Alabama vous rattrape tous !
Le souvenir émerveillé que j'avais de Petrov c'est
Le vieil homme et la mer, et au final dans la redécouverte de sa filmo, c'est le seul qui m'ait déçu.
Abyssin a raison, ça ne doit pas durer plus : c'est un cinéaste vraiment à l'aise dans le court, qui trouve un point de jonction entre une histoire et ce que permet son style (transformations et mutation, utilisation lyrique de la lumière, abstraction). Il fait fleurir cette rencontre, mais ne doit pas aller plus loin, ne doit pas se mettre à raconter l'histoire autrement que par cette rencontre... Un exemple parfait de son talent narratif, pour moi, c'est le jeu sur la berge de
La Sirène, quand la fille envoie de l'eau à la figure du jeune, et que par la peinture tout se mêle pour ne former qu'une unique "matière-temps" : l'eau et le corps nu en mouvement, l'eau et le vêtement - on a tout de suite une idée de l'enthousiasme de ce premier amour, de cette sensualité presque innocente et de cette euphorie. Ou quand il fait émerger les formes du noir dans la première nuit de
La vache au moment de la mise au monde, quand il décrit le chaos usé dans le brouillard poussiéreux de
L'homme ridicule...
Dans
Le vieil homme et la mer, son cinéma devient plus littéralement décoratif, développant un récit linéaire, dialogué, sans toujours avoir un autre rapport avec lui qu'illustratif. Ça me semble flagrant dans les scènes de rêve qui n'en passent plus par l'hésitation abstraction/figuration qui fait le sel des séquences oniriques de sa filmo (le suicide de
L'homme ridicule, la noyade de
La sirène...), mais par un dépliage poli d'idées dont l'animation suit le pas sagement (l'intro en Afrique, la nage aux côtés du poisson...), qui couplé à une musique un peu niaise n'est parfois pas loin de virer au chromo. Est-ce que cette approche a finalement compris grand chose à ce qui travaille profondément le roman d'Hemingway ? On retrouve d'ailleurs un peu ça dans certaines scènes très spécifiques de
Mon amour (dans les visions romantiques avec chacune des jeunes femmes), mais c'est à travers un filtre parodique, voire ridicule, qui justifie un peu la platitude de la chose.
C'est dommage, parce qu'il est clair dans sa filmo que
Le vieil homme et la mer représente un tournant fondamental, et une première tentative de s'extraire d'une imagerie qui lui seyait à merveille, mais qui était tout de même l'univers automatique d'un grand nombre des films d'animation des pays de l'Est (et entre autre de son mentor Norstein) : univers sépia et mélancolique, dépressif et misanthrope, tout calme ou tout saoûlant, hivernal et nocturne.
Le vieil homme et la mer, estival et ensoleillé, tente une vraie percée vers la lumière, délivrant toute une gamme de couleurs fraiches (à commencer par le bleu, mais c'est aussi la beauté dorée-rosée des crépuscules, les flambeaux jaunes dans la nuit turquoise...), ramenant dans ce ciné une vraie pulsion de vie, une jeunesse. Cette illumination zen parvient à s'incarner dans les passages les plus simples (le dialogue avec l'enfant dans la cabane que le jour éblouit, par exemple), mais force et de constater que les meilleurs passages du court (les requins, le flashback à la taverne) sont ceux qui retournent se blottir dans le noir.
Mon amour, au final, où la métamorphose n'est plus un soubresaut local (une petite note rêveuse), mais la matière même du film, conserve la lumière et le monde diurne pour amener son cinéma vraiment ailleurs. Plus de nuits, plus de mystère, plus d'allusion : c'est devenu un cinéma spectaculaire, fiévreux (d'ailleurs le film se termine sur une fièvre cérébrale, c'est pas un hasard), jamais posé : bref, c'est devenu un cinéma vraiment baroque, même dans le rythme de ses scènes les plus simples (on dirait qu'il y a quasiment une ellipse entre chaque plan) ; et il est d'ailleurs notable qu'il ne se préoccupe absolument plus de laisser visible ses traces de doigts, rendant parfois un temps le plan quasi-illisible, et les mouvements de caméra tournants limite alcooliques. Ce déchaînement est assez captivant, mais lancé à une telle allure je me demande si son ciné ne risque pas d'exploser en vol. Je sais pas trop comment ça va pouvoir évoluer (et pour répondre à ta question, Abyssin : il a un projet, mais pas d'argent pour le mener à bien).
Voilà, au final, même si elle est plus "facile" et sous influence, plus ancrée dans la culture de l'animation de l'est, je crois que je préfère pour l'instant la première partie de sa filmo, avec une petite préférence pour
L'Homme ridicule pour l'ambition (et
La Sirène pour l'aboutissement). Je pense que c'est un cinéaste pas forcément conscient de ses points forts, que l'adaptation d’œuvres littéraires solides sauve parfois de la niaiserie. Dans ces premiers films, à l'abstraction narrative dont parle Abyssin (et que j'aime bien) se joint une figuration plus apaisée sans être pépère, et je crois que je préfère finalement quand les transformations de ses films sont douces, presque invisibles, et notamment quand le monde se recompose par bribes, comme émergeant d'un souvenir qui peine à se reconstituer, comme les traces d'un monde dévasté. J'aimerais bien qu'il explore cette voie moins spectaculaire, mais aussi plus émouvante, sur les films à venir.
Alabama a écrit:
Par contre, ce style d'animation rend bien les regards je trouve.
Ouep, de manière générale ça redonne une certaine intensité aux personnages, ils ne sont pas décollés de l'univers qui les entoure (ils sont fait de la même matière que les décors, ils réagissent à la même lumière). C'est très bizarre de retourner ensuite à un dessin animé avec des contours nets, d'ailleurs.
Voilà, ça nous permet aussi de rajouter une ligne au top "choisis ton camp" : Petrov ou Norstein ?