L'an dernier déjà, je remarquais qu'au milieu de la prétendue "overdose" de films de super-héros, les adaptations les plus malignes avaient su se renouveler par le biais d'approches transgenres. Après toutes ces
origin stories à formule,
Captain America devenait un thriller d'espionnage,
X-Men un film de voyage dans le temps et
Guardians of the Galaxy est un
space opera (et le plus raté,
The Amazing Spider-Man 2, ne proposait rien de neuf).
Cette "valeur ajoutée" est nécessaire pour apporter de la fraîcheur à un genre indéniablement omniprésent. Elle peut être juste thématique (
Iron Man 3 ne mélange pas les genres mais proposait une étude plus profonde du personnage éponyme ainsi que de la figure du super-héros que nombre de ses prédécesseurs).
Le problème d'
Avengers : Age of Ultron, c'est l'apparente absence de cette valeur ajoutée.
À la mécanique bien huilée du premier film, véritable exemple de calibrage parfait de blockbuster, succède donc ce deuxième volet à la fois similaire et complètement différent. À la première vision, je peinerai à dire si le film est meilleur. Une chose est sûre, il ne faut pas s'attendre à retrouver l'énergie fun qui animait le précédent. Ce n'est en aucun cas un défaut, parce qu'il s'agit d'un choix délibéré de la part de Whedon, mais cette divergence devrait en déconcerter plus d'un. En tout cas, ce fut le cas pour ma part.
Je suis le premier à réclamer de Marvel (et des blockbusters en général) des films moins légers et je suis ravi de voir Whedon chercher à raconter davantage de choses cette fois-ci. Dans son premier effort, certains personnages avait un nano-arc mais ça se limitait au strict minimum (Stark doit apprendre le sacrifice, Cap doit trouver sa place dans ce nouveau monde, Banner contrôle sa colère mais ne l'a pas encore accepté, Natasha était en quête de rédemption) mais le film ne racontait rien en dehors de ça. C'était le gigantesque climax des cinq films qui avaient précédé.
Dans l'absolu, Ultron est un antagoniste plus intéressant que Loki. La figure tragique de
Thor était devenu un peu un simple "conquéreur de monde" dans
The Avengers. De prime abord, le stéréotype de l'intelligence artificielle créée pour sauver l'Humanité, qui raisonne qu'il faut pour cela la sauver d'elle-même, est tout aussi éculé. Mais Whedon parvient à l'incarner en faisant d'Ultron l'incarnation de la volonté pacifiste mais hégémonique des Vengeurs, tout en le caractérisant comme le rejeton de Tony Stark - toute l'analogie "Dark Pinocchio", assez poussée, est plutôt bien vue - , ou son double maléfique. À ce titre, si la performance de James Spader, whedonienne donc post-moderne et loin du méchant robot premier degré, déroute au début, elle fait sens dans le casting d'un contemporain de Robert Downey Jr., dégageant lui aussi cette image de mec supérieur et cynique.
Malheureusement, je trouve que Whedon n'évite pas complètement la redite avec la trilogie
Iron Man qui avait déjà maintes fois traité l'inquiétude de Stark quant à son legs à ce monde et des conséquences de ses inventions, notamment dans le mésestimé
Iron Man 2, avec ce même mécanisme (il créé une technologie, le méchant retourne cette technologie contre lui).
Ce n'est pas le seul moment où le film donne l'impression de répéter des séquences déjà faites, au sein de la licence, voire au sein du précédent film. Si le combat du milieu, entre Hulk et Iron Man dans son armure Hulkbuster, est suffisamment jouissif et parcouru d'idées pour dépasser le côté
"hé mais y a pas la même scène au milieu du premier Avengers?", Whedon échoue à réinventer le sempiternel climax Marvel où le(s) gentil(s) se retrouve face à l'armée de soldats identiques du
bad guy (les drones d'
Iron Man 2, les Chitauri de
The Avengers, les soldats Extremis d'
Iron Man 3, les Elfes de
Thor : The Dark World et donc les minions d'Ultron ici). Je me rappelle qu'il avait dit, en voyant le climax du Shane Black, où Tony passe d'armure en armure au cours de l'action de façon sans cesse inventive, chaque armure ayant sa spécificité,
"comment je vais surpasser ça?". Effectivement, il a pas réussi.
L'action ne démérite pas pour autant.
L'intro "fin de mission" en mode prégénérique de James Bond - qui semble être le modèle structurel de cette aventure
globe-trotteuse - propose d'entrée de jeu une surenchère.
