Bon ok ça tue.
J'avais vu le film il y a VINGT-CINQ ANS divisé EN DEUX SÉANCES en COURS D'ANGLAIS en 3ème avec une copie horrible où le son et l'image était désynchronisés et donc les claquements de doigts du début du film avaient déjà provoqué une hilarité collégiale qui ne m'avait pas permis d'appréhender le film correctement.
Et puis l'histoire de Roméo & Juliette, ou plus particulièrement sa conclusion, ne m'a jamais parlé. Je pense que je suis trop cartésien pour être touché par la poésie de cette idée.
J'étais donc ravi de (re)découvrir hier que ce n'était pas la fin du film.
Mais commençons par le commencement et notamment ces claquements de doigts, premier rythme d'une incroyable introduction muette, après une Ouverture à l'ancienne, avec la géniale musique de Bernstein sur un panorama minimaliste et quasiment abstrait de New York signé Saul Bass, où l'on survole la belle géographie quadrillée de la ville jusque dans ses quartiers moins rectilignes, moins huppés, avant de suivre un gang à la démarche menaçante...qui se met soudainement à danser comme des gros dep.
J'adore la subversion induite par ce simple moment de transformation, de traduction devrais-je plutôt dire, le statut de dominant des Jets se traduisant dans ce musical par une chorégraphie qui tranche avec l'image de virilité projetée juste avant par la bande. Quand le premier combat éclate un peu plus tard, ça en devient quasiment crypto-gay. En un sens, c'est comme si ce ballet nous disait déjà qu'ils sont fait pour s'enc...s'entendre.
Mais au-delà de ça, j'ai surtout été séduit par les cadres, la modernité des mouvements, l'énergie du montage... Quand tu sais que c'est un film de référence pour Michael Bay, tu reconnais tous les plans qui l'ont inspiré et c'est ce qui fait le dynamisme enjaillant du film. Il n'y a pas la composition d'un Minnelli ni ses mouvements ophülsiens mais je repense à ce travelling latéral suivant les Jets marcher au loin de derrière un grillage faisant passer un duo de mecs de dos en amorce ou ce simple panoramique vers le haut sur les trois Sharks qui accentue la contre-plongée sur les immeubles new-yorkais alors que les danseurs finissent leur mouvement en courant et s'arrêtant juste devant la caméra, c'est cinétique de ouf.
Étrangement, la réa s'enflamme moins pour les numéros musicaux, plus statiques que ne le laisserait croire cette entrée en matière (je me demande si c'est dû au fait que Robbins a filmé les premiers numéros puis a été remercié en faveur de Wise, qui jusque là ne s'occupait que des scènes hors chansons), mais jamais théâtraux malgré le passé de Robbins. Jamais les acteurs ne chantent ou ne dansent pour la caméra/le spectateur. Ils se chantent les uns aux autres. Faut dire que les chansons sont, pour la plupart, des duos ou des morceaux où plusieurs personnes chantent.
Je ne suis pas étonné que ce soit
cette comédie musicale que Spielberg ait choisi de porter à l'écran de nouveau. Les rapports de communication existent non seulement entre les deux camps ou entre les deux membres d'un couple amoureux mais également entre les individus d'un même camp, même pour la blague. A ce titre, même une chanson "inutile" (pour la progression de l'intrigue, j'entends) comme
"Gee, Officer Krupke" parvient à être géniale, ici pour ses paroles mais également pour la vigueur de la mise en scène, multipliant les axes autour d'un décor unique et limité, avec un montage au diapason.
De manière générale, j'ai été agréablement surpris par les chansons. Je ne me souvenais que des plus connues dont je n'aimais réellement qu'une seule (
"America" évidemment, qui bénéficie d'ailleurs ici du numéro le plus kiffant aussi, avec ce toit et panorama nocturne de studio mais qui offre un réel univers interlope) mais j'ai redécouvert celles que je pensais ne pas aimer (
"Tonight" et
"I Feel Pretty"), et j'en ai kiffé d'autres que j'avais complètement oublié (
"Jet Song",
"Gee, Officer Krupke",
"Cool" et
"Somewhere"). Il y en a bien certaines en deçà, un peu faibles/niaises, généralement celles de Tony (
"Something's Coming" et
"One Hand, One Heart" mais bon, la gueule de Richard Beymer est imbuvable et la voix de la meuf qui double Natalie Wood m'agace). D'ailleurs, ce sont celles où l'on chante le plus pour la caméra et où les plans ressemblent à de la captation de scène (mais avec de jolis compos).
Étonnamment, c'est en dehors des chansons qu'on peut voir les accès plus expressionnistes de la mise en scène. J'apprécie même les efforts les plus datés (genre le flou qui isole Tony et Maria dans la foule lors du bal).
Mais j'aime particulièrement l'outrance de la lumière et des décors, notamment lors de la scène du combat sous l'autoroute, avec ses lignes de fuite d'enculé et son rouge infernal.
Ou bien la scène où Tony retrouve Maria dans sa chambre après la mort de Bernardo (PS : George Chakiris, quel homme).
La dramaturgie, aussi élémentaire soit-elle, est franchement réussie. L'histoire de Shakespeare revisitée avec un ancrage social propre à l'époque (et malheureusement encore d'actualité) confère au film un gravitas qui permet de hisser l'amourette express au-delà du type de bluette qui sert souvent de récit principal aux
musicals. Si
"America" est la meilleure chanson, c'est aussi parce que c'est la plus politique, avec sa joute entre ceux qui vantent les libertés permises par l'Amérique et ceux qui rappellent à la réalité du racisme.
Comme je le disais plus haut, j'ai même préféré la fin ici à celle devisée par le Barde. Pas de fausse mort mais un mensonge, pas de suicide mais une vengeance, pas de tragédie forcée par le double décès mais une vraie fin tragique dans son absence d'échappatoire. En fin de compte, ce n'est pas un hasard si Spielberg a demandé à Kushner d'écrire le scénario de sa version, la fin c'est
Munich avant l'heure. Un constat d'échec, une impasse, des morts qui ne reviendront pas, et un survivant hanté qui n'aura appris que la haine.
Putain j'ai hâte de voir ce qu'il va en faire.