Avant son départ pour un voyage humanitaire en Afrique, Edward retrouve sa mère et sa sœur pour des vacances en famille sur l’île de Tresco. Son père, censé les rejoindre, se défile à la dernière minute. Son absence fait remonter à la surface colères enfouies, rivalités voilées et tensions réprimées… Opposition de classes, maison de campagne cossue où l'on venait déjà enfant passer les vacances en famille, vernis bourgeois qui se craquelle et laisse poindre frustrations et blessures passées et à venir, Archipelago ressemble comme 2 gouttes d'eau à
Eternal Daughters, la dimension gothique (et le simili-twist) en moins. Et si ce dernier m'avait un peu fait penser à Bava (essentiellement pour l'aspect esthétique), celui-ci m'a fait penser à Renoir et à
La Règle du jeu (que Hogg ait décidé d'inclure une scène de chasse aux faisans ne me semble pas tout à fait innocent).
Le point d'achoppement c'est le cadet de la famille, qui a décidé (au grand dam de sa sœur et de sa mère, sans parler du père qui n'a même pas eu le courage de faire le déplacement) de lâcher un boulot que l'on peut facilement imaginer statutairement et financièrement avantageux, pour aller prêcher la bonne parole en Afrique. Sujet de cette crise existentialiste de parvenu bourgeois, Ed va indiciblement se rapprocher de la domestique engagée pour ces 15 jours de villégiatures, et c'est par ce biais que les fêlures familiales vont se faire jour. Et c'est toute la justesse du cinéma de Hogg que de ne jamais en jouer de manière cynique ou extravagante, c'est une béance qui s'ouvre et s'élargit progressivement, qui débute par une remarque sur le fait qu'il n'y a pas nécessité à converser avec Rose (qui a été engagée pour cette fonction, il n'y a donc aucun scrupule à la laisser vaquer à ses tâches sans se préoccuper d'elle) et se termine avec une poignée de plombs dans l'assiette. Rose est probablement le plus beau personnage du film, pas tant pour ce que l'on sait d'elle (quasiment rien), que pour son rôle de révélateur, en contre-point, comme dans la scène de la cuisson des homards par exemple, qui permet de mesurer l'écart de conditions entre cette jeune femme que le fait d'ébouillanter des crustacés n'enchante guère (mais qu'elle fera sans sourciller) et Ed auquel les claquements des pinces ferait presque tourner de l’œil. Trop tendre comme lui rappelle l'ami peintre, des intentions à leur concrétisation il y a un pas dont on se demande s'il sera capable de le franchir, une fois passé le seuil de cette porte.
Et pour rebondir sur le commentaire de Corentin Lê dans le dernier épisode d'Hatari consacré à Eternal Daughters, il y a également une vraie parenté entre ces deux films dans la manière dont la maison de campagne (ou l’hôtel dans son dernier opus) est un personnage quasiment à part entière du film. Elle est la mémoire de la famille, de leur passé, et Hogg use de la même mise en scène, caméra statique placée dans des endroits parfois incongrus, au milieu d'un escalier que l'on voit traverser de part en part par l'un des protagonistes par exemple. Comme si le point de vue que l'on partageait était celui de la maison même, qui observe sans jugement mais dans le même temps semble être le socle, le ciment qui permet à la famille de maintenir sa cohésion.
Deux films donc qui se rapprochent sur bien des points, et même si j'ai beaucoup apprécié Eternal Daughter je pense tout de même lui préférer celui-ci, plus âpre, moins aimable, avec ses acteurs n'affichant pas la prestance d'une Tilda Swinton, sa lumière crue naturelle (qui rappelle le cinéma plus récent de Ted Fendt). Étonnant tout de même qu'une telle maîtrise formelle soit à l'époque totalement passée sous les radars (je n'ai rien contre le festival de Londres, mais il y a tout de même plus huppé).