer), mais la relation franche et simple (ne serait-ce que parce d’emblée non-ambiguë : pas de désir) entre le perso du réalisateur et celui de l’actrice est extrêmement touchante. Bogart trouve tout de suite le jeu qu’il faut pour ça : un côté épuisé, fatigué, mais aussi paternel et protecteur, sorte d’ange gardien au regard de Droopy. Le duo traverse le film comme une anomalie, discrètement enviés, plusieurs persos à la détresse refoulée semblant trouver dans cette chaleur qui explose, là, au milieu des pièces froides, une sorte de révélation intérieure : en découle une galerie de personnages secondaires très touchants (le second grossier aux états d’âmes enfuis, l’actrice qui s’est vendue, la sœur paniquée…). Tout est fait pour qu’on admire nous aussi, en tant que spectateur, cette lumière doucement rayonnante traverser le film comme un oasis au milieu d’un désert (je pense notamment au couple Harry-Jerry, bien qu’en retrait, qui est vraiment magnifique, impérial, discrètement inébranlable). Le force émotive du film se joue là, c’est ça que j’y ai adoré du début à la fin.
J’aurais deux reproches qui empêchent le tout de taper au plus haut. Le premier est simple : Mankiewicz est un excellent scénariste, il le sait, il en abuse parfois un peu. C’est virtuose, vraiment, mais toujours un poil de dialogue en trop, de métaphores en trop… Ce talent là est étalé de manière parfois envahissante.
Mon second reproche concernerait le troisième acte. Bien qu’il soit, dans les faits, bien plus caractérisé que les deux autres (avec unité de lieu, de temps, d’atmosphère), il met un long moment a vraiment faire comprendre ce qu’il fait là, où il va, comment il doit être pris. Ca manque d’un ton bien précis (c’est certes aussi l’idée, cette inquiétude diffuse et invisible dont on ne comprend pas la source, mais c’est quelque chose que j’ai finalement ressenti qu’a posteriori, qui n’est pas assez travaillé sur le coup). Ce moment de flottement, pas extrêmement bien géré (même si ca retombe magnifiquement sur ses pattes, les 10 dernières minutes sont les meilleures du film), fait un peu tache dans une narration qui file aussi droit le reste du temps. Vingt minutes un peu indécises. C’est pas grand-chose.
Sinon rien à redire. Ce film est vraiment un gros objet riche et complexe, aux qualités fines, compliquées … Ca relativise rapidement les produits tièdes qu’on a l’habitude de voir.
5-6/6
Et pour situer :
L’aventure de Mme. Muir 6666/6
Le limier 5/6
Faut vraiment que je me mate les autres…