Voskhozhdeniye (Восхождение) en VO
Biélorussie, deuxième guerre mondiale : deux soldats soviétiques sont envoyés par leur faction vers un village, pour y trouver de la nourriture. Les deux hommes s'enfoncent à travers l'immense étendue de neige...On parlait l'autre fois de l'improbabilité de redécouvrir des talents que l'Histoire du ciné aurait oubliés : en voilà un. Ou plutôt une, donc, que Criterion
-soit-loué exhume du noir. Dernier film de la dame (avant un accident de la route mortel qui va stopper net sa carrière), qui marche dans les pas de Tarkovski sans pour autant chercher à se mesurer - c'est pas du Tarkovski light, c'est une tentative de faire autrement ; en intégrant au lyrisme une certaine rudesse, une âpreté, quelque chose qui tient d'avantage au récit concret - et de l'autre côté, des choses qui peuvent sembler plus faciles (effets sonores, symbolisme très mis en avant, jeux d'adhésion/rejet répétés de l'immersion du spectateur, parfois à limite de l'irritant), mais qui font preuve d'une grande cohérence.
La particularité du film est de dessiner son parcours vers la transcendance à l'envers : toute la première moitié, épurée et presque abstraite, où deux hommes se battent contre le blanc avalant tout l'écran, où les rêveries contaminent le parcours par saillies, où les visages sont appréhendés dans une extase presque sensuelle (le soldat malade, idéalisé avec force), est ce que j'ai préféré ici. Pas de demi-mesure, Shepitko se laisse tomber bras ouverts dans ce gouffre sans fond du fantasme de pureté, et elle a clairement le talent pour nous imprimer ces sensations. Je pense par exemple à une scène, grave du point de vue du récit, une capture qui va mener au pire, les prisonniers allongés sur un traineau : et Shepitko qui filme les visages caressés par les ombres, glissant sur le paysage éblouissant et gelé, les uns contre les autres... Une façon de faire jaillir la béatitude des situations les plus improbables, de trouver la beauté dans l'horreur.
Dans une progression très bien gérée (notamment dans la bascule d'un personnage principal à l'autre, d'une figure forte à l'autre), le mysticisme du film se replie de plus en plus sur son personnage central, noircissant tout autour (torture, cachot, imagerie nazie), portant la figure christique à incandescence. C'est peut-être un peu moins constant dans la réussite car pas assez risqué, pas assez cash dans la violence et la douleur (une influence du film d'horreur sensible et bien trop timide) qui servent de révélateur à la divinité, ainsi que de balancier à un lyrisme qui du coup va parfois trop loin, frisant le pathétique facile (la petite fille). Si, malgré quelques longueurs, la passion rejouée dans un cachot réussit bien son coup, le très long final aux 50 revirements qui sortent le spectateur de sa transe, et plus encore "l'épilogue" (du mal à le nommer ainsi, tant il semble être une nouvelle étape du récit), achevant le tout de manière très théorique, me semblent pas spécialement réussis : pas besoin de tant de temps et de détours aussi laborieux pour filmer l'absence.
A une dernière demi-heure près (et encore, c'est très loin d'être médiocre), c'est superbe et inspirant. Le genre de réal outsider, certes dans l'ombre d'un panthéon de grands cinéastes au projet cinématographique plus total et absolu, mais qu'il serait vraiment dommage de laisser filer.
EDIT : Je viens de voir que ça a eu l'Ours d'or à Berlin, c'est donc pas si méconnu en fait...