Jerzy Pericolosospore a écrit:
---> On est en droit de tout cela, c'est évident, comme on est en droit d'envisager les choses d'un point de vue plus souple, plus "accueillant". Je suis assez pour ce qu'on appelle la "sympathie herméneutique" qui permet la circulation des perceptions entre les genres et les codes, sans se sentir rivé à l'idée qu'il y a une "oeuvre" première, originelle, dont les transformations seraient une "chute", dans une échelle de dégradation.
Je suis sur le principe d'accord. Mais je parlais d'un point particulier que tu notais, à savoir la compréhension des "mythologies universelles et initiatiques", point sur lequel tu n'es en fait pas vraiment revenu par la suite. Il faut dire qu'il existe deux comics Hellboy, la série originale et BPRD, qui suit les autres personnages une fois qu'Hellboy est parti de l'équipe, et les films de Del Toro sont beaucoup plus proche de cette deuxième série (paradoxalement, sans Hellboy donc). On ne peut même plus considérer les films de Del Toro comme une adaptation de la série originale tellement elle diverge aujourd'hui des films dans l'univers présenté, l'esthétique et le ton.
Jerzy Pericolosospore a écrit:
Pour conclure avec cette histoire de "tenir plus haut" ou "plus bas", encore une fois, ne soyons pas platoniciens. Soyons plutôt derridiens: déconstruisons (cad ne détruisons pas, mais compliquons) l'opposition consacrée entre les copies et les originaux, les originaux et les dérivés. Toutes les oeuvres sont dérivées, toutes s'inscrivent dans la mémoire d'autres œuvres, traces de traces.
Derrida je l'emmerde!
Plus sérieusement, ce que tu dis renvoies en fait à ce que je disais : dans le contexte de ce dont on parlait, à savoir les mythologies universelles initiatiques, d'un côté on a un créateur (Del Toro) qui renvoie aux codes graphiques, esthétiques, et narratifs, aux codes hollywoodiens, de l'autre on a un créateur (Mignola) qui renvoie lui directement narrativement et esthétique (voir son trait qui va de plus en plus vers le primitivisme, l'épure voire l'abstrait) à ces mythologies et à une universalité puisée dans des mythes de l'origine plus ou moins reconstruits.
Indépendamment du fait que la matrice est la même et qu'on peut oublier pour considérer simplement deux oeuvres, il y en a une qui me parait beaucoup plus forte, cohérente dans sa forme, et oui, beaucoup plus authentique artistiquement. Et le fait que toutes les oeuvres soient dérivées ne doit pas nier cette authenticité, à moins de tomber dans un relativisme généralisé qui est pour moi une négation pure et simple de l'art.
Citation:
Pas lancé comme ça. Si tu ne vois pas le moindre début de ce que j'avance, ça te "regarde", en quelque sorte. A mon sens tu restes provisoirement prisonnier, dans ton énoncé, d'une forme de dépréciation persistante de "l'illustration" deltorrienne. Ce n'est pas seulement ou simplement un excellent designer (ce serait déjà beaucoup), c'est un créateur ou un re-créateur, de mondes, de créatures, d'archétypes, etc.
La différence entre créateur et re-créateur est précisément notre point de divergence. Pour moi, c'est un re-créateur superficiel, qui ré-exploite des archétypes et des idées éculées en les portant à une certaines virtuosité graphique, mais sans les renouveler ou les faire sien en aucune manière par-delà cette virtuosité. Quand tu dis que "esthétiquement, c'est visible", oui, évidemment, mais ce n'est pas du détournement pour moi, c'est de la virtuosité, de la technique, et je ne vois toujours pas où sont ces métaphores qui lui sont propres. C'est du graphisme, de la figure vide, du travail de superficie, du plan, peu ou pas du tout investi. Le traitement du mal dans Le Labyrinthe, c'est quand même un bel exemple de cela, avec son manichéisme, son méchant de pacotille (ou de bande-dessinée, dans un cliché péjoratif) qu'on veut nous faire croire sorti du "réel", ses oppositions binaires, ses personnages déposés comme sur un plan ou plutôt deux (le pseudo-réel, avec les figures stéréotypiques du fascisme, et l'imaginaire avec les figures du merveilleux), ses monstres de l'amoralité - tout cela déjà largement exploité en mieux par Clive Barker il y a 20 ans, même s'il n'a pas eu les compétences et les moyens de Del Toro pour ses adaptations cinéma.
Si par "nouvelle figure graphique du Mal", tu penses simplement au monstre du banquet, il me parait être une simple figure de conte, défini par rapport à l'épreuve et pas du tout par rapport au mal (qui est incarné, de manière caricaturale, dans le personnage du fasciste). Certes, cette différence entre deux formes de "mal" est pertinent au film, mais c'est un symbolisme bque la virtuosité graphique n'élève pas à un niveau de sens qui dépasse le didactisme - il faut même dire que la forme contrecarre la signification en en faisant resurgir l'absence de pensée, la réexploitation formatée et formalisée d'idées et de concepts déjà vus. Ta définition du geek montre bien l'échec forcé de ce cinéma : c'est un cinéma qui fait du sur-place avec des stéréotypes qui se vident peu à peu de tout sens à force de répétition, jusqu'à ne laisser qu'une forme virtuose. Un grand nombre de comics fonctionnent du reste comme cela : une efficacité extrême de la narration et de la forme dans un cadre stéréotypé à l'extrême, dénué de toute invention autre que strictement formelle. Oui, "post-modernité" dans le sens banalisé du terme.
De fait, nous sommes absolument d'accord, mais c'est pour moi un échec artistique, qui prend pour acquis le fait qu'il n'y a plus rien à dire, alors même que la matrice de Hellboy, le comics de Mignola, sans tenir du chef d'oeuvre, a su dépasser cela, le fétichisme, pour constituer une oeuvre qui a son sens et sa forme propre. En un sens, les films Hellboy ont rejeté les comics Hellboy dans le vaste champs des "dieux perdus", des oeuvres dont ils se nourrissent, mais en leur niant nécessairement une partie de son
aura. Les films ont fait du "geekisme" à partir de ce qui ne l'était pas. Difficile quand même de ne pas trouver qu'on y perd sérieusement quelque chose, quand l'original était précisément l'un des rares comics fantastique à parvenir à s'affranchir de cette "post-modernité", ou du moins à essayer de dépasser le substrat geek accroché au média du comics, sans nécessairement en passer par l'utopie de la révolution.