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J'ai lu les 7 magnifiques pages de ce topic. J'étais parti dans l'idée de répondre à certaines inanités lues ça et là mais pas sûr que ça soit le plus productif. On va donc parler du film et basta (mais que ceux qui ne sont pas au diapason de ce que je vais écrire n'hésite pas à rebondir, je répondrai avec diligence). D'une, pour situer mes compétences es-Jude, je n'ai vu que ses deux précédents films, j'ai donc de bonnes lacunes, et je ne peux juger celui-ci qu'à l'aune de Peu m'importe et Uppercase Print (dispo sur Arte jusqu’à la fin du mois, je crois que je l'ai déjà dit). Et donc pour commencer sur ce que l'on pourrait reprocher à ce film, mais que l'on pourrait tout autant reprocher aux deux autres, c'est qu'il s'agit d'un film profondément roumain, fait par un roumain et qui cible tout d'abord les roumains. Non pas que le constat ne soit pas transposable ailleurs (d'autant plus dans une Europe qui voit une montée globale de l'extrême droite), mais il y a des thématiques ici récurrentes (le Général Antoniescu que l'on a déjà croisé dans Peu m'importe, celui qui a organisé le massacre des juifs en Roumanie), la position peu reluisante des Roms dans la société roumaine, et les traces qu'on laissait la brusque chute des dictatures communistes et l'irruption ultra violente du capitalisme.
Par contre, pour en revenir à la structure même du film, qui je peux le comprendre a pu être pour certains repoussantes, elle est parfaitement maîtrisée et compose une structure que j'ai trouvé parfaitement efficace. La première partie, sorte de parcours historico-ethnographique, permet d'embrasser ce qu'est devenu Bucarest, un amas d'époques hétéroclites, ou une église orthodoxe se retrouve engoncée entre des immeubles modernes, des salles de sport en construction et un nombre incalculable de Mont de Piété. Ce que Jude essaie alors de nous faire voir c'est que des mondes qui ne s'interpénètrent pas sont amener à coexister, en constance friction, les perdants de la chute du communisme (la femme qui n'a pas assez de tickets restos pour payer ses courses) et les gagnants de l'entrée dans le capitalisme (l'automobiliste propriétaire d'une grosse cylindrée en est l'exemple typique, nouveau riche qui se croit tout permis, arrogants avec les plus pauvres, et profondément machiste). Un monde dont ressort pour l'essentiel la vulgarité et une certaine forme de violence (voir plusieurs formes).
Suite à quoi survient cet espèce de recueil d'aphorismes, que Jude feuillette en utilisant la technique du Found Footage qu'il affectionne particulièrement (la moitié de Uppercase Print procède de la même manière, où il déroule un montage de production télévisuelle de l'époque qu'il oppose au procès d'un jeune tagueur). Loin de trouver qu'il s'agit là d'un pur foutage de gueule, je trouve au contraire qu'il s'y dit énormément de choses (même trop, je pense en avoir déjà oublié plus de la moitié, mais c'est un peu le but je pense, que chacun en retire ce qui le touche plus précisément). Mais il y a tout de même des images très fortes dont j'imagine quelles ont touchés la majeur partie du publique, les sœurs qui entonnent un chant fasciste, la rom qui se fait bastonner par le conducteur du bus... De ce que j'ai pu voir et ressentir jusqu'ici, Jude est obnubilé par la portée historique qu'ont les images, et du degré de véracité qui y est contenu (dans le cas d'Uppercase Print une nouvelle fois, les images sont toutes fausses, ce sont celles d'un régime qui construit sa propre histoire au travers de la TV d'état). Ici elles sont de tout ordre, vraies, fausses, triviales, mais dans tous les cas elles servent à aller au-delà du mur des apparences (ce que l'on a pu voir dans la première partie) et nous révèle plus profondément ce qu'est au cœur de la société roumaine.
Une fois la société totalement mise à nue, la scène du procès peut donc alors commencer. Ceux qui seront parvenu jusqu'ici auront les bases pour comprendre ce qui se joue dans ce procès de pacotille où la professeure est de fait condamné d'avance. Une nouvelle fois je ne trouve pas cela du tout factice, et entre en résonance avec l'histoire roumaine. Qui ne se souvient pas du misérable procès des époux Ceaucescu ? Et la forme rejoint celle de la tragédie grecque, forme dont Jude n'a pas le monopole, et que l'on avait déjà vu il y a quelques années chez Miguel Gomes (dans la 2ème partie des Milles et une nuits). Faux procès pour vraie condamnation, vraie pièce de théâtre pour faussement sauver les apparences alors que tout et déjà joué, c'est l'autre aspect récurrent chez Jude, cette volonté de déchirer toutes la fausseté de cette société pour mettre à jour tous le pus qu'elle contient : n'ayant jamais fait le travail de mémoire nécessaire pour reconnaître ses torts du passé (sa participation à l'extermination des roms et des juifs), résurgence du religieux de concert avec un capitalisme ultra-conservateur, société ultra-machiste dans laquelle la place de la femme est en nette régression par rapport à ce qu'elle était sous le communisme (maintenant c'est soit pute soit maman en sorte). Du coup, vous faites tout un foin de la scène finale, mais ça n'est rien de plus qu'un pied de nez et une illusoire note d'espoir...
En tout cas, et une nouvelle fois je comprends que sur la forme certains se soient senti heurté, de là à en conclure que le film n'a rien à dire, est ringard ou que sais-je, je suis vraiment très étonné, tant il me semble au contraire être exactement au diapason de notre époque.
4.5/6
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