Avec
The Incredibles,
Avengers : Age of Ultron est sans doute le film de super-héros illustrant le mieux le propre d'un groupe de super-héros : le travail d'équipe. Chose que les pourtant supérieurs films de la franchise
X-Men n'ont jamais vraiment réussi à faire de façon satisfaisante.
L'autre tâche qu'il est plus facile d'accomplir en équipe, c'est de dispatcher certains membres pour s'occuper des civils. Ici, il n'y a pas une scène d'action sans que cette question soit une des préoccupations principales des héros, comme en réponse aux reproches faits à
Man of Steel.
Régulièrement à travers le film figurent ces moments de
team up tout bonnement jubilatoires. Et même quand il n'y a pas de
team up, Whedon sait comment iconiser ses personnages, comme en témoigne le passage dans l'église lors de ce climax que Whedon peine autrement à incarner, là où le climax du premier était porté par l'association tant attendue des Vengeurs et le caractère exutoire d'un Hulk déchaîné. Il n'y a qu'une seule scène d'action que je trouve dénuée d'intérêt (le camion, dans le ventre mou du film). Ça passe mal après ce qu'a démontré
Captain America : The Winter Solider en la matière.
La gestion de l'équipe, Whedon la réussit également hors de l'action.
Dans l'ensemble, on retrouve cet équilibre entre les personnages digne d'un épisode de
Game of Thrones même si Whedon ose mettre les
Big Three de côté pour ce film. Stark a tout de même une place privilégiée, de par son rapport à Ultron, et les germes de
Captain America : Civil War sont plantées, évidemment, même si Cap est plutôt en retrait. Thor disparaît carrément à un moment, envoyé dans une trame relativement superflue.
Hulk/Banner continue d'être vraisemblablement le chouchou de Whedon et c'est son personnage qui bénéficie de l'arc le plus touchant, rendant cette suite plus émouvante que son prédécesseur.
Whedon s'efforce de donner plus de choses à faire à Hawkeye mais, si ces scènes sont le bienvenu, les ajouts paraissent un peu superficiels.
Toutefois, elles apportent un peu d'humanité et sont cohérentes avec l'autre thématique du film : la possibilité d'une vie normale.
Le vrai gâchis est plutôt du côté des Jumeaux Maximoff, assez mal exploités, de façon fonctionnelle.
Les illusions créées par Scarlet Witch sont plutôt basiques (celle de Tony et celle de Natasha sont pas mal, celle de Thor est faible, celle de Cap est...intrigante) et dans le duel des Quicksilvers, Bryan Singer remporte le défi HAUT LA MAIN. Je suis curieux de voir comment ils seront utilisés par la suite.
Par contre, Vision est une grande réussite. En deux fois moins de temps à l'écran (on le voit très peu), il est mille fois plus incarné. L'heureux hasard d'avoir eu Paul Bettany en JARVIS est incroyablement payant au vu de sa prestation, tout simplement parfaite pour le personnage, qui est superbe.
Lors de sa première apparition, Whedon prend son temps et c'est souvent dans ces moments-là que le film est le meilleur, le plus attachant, le plus bizarre et donc le plus précieux. Une berceuse et un toucher, une scène de flirt tirée d'un film noir, une scène de camaraderie qui tourne mal, avec un
payoff inattendu qui justifie encore plus la scène. Si ce chapitre est clairement moins abouti que le premier, il est aussi plus personnel (Whedon se fait plaisir avec ses persos) et plus audacieux (c'est un des films qui embrasse le plus son parti-pris
comic book).
Pour la plupart des spectateurs, qu'ils en soient amateurs ou pas, une vérité semble avoir été acceptée : l'univers cinématographique Marvel est un peu comme une gigantesque série TV sur grand écran. À l'instar de la saga James Bond, la licence Marvel est, par définition, une franchise de producteur, même si j'arguerai qu'elle a bénéficié de quelques metteurs en scène avec tout de même plus de personnalité que la majorité des faiseurs ayant oeuvré sur des aventures de 007. Si
Avengers : Age of Ultron témoigne toujours de la voix de Joss Whedon, il fait aussi parfois figure d'épisode de transition.
Après, des épisodes de transition aussi riches, régulièrement drôles (ceux qui n'ont pas aimé l'humour du premier ne vont pas se réconcilier avec Whedon) et
badass, j'en veux bien tous les jours